Rencontre au festival 48 images seconde de Florac, soutenu par Culturopoing, avec l’un de ses tous nouveaux partenaires, Dominique Dugas. À en juger par la qualité déployée dans cette édition, la crème du cinéma québécois devrait donc être désormais être à portée de lozérien ( et de tout spectateur français ou européen un tant soit peu aventureux pour fouler des territoires sauvages ). La disponibilité, la gentillesse et la passion du cinéma sont les traits dominants du héraut des Rendez-vous du cinéma québécois de Montréal. Il était donc logique après un édito de sa composition de lui donner la parole pour mieux s’engouffrer dans les horizons cinéphiliques du grand Nord. Un périple bien parti pour ne plus jamais s’arrêter… Action !

Vous êtes le directeur de la programmation d’une vitrine du cinéma québécois, sans équivalent en France, les Rendez-vous du cinéma québécois. Quel est l’histoire de cette manifestation ?

Les Rendez-vous sont nés en 1982, il y a 35 ans. À l’époque, c’était la naissance au Québec d’une véritable industrie cinématographique. Il y avait un vrai besoin pour le milieu du cinéma québécois de créer un événement pour voir les films et se parler. C’est donc né sous forme de grande rétrospective complète des films produits au Québec, une centaine de films tous genres confondus ( longs et courts, fiction, documentaire, animation et expérimental ). De fil en aiguille, c’est devenu plus qu’un rassemblement, c’est-à-dire une vraie fête du cinéma québécois ouverte au public. Puis, au tournant des années 2000, l’explosion des nouvelles technologies numériques a créé un boom sans précédent avec une production globale de 600 films par an. Là il y avait un besoin, chez les jeunes surtout, de participer à cet événement qui crée un grand pont entre l’industrie, les indépendants et l’underground, les vétérans et la relève. C’est devenu une véritable convergence, une fête œcuménique du cinéma. Bien sûr, on ne peut plus tout montrer. De la rétrospective d’origine, on est passé au sélectif. Autrement dit, on présente de 300 à 340 films, soit la moitié de la production québécoise de l’année. Il y a les films événements, certains plus festifs que d’autres, bref on sélectionne les plus représentatifs de toutes les tendances du cinéma québécois actuel.

Et donc sur ces 300 films en onze jours, vous présentez en plus une centaine d’avant-premières ! Hormis la technologie, qu’est ce qui explique cette vitalité du cinéma québécois d’aujourd’hui ?

Alors la technologie n’explique pas tout, en effet. Il y a aussi une plus grande qualité avec l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes, souvent issus des quatre grandes écoles de cinéma, mais aussi du mouvement DIY ( Do it yourself ) comme la nébuleuse KINO ou encore des mouvances geeks fascinées par le cinéma américain et le cinéma de genre. Il y a également un savoir-faire technique impressionnant, avec des techniciens aguerris sur les nombreux plateaux de tournages américains à Montréal. Ils viennent tourner ici un grand nombre de films américains et emploient beaucoup de monde. Forts de cette expérience, nos techniciens sont devenus très professionnels, gagnent bien leur vie et donc s’impliquent plus dans des projets plus indépendants. Cette génération a ainsi pu créer des films grâce à la générosité d’un paquet de techniciens et de chefs opérateurs qui les ont accompagnés dans leurs premiers films. C’est donc tout un mouvement DIY qui s’est développé et plusieurs ont ainsi fait leurs premiers longs métrages sans l’aide des deux grands institutions qui financent la production cinématographique, soient la SODEC (l’organisme provincial au Québec ) et Téléfilm Canada ( pour le gouvernement fédéral ), qui ont longtemps misé sur un cinéma plus consensuel. Nous avons aussi les Conseils des Arts québécois et canadiens, qui ont vocation à soutenir des projets indépendants plus risqués au Québec comme au Canada. Mais beaucoup de cinéastes ont commencé sans moyens et sans grand soutien de l’état, avec des films qui ont d’abord été remarqués à l’étranger, je pense notamment aux deux auteurs emblématiques que sont Denis Côté avec son premier film au milieu des années 2000 ( Les états nordiques, 2005 ) et Xavier Dolan ( avec J’ai tué ma mère, 2009 ). Bien sûr, bien d’autres ont suivi dans leur sillage et comme pour Côté et Dolan, ils se sont souvent définis en réaction face aux thématiques et à l’esthétique du cinéma québécois dominant. Je pense à Rafaël Ouellet ( premier long : Le cèdre penché en 2007 ), Maxime Giroux ( débute avec Demain en 2008 ) ou Stéphane Lafleur ( Continental, un film sans fusil en 2007 ). Pour eux, c’est un peu différent de la vague précédente. Leur reconnaissance a souvent débuté à l’étranger, ce qui a suscité un plus grand intérêt des institutions pour leurs projets. L’industrie du long métrage de fiction s’est alors diversifiée dans son esthétique, ses sujets… Maintenant, il y a encore une autre génération avec les Chloé Robichaud et Anne Émond. Il y a de plus en plus de cinéastes féminines. Et cette année, il y a donc comme évoqué à la table ronde de Florac, le projet de rendre la parité hommes-femmes obligatoire dans le financement de projets de films… Depuis sept ou huit ans, on remarque leur montée en force dans le court-métrage et les filles sont également majoritaires dans les écoles de cinéma. Donc cette parité, ça a des chances de bien fonctionner, de se faire naturellement, d’autant qu’elles bénéficieront cette fois d’une volonté réelle de les soutenir financièrement dans leurs projets de films.

Denis Côté -  Photo: Michaël Monnier - Le Devoir

Denis Côté – Photo: Michaël Monnier – Le Devoir

Comment s’articulent les différentes sections ou thématiques du festival ?

Disons que nous portons encore le poids historique de la rétrospective complète! Il n’y a pas vraiment d’articulations thématiques. Les films sont d’abord triés par grands genres : Fiction, Documentaire, Animation, Expérimental … ou par formats et recoupent l’ensemble des courants esthétiques et toutes les thématiques. On laisse la place, dans le documentaire surtout, à des sujets qui sont plus « dans l’oeil » de nos cinéastes. Donc il n’y a pas de ligne éditoriale dans la sélection, mais on espère mettre en exergue certains pans ou tendances du cinéma. Il ne faut pas oublier toutes les conférences, tables rondes, leçons de cinéma et autres événements du festival, plus d’une trentaine. C’est souvent par ces événements que passe un regard plus éditorial sur la production annuelle.

Quel rôle jouez-vous pour la distribution des œuvres, dans l’ensemble du Canada comme à l’international ?

Le festival est partie prenante d’une structure beaucoup plus importante qui est Québec Cinéma et qui a pour mission la promotion des films, des artistes et des artisans du cinéma québécois. Nous avons plusieurs secteurs d’activité : le festival, l’organisation et la production du Gala, équivalent de vos Césars ou des Oscars, des ateliers en milieu scolaire. Et aussi nous avons une tournée canadienne hors Québec. Par contre, nous ne sommes pas distributeur pour les salles en tant que tel. Mais nous apportons une offre complémentaire et nous occupons surtout de sensibilisation. Le cinéma québécois n’est pas très bien distribué dans le reste du Canada en dehors du Québec. Tout comme le cinéma canadien anglais au Québec par ailleurs. Il existe une expression très imagée pour définir les relations entre Québécois et Canadiens-anglais : « Les deux solitudes » ! C’est peut-être dans la fréquentation de nos cultures respectives qu’elle est la plus visible. Il y a très peu de ponts culturels entre nous, on voit peu de cinéma canadien anglophone au Québec et on n’écoute pas non plus leurs émissions de télé. Et inversement. Pas qu’elles ne soient pas visibles mais elles ne sont tout simplement pas regardées. Il y a plus d’habitude de part et d’autre de s’intéresser au cinéma et la télé américaine qu’à ceux de l’autre solitude, et ce même si nous partageons le même pays. Cette situation très particulière vient du fait que les Québécois francophones sont 7 millions dans une mer anglophone de près de 300 millions d’individus, et doivent culturellement résister pour maintenir leur langue et leur culture vivante. De l’autre côté, les Canadiens-anglais doivent constamment se définir par rapport aux Américains puisqu’ils partagent la même langue et que la culture américaine est un rouleau compresseur, mais aussi un siphon incroyable, qui fait que de nombreux artistes canadiens talentueux sont récupérés par le cinéma et la télévision américaine. Ce n’est pas si facile pour eux de résister. Certains le font : Atom Egoyan, David Cronenberg et demeurent au Canada. Mais on a tous oublié que Jim Carrey, Ryan Gosling, Ivan Reitman ou James Cameron étaient Canadiens ! Pour résister à cette assimilation, il faut être indépendant.

Mais quel est le regard que porte le Canada anglophone sur le cinéma québécois actuel et sur votre exception culturelle ?

Comme je viens de le dire, il y a peu de perméabilité et pas beaucoup d’échanges de regards entre le cinéma québécois et le cinéma canadien, sinon de façon circonstancielle dans les festivals de cinéma, entre autres au TIFF. Par contre, il y a une minorité anglophone au Québec, très active en documentaire et dans l’underground et nous montrons donc leurs films aux Rendez-vous. Il faut quand même savoir qu’un film sur six est issu de cette communauté anglophone ! Il y a des boîtes de production fort actives en documentaire comme EyeSteelFilm, Bunbury Films ou Parabola, ou des regroupements d’artistes expérimentaux ou underground comme Double Negative. Ensuite, il y a l’ouverture que nous faisons dans le reste du Canada en direction des autres populations francophones, comme par exemple les Acadiens ou les Franco-manitobains de la région de Winnipeg où il y a d’importantes communautés francophones. On ne se rend pas forcément compte mais c’est très difficile pour eux d’exister en milieu majoritairement anglophone. Donc nous avons une section à part au festival qui s’appelle les Rendez-vous avec la francophonie canadienne, ainsi que notre tournée canadienne qui va à la rencontre de ces différentes communautés et leur présente le cinéma québécois et ses artistes. On crée des rencontres et du réseautage entre professionnels québécois et professionnels franco-canadiens.

Soirée "Tapis bleu" aux derniers Rendez-vous du cinéma québécois.

Soirée « Tapis bleu » aux derniers Rendez-vous du cinéma québécois.

Y a-t-il aussi au festival des fenêtres sur d’autres cinématographies ou des partenariats avec d’autres pays, qu’ils soient francophones ou non ?

Déjà, il y a beaucoup de coproductions où le Québec est un investisseur minoritaire. Donc nous montrons tous les films où il y a une composante québécoise conséquente, que ce soit par la présence de nos comédiens, un cadre de tournage québécois. On a présenté à la dernière édition quelques coproductions France-Québec qui vont en ce sens, je pense à un film que j’ai beaucoup aimé La vie nouvelle de Paul Sneijder de Thomas Vincent, adapté d’un roman de Jean-Paul Dubois avec Thierry Lhermitte dont l’action se passe notamment à Montréal, ou encore à Mobile Étoile de Raphaël Nadjari qui se déroule également à Montréal. Sinon, on a présenté également le très particulier Hibou de Ramzy Bédia, pas un grand film, mais tourné en totalité à Montréal et qui a connu une sortie en salles bâclée, ou encore La Reine-Garçon de Mika Kaurismaki dont le scénario a été signé par Michel-Marc Bouchard, un important dramaturge québécois, déjà adapté par Dolan ( Tom à la ferme ). Notre rôle n’est pas vraiment l’international, mais on y touche de cette façon. On le fait s’il y a un lien à faire… Par contre, nous invitons les programmateurs de festivals étrangers. Nous avons une programmation spéciale pour eux qui s’appelle Écrans du Québec. Alors il ne s’agit pas des festivals de la catégorie A, qui eux se déplacent toujours traditionnellement sur le prestigieux festival de Toronto. Et puis Téléfilm Canada, qui est un peu l’équivalent de votre CNC, organise des projections de films canadiens ( donc les films québécois aussi ) pour les sélectionneurs des grands festivals. Mais nous touchons d’autres programmateurs : Léo Soesanto par exemple est venu cette année, le Festival de La Rochelle vient régulièrement, la Quinzaine aussi certaines années, Florac évidemment avec qui nous commençons tout juste une collaboration et pas mal de festivals européens comme CPH Pix de Copenhague, Rotterdam, Indie Lisboa, la Viennale et, de ce côté de l’Atlantique, Palm Springs, Los Cabos au Mexique, Rio. Déjà, ça permet de tisser des liens !

Quels sont les pays où s’exporte le mieux le cinéma québécois ?

Nous ne sommes pas vraiment des spécialistes de l’export ! ( soupir ) Mais vu le désert que ça a été dans les années 80 et 90, une bonne fenêtre s’est ouverte sur le territoire français ces dernières années, qui devrait être un « marché naturel ». Certes, il y a quelques questions d’accents qui ne sont pas inévitables d’où des sous-titrages. Je crois que pour 2017, une quinzaine de films québécois ont une sortie de prévue. Attention, ce n’est pas toujours du « high profile » ( rire ) comme Dolan par exemple… Mais il y a eu de beaux succès ces dernières années, je pense à Starbuck entre autres.

Et par exemple, qu’en est-il de la Belgique, est-ce que par rapport aux questions de langues et d’accents ils ne seraient pas plus ouverts que nous ?

Il y a un créneau en effet. Mais j’avoue que je ne connais pas les chiffres de la diffusion dans les salles belges. Ensuite, il y a l’Amérique Latine, le marché mexicain surtout, mais aussi brésilien. Pour le Mexique, il est évident que l’ALENA a favorisé les relations et échanges culturels et commerciaux entre le Canada et le Mexique. Par ailleurs, le Québec est bien représenté diplomatiquement en Amérique Latine. Je pense que de parler nous aussi une langue latine nous rapproche. Les échanges sont plus fréquents et en tout premier lieu avec le Mexique, ensuite sur le Brésil. Nous avons une représentation commerciale sur ces territoires là.

Thanatomorphose, d'Éric Falardeau ( 2012 )

Thanatomorphose, d’Éric Falardeau ( 2012 )

Quelles est la part des films de genre ( horreur, érotiques…), des films underground et des cinémas parallèles ou expérimentaux ?

Le cinéma de genre ? On n’en produit pas tant que ça, en tout cas pas assez ! Il y a comme une frilosité des institutions je crois. Peut-être due au fait que le film de genre est vu comme trop américain et n’étant pas dans notre culture. Par contre au niveau du jeune public, là il y a un vrai engouement. C’est évident qu’il faudrait lui accorder plus d’attention. Le seul genre bien représenté au Québec reste la comédie. Chaque année nous avons une ou deux grandes comédies populaires mais… qui sont loin d’être toutes réussies et qui ne voyagent pas beaucoup.

Good cop bad cop par exemple ?

( il rectifie ) Bon cop bad cop ! Alors ça c’est un peu différent, hybride, moitié comédie, moitié action. Le deuxième opus vient tout juste de sortir. C’est fort bien réussi dans le genre…

Et qu’en est-il d’Éric Falardeau, est-ce que Thanatomorphose a été projeté aux Rendez-vous ?

Oui nous l’avons montré ! Alors voilà quelqu’un qui est vraiment issu de l’underground. Mais malheureusement, il a été peu vu au Québec, outre les festivals et les centres de diffusion alternatifs. Il n’y a malheureusement pas de place sur les écrans pour ce cinéma là ! Il ne faut jamais oublier que le Canada et le Québec font partie du « domestic market » américain. C’est à dire que nous sommes le marché intérieur américain. Lorsque les studios sortent les films, ils font une promotion à l’échelle continentale. C’est un véritable rouleau compresseur sur lequel nous n’avons aucun contrôle. Le parc de salles québécois est surtout composé de multiplexes dans la grande région montréalaise et dans les plus grandes villes au Québec. Mais dans les pôles régionaux excentrés, il n’y a guère que deux ou trois écrans dans la salle locale. Avec entre sept et dix nouveaux films qui sortent chaque semaine, il y a très peu d’espace, même pour le cinéma français ou l’art et essai. Un des rares films de genre qui a eu une vraie carrière en salle il y a deux ans, c’était Turbo Kid ( François Simard, Anouk Whissell et Yoann-Karl Whissell, 2015 ), un bon film de genre coproduit avec la Nouvelle-Zélande. Là, la distribution était régulière, mais bon c’est une exception ! Sinon nous n’avons pas de circuit réservé à l’art et essai, seulement un réseau de ciné-clubs qui ne font pas partie de l’exploitation des films, mais sont dans une logique de présentation unique. Il n’y a que trois salles à Montréal qui ont une programmation de type art et essai. Après, il y a dans certaines salles commerciales en région ce que eux appellent « Ciné-club », c’est à dire une projection hebdomadaire ou mensuelle unique d’un film d’auteur. Quand on pense à la vitalité cinéphilique que nous avions dans les années 70 ou 80, l’état de la diffusion du cinéma alternatif est très déprimant. Par conséquent, les festivals pullulent ! Et c’est parce qu’il n’y a pas moyen de voir les films d’auteurs ailleurs, sinon qu’une ou deux séances dans ces événements là, que le public s’y déplace.

Vous avez vous-même consacré un film documentaire au cinéaste André Forcier. Pouvez-vous nous introduire à son œuvre ?

Holala, alors ça c’est un film que j’ai tourné dans les années 90 quand j’étais encore étudiant ! C’est un cinéaste encore actif, mais qui, par les films qu’il a réalisé dans les années 70 et 80 est devenu un mythe au Québec. André Forcier a vraiment une patte singulière. Il est très inspiré par la culture populaire, avec des personnages qui en sont issus et avec un style proche du Réalisme magique. On peut citer Au clair de la lune, Bar salon et L’eau chaude, l’eau frette comme ses grands classiques, ceux qui ont établi son statut d’auteur culte. À l’époque, il travaillait avec des comédiens non-professionnels qu’il mélangeait à des acteurs de métier et avait constitué un tandem inégalé dans notre cinéma avec son scénariste Jacques Marcotte. C’est vraiment le premier cinéaste culte pour les jeunes des années 80-90 dont je fais partie. Ensuite, il y aura Robert Morin et plus tard, Denis Côté, qui auront le même statut chez les jeunes des écoles de cinéma. Robert Morin lui, vient plutôt de la vidéo, pas de la mouvance vidéo d’art, mais il s’en servait comme support d’expérimentation, Ce qu’il faisait était beaucoup plus narratif que ce que faisaient les artistes vidéo de la même époque. Mais vu leur support et leur nature, ces films sur vidéo ne connaissaient aucune exploitation en salle et tournaient dans le circuit des festivals spécialisés. Il passera au cinéma traditionnel au milieu des années 90, mais l’arrivée du numérique au tournant des années 2000 viendra atténuer la distinction qu’on faisait alors entre vidéo et cinéma et dès lors il devient reconnu comme cinéaste à part entière. C’est un type qui aimait brouiller les pistes entre le réel et la fiction, qui jouait constamment de la provocation et se nourrissait du malaise. C’est un gars à découvrir absolument !

André Forcier. Photo: Pedro Ruiz Le Devoir

André Forcier. Photo: Pedro Ruiz Le Devoir

Ce courant du Réalisme magique, il est très répandu ?

Non. Les deux seuls qui ont arpenté ce territoire au Québec et qui me viennent à l’esprit, ce sont Gilles Carle et André Forcier. Il y avait une forte communauté d’esprit entre Gilles Carle et le Mexicain Arturo Ripstein, pour nommer un maître du Réalisme magique. Forcier était en quelque sorte l’héritier de Carle.

Dans le cadre de votre carte blanche, vous avez présenté pour la clôture du festival de Florac Maudite poutine, étiqueté par les Cahiers du cinéma « pire film du 21ème siècle ». Que leur répondriez-vous et comment le présenteriez-vous dans et en dehors de son contexte ?

D’abord, je ne savais pas, les Cahiers, je ne les lis plus depuis presque dix ans, j’ai fini par arrêter. Ah bon, ils ont dit ça ? Que ça ? Rien pour l’appuyer ? Ben… ( soupir ) je n’ai pas de contre-argument à ce jugement sentencieux. Que répondre à ça ? Karl Lemieux est d’abord un artiste visuel et un cinéaste expérimental, l’un des plus talentueux (sinon le plus talentueux ) de l’Underground québécois. Il a beaucoup travaillé sur la matérialité de l’image, de la pellicule. Il a beaucoup utilisé la pellicule 16mm, mis à profit son inflammabilité, fait des performances à partir de la matérialité et la fragilité de ce support. L’esthétique de Maudite poutine est dominée par une image très rêche et on sent vraiment ses racines d’artiste visuel. Là, il s’attaque à une narration plutôt traditionnelle par rapport à ce qu’il a l’habitude de faire. Ok, ce n’est peut-être pas un maître du récit mais ce n’est pas son école ! Le récit se met en place doucement mais ça prend tout son sens au bout d’un moment. Ce film est vraiment un OVNI dans le paysage cinématographique québécois. D’ailleurs, c’est un des rares cinéastes underground sur qui une production cinéma standard ( Metafilms, qui a produit Giroux, Côté, Émond, Dolan entre autres ) a investi. Maudite poutine est une expérience sensorielle, à appréhender avec les mêmes yeux que les films de Philippe Grandrieux par exemple. Il a beaucoup expérimenté dans le court-métrage depuis une dizaine d’années. Il a travaillé aussi à l’ONF où il peut conduire beaucoup d’expériences ( rire ), toujours sur le sensoriel. Le son, la musique : il a une grande sensibilité musicale, notamment de sa densité ; cela vient peut-être de sa collaboration avec Godspeed you ! black emperor et sa nébuleuse, groupe culte à Montréal pour qui il a réalisé plusieurs vidéos de concerts. Non, il y a une vraie profondeur dans son travail.

Pour beaucoup de spectateurs français, le visage du cinéma québécois reste encore celui des comédies populaires à succès et du seul Xavier Dolan. A l’exception du film de Chloé Robichaud ( Sarah préfère la course ), tous les films présentés à Florac sont encore inédits dans les salles de l’Hexagone. En dehors de cette vitrine lozérienne, que pourrait-on imaginer comme initiatives pour rapprocher les créateurs québécois des cinéphiles français ?

Pendant plusieurs années, la SODEC a soutenu un festival du cinéma québécois à Paris, Cinéma du Québec à Paris, qui était organisé par Julie Bergeron, une québécoise parisienne, en concomitance avec les Rencontres de coproduction francophones. Plusieurs projections de films québécois en présence de leurs créateurs s’y tenaient. Hélas, cette fenêtre a disparu. Je crois comprendre qu’il n’y avait pas de retombées à la hauteur des investissements de la SODEC. Les dernières années, cette vitrine se tenait en novembre au Forum des images. Sinon, il faut compter sur les grands festivals de cinéma français. Nous sommes très amis avec le festival de La Rochelle qui viennent souvent au festival. Il faut montrer ces films aux festivals et aux acheteurs de films. Ce sont eux qui ont le pouvoir de faire en sorte que les films se rendent au public. Il y a des gens en France qui s’intéresse sincèrement au cinéma québécois, je pense à Sylvain Garrel qui dirigeait un festival du cinéma québécois à Blois, à Jean-Claude Raspiengeas journaliste au quotidien La Croix, qui vient régulièrement au festival et qui écrit tout aussi régulièrement sur le cinéma québécois, à Guillaume Sapin aussi, qui dirige le festival de Florac. Je ne crois pas que la SODEC va réinvestir dans une manifestation comme Cinéma du Québec à Paris, alors c’est sur un travail de fond de gens comme Guillaume, Sylvain et Jean-Claude qu’il faut miser, mais aussi il faut espérer que la notoriété et la popularité de Xavier Dolan en France amènent plus de gens à s’intéresser au cinéma québécois, à vouloir découvrir les autres auteurs. Mais il faudrait redonner une impulsion au cinéma québécois à Paris afin d’attirer une couverture médiatique. La vitrine de Florac peut-elle avoir la portée de Paris, Lyon ou Toulouse en termes de visibilité ?

Dominique Dugas (au micro) et de droite à gauche: Sophie Goyette, Eric K Boulianne, Catherine Benoit, Noémie Brassard et Martin Bureau. Cérémonie d'ouverture du festival 2017 48 images seconde à Florac  © Éric Vautrey

Dominique Dugas (au micro) et de droite à gauche: Sophie Goyette, Eric K Boulianne, Catherine Benoît, Noémie Brassard et Martin Bureau. Cérémonie d’ouverture du festival 2017 48 images seconde à Florac © Éric Vautrey

Comparativement, on a plus de chances de trouver du cinéma québécois sur les sites de téléchargement illégaux, même si ce sont sans doute des films plus commerciaux. Quelque part, c’est un signe de bonne santé, on ne télécharge que les films attractifs… Ne pourrait-il pas y avoir une offensive du côté de la VOD par exemple ?

Alors là, j’avoue que je ne connais rien des sites de téléchargements illégaux. Sensible à la réalité et aux enjeux des boîtes de distribution, je me l’interdis, alors je ne me rends pas compte. Mais s’ils y sont, c’est qu’ils répondent à une demande. En terme de découvrabilité, les films québécois ne sont pas choyés sur les grandes plateformes VOD comme iTunes ou Netflix. Certains s’interrogent au Québec à savoir justement s’il n’y aurait pas matière à créer un Netflix québécois qui rassemblerait tout ce qui se fait dans l’audiovisuel, cinéma, télé, webséries. Est-ce un modèle qui tient la route ? En a-t-on les moyens ? Y aurait-t-il une volonté de la part de tous les grands groupes médias de se rassembler pour une cause comme celle-là ? Il y a encore loin de la coupe aux lèvres…

Retour en images sur l’édition  2017 des Rendez-vous du cinéma québécois !

Remerciements : Dominique Dugas, Festival 48 images seconde : Guillaume Sapin, Dominique Caron, Pauline Roth et Jimmy Grandadam ( association la Nouvelle dimension ). Photos du festival : Eric Vautrey. Moyens techniques : Radio Bartas et Camille Jaunin.

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