On avait quitté Fabrice Du Welz en 2014 avec deux films sortis cette même année, pour deux résultats totalement différents. Le cinéaste renia le premier, Colt 45, difficilement défendable en l’état – tant il avait été défiguré au cours de sa gestation chaotique. Quant au second,  Alleluia, il constituait un retour aux sources salvateur, recollant directement à la veine qui l’avait révélé en 2005 avec Calvaire, celle d’un cinéma intime, outrancier, violent et poétique. Message From The King répond à une commande du producteur Américain, David Lancaster (Drive/Night Call), désireux de confier le projet à un cinéaste étranger. Il marque une nouvelle étape dans sa carrière puisqu’il s’agit de sa première expérience aux États-Unis. On suit Jacob King (Chadwick Boseman) débarquant à Los Angeles en provenance de Cape Town à la recherche de Bianca, sa soeur disparue. Jacob n’est que de passage, 600 dollars en poche et un billet d’avion retour pour l’Afrique du Sud sept jours plus tard. Au bout de 24 heures, il découvre que sa soeur est morte dans des circonstances inexpliquées…

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Copyright The Jokers / Les Bookmakers 2017

Message From The King s’inscrit dans la tradition d’un certain cinéma Américain des années 70 allant de Shaft à Get Carter, et surtout Hardcore de Paul Schrader, modèle revendiqué. Ce scénario de pur polar hard-boiled, Fabrice Du Welz l’aborde au premier degré, sans cynisme ni ironie, et signe une série B nostalgique aussi modeste qu’efficace. Plus discret qu’à l’accoutumée, il opte pour une approche nerveuse, sèche et concise : peu de dialogues, explications réduites au strict minimum, mise en scène organique… Il nous immerge aux côtés de Jacob King, comme lui un étranger lancé dans un milieu hostile, dans un Los Angeles des bas-fonds aux antipodes de l’imagerie fantasmatique imprimée dans l’inconscient collectif. D’emblée la caméra cadre ce héros solitaire et taiseux à hauteur d’homme, lui colle à la peau. Cette proximité met en valeur le charisme magnétique de l’excellent Chadwick Boseman mais surtout elle illustre d’un même geste formel un désir d’humanisation et d’iconisation. Vêtu d’une veste en cuir, armé une chaine de vélo, Jacob King avance entre détresse enfouie et détermination infaillible dans cette intrigue vengeresse classique mais plutôt prenante.

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Dans ce cadre très « balisé », un horizon plus personnel se dessine pourtant dans les interstices du récit : si le réalisateur se plie aux codes imposés, c’est pour mieux pour s’en échapper furtivement et détourner légèrement sa commande vers d’autres aspirations. Les montées de violence ne sonnent pas comme l’exutoire d’une idéologie réactionnaire ou d’instincts bas du front – deux possibles écueils du vigilante – mais davantage l’expression d’une tristesse que le héros ne parvient pas à manifester autrement. La« cité des anges » filmée entre dégout et fascination, où se croisent dealers, prostituées, junkies, malfrats, flics ripoux etc, devient le théâtre d’une quête et d’une errance empreintes de mélancolie. Un autre personnage attire l’attention du cinéaste, celui de Kelly (Teresa Palmer). Une jeune femme en perdition, rongée par les ambitions déchues, laquelle incarne progressivement une soeur de substitution pour Jacob. La violence la plus brutale laisse s’immiscer des sentiments à vif, des lueurs d’humanité qui émergent de la noirceur. Fabrice Du Welz en embrasant sincèrement les figures de style du genre parvient à faire ressurgir des motifs centraux de sa filmographie. D’une part l’idée d’un amour irrationnel – dans le cas présent d’un frère pour sa soeur – conduisant à la marginalité voire à la folie, d’autre part la recherche désespérée d’un proche en territoire étranger, doublée un deuil impossible, rappelle curieusement l’un de ses films précédents. En effet, malgré des apparences diamétralement opposées, Message From The King rejoint dans son fil conducteur le mésestimé Vinyan, dont il peut constituer une relecture inconsciente.

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En contrepartie le film retombe vers des standards plus attendus dès l’irruption d’archétypes au premier plan: producteur Hollywoodien douteux, richissime dentiste aux fréquentations troubles et politicien corrompu… Le cinéaste doit alors composer avec des sous-intrigues qui l’inspirent nettement moins. C’est seulement lorsqu’il s’autorise de brèves digressions poétiques – par exemple un intermède chanté par un jeune homme au physique androgyne – venant suspendre l’action et créer un décalage de ton inattendu qu’il se démarque de ces lieux communs. À la fois trop survolées pour stimuler l’intérêt, et trop présentes pour être ignorées, ces péripéties secondaires affaiblissent un récit qui n’est en définitive jamais aussi efficace que lorsqu’il colle aux pas de son héros. Il y a fort à parier qu’à terme Message From The King soit considéré comme une simple parenthèse dans la carrière de Fabrice Du Welz au milieu de films plus ambitieux. Il n’en demeure pas moins une vraie bonne série B violente et poisseuse, tout à fait appréciable en tant que telle.

 

 

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