David Robert Mitchell – "The Myth Of American Sleepover" (2010, DVD)

Metropolitan sort en DVD le premier film de David Robert Mitchell, resté inédit en France. The Myth Of American Sleepover ne serait qu’une énième et bénigne variation sur l’adolescence, sans l’approche singulière de son réalisateur. Pour illustrer ce rite (et mythe) du passage, Mitchell choisit de filmer une poignée d’adolescents le temps d’une nuit, précédant la rentrée scolaire. On sent dans ce jeu de chassés-croisés autant d’espoir amoureux que de mélancolie, et un charme subtil agit. Le désenchantement est déjà là, avec l’enfance qui s’éloigne, et les duplicités naissantes d’un monde pré-adulte. Au terme de cette longue errance somnambulique, chacun renaît, changé ou égal, comblé ou déçu, vidé d’une petite part de lui-même.

L’été s’achève dans une banlieue pavillonnaire paisible du Michigan. La jeunesse classe moyenne profite de sa dernière nuit de distraction avant la reprise des cours. Les jeunes lycéens s’invitent à dormir chez les uns et les autres par petits groupes, sans se mélanger, filles et garçons séparés – c’est l’usage bon enfant du « sleepover » (intraduisible en français sinon par un équivalent plus infantile: « la soirée pyjama »). Bien-sûr, quelques-uns s’empressent de transgresser cet ordre ; de jeunes garçons viennent rôder et s’invitent pour des raisons futiles. D’une soirée à l’autre, le désir transite, et avec lui, l’angoisse du premier baiser, de sa pressante obligation. Dans le même temps, la nostalgie de l’enfance bat son plein : les plus âgés regrettent cet état d’insouciance et de fraternité « collégienne », qui faisait le charme de ces soirées. Ils sont restés dans un entre-deux inconfortable : ce sont des enfants, toujours enchâssés dans des corps d’adultes, qui ont grandi trop vite. La solitude les gagne en même temps que la nostalgie ; ils s’accrochent à leurs souvenirs et dénoncent, rétrospectivement, les promesses mensongères du devenir adulte. Les plus jeunes errent indécis, partagés entre le désir de sauter le pas, au risque de se tromper, et celui de prolonger l’instant. D’autres jalousent, trompent, se battent. Le cadre du récit est familier, mais le traitement, flottant, est au seuil de l’onirisme et de l’inquiétude. Dans l’un des bâtiments désaffectés de Détroit, les jeunes se rencontrent, en désespoir de cause, pour se déniaiser dans l’ombre et l’anonymat. On s’y embrasse mécaniquement pour se délester du fardeau, ou l’on bat en retraite, par vertu, ou mauvaise conscience.

David Robert Mitchell s’inscrit pleinement dans le genre du film d’adolescents, avec ses conventions, son récit choral entremêlé, sa palette de caractères. Mais il s’en distingue subtilement par sa mise en scène et le ton qu’il y insuffle ; la vitalité juvénile y est moins débordante, comme si les adolescents se regardaient déjà agir, dans un mélange de lucidité, de candeur et de désenchantement. Mitchell croise la drôlerie et les scènes attendues, avec des errances au ralenti, dans lesquelles transparaît un malaise diffus. Le jour de la rentrée, on voit en marge de la parade scolaire un détail insolite : le pied nu d’une fille, qui pend par-dessus la vitre entrouverte d’une automobile. L’ébat sexuel, suggéré, prend un tour lynchien, avec une ombre de puritanisme dans l’arrière-plan. Dans The Myth Of American Sleepover, il y a des lycéennes dévoyées, des jeunes filles faussement innocentes, qui ont les bras « tatoués » de numéros de téléphone – ceux des conquêtes de la veille. Les travellings le long des allées résidentielles et les embuscades potaches que se tendent les lycéens, évoquent autant « Halloween » de John Carpenter, que l’apathie lunaire d’un burlesque pince-sans-rire.

Mitchell confirmera cette dimension fantastique (délicatement suggérée ici), dans son second long métrage, It Follows. The Myth Of American Sleepover, garde une tonalité proche de l’univers de Daniel Clowes, le dessinateur de BD américain, et surtout de Ghost World, son plus fameux titre, (fidèlement) adapté à l’écran par Terry Zwigoff. Et c’est bien un univers spectral qui agit, entre deux pincements de cœur, sous le tableau familier de la chronique adolescente. Le film est déjà dans les limbes, présent et souvenir : c’est un mythe qui se rejoue.

© 2014 Metropolitan Filmexport – 2011 Roman Spring Pictures

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A propos de William LURSON

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