Francesco Rosi – « I Magliari » (1959)

Voici que ressort le deuxième film de Francesco Rosi. I Magliari précède Salvatore Giuliano (1961/62) qui va révéler le metteur en scène et faire date dans l’histoire du cinéma italien – du fait de sa construction narrative éclatée constituant une sorte d’enquête filmique, de ses nombreux flash-back que le réalisateur voulait significativement logiques et non chrono-logiques. D’aucuns considèrent I Magliari comme une œuvre mineure. Il n’en est rien.

Le film est un mélange réussi de drame social, de comédie à l’italienne, de film noir. Les acteurs principaux jouent dans des registres fort différents, incarnent des personnages qui ne se ressemblent aucunement, mais se complètent de façon à la fois étonnante et passionnante. Alberto Sordi cabotine à souhait. Mais il est très bien cadré par Rosi. Son personnage, Totonno, est excentrique et hâbleur. Un pleutre fanfaron. Il n’est donc pas, cependant, le centre du récit. Il n’en occupe que l’un des pôles. Face à lui, Mario Balducci, campé par Renato Salvatori – qui, pratiquement au même moment, joue dans Rocco et ses frères (1960) -, est à la fois plus fruste et sensible, plus franc et humain. Et il ne faut pas oublier, bien sûr, la magnifique Belinda Lee, actrice anglaise qui s’est installée en Italie à la fin des années cinquante, et dont le regard perçant n’est pas sans rappeler celui de Sophia Loren. Elle incarne Paula Mayer, une femme mariée à un homme riche et puissant, qui a la beauté et la force d’un félin, qui mène la vie d’une demi-mondaine de luxe et sans scrupules, mais qui cache une blessure existentielle, un passé douloureux, dont elle fera part à son amant Mario. À noter que la carrière de Belinda Lee fut malheureusement très courte. Elle meurt accidentellement à l’âge de 26 ans.

Le film raconte les aventures et mésaventures d’immigrés italiens tentant de survivre dans une Allemagne qui leur est hostile et leur rappelle des événements récents et dramatiques – ceux de la Seconde Guerre mondiale. Certains sont d’humbles ouvriers, d’autres – les personnages qui intéressent Rosi – des fripouilles à la petite semaine qui ont l’art de s’arranger ou plutôt essayent avec difficulté de l’acquérir. Leur combine ? Escroquer autrui en lui vendant coûte que coûte du tissu. I Magliari – le titre français donné au film a d’abord été Profession Magliari – ce sont les Camelots du tissu.
Il faut savoir que le phénomène de l’immigration en Allemagne de l’Ouest a été ample et problématique. Comme tel, il commence à peu près en 1955. On considère qu’entre les années soixante et les années quatre-vingt-dix, plus de trois millions d’Italiens s’installent dans le pays, mais que très peu y restent durablement.

La touche Rosi, faite d’une attention forte à la situation sociale qui l’entoure, d’un sens du tragique, se ressent déjà dans cette œuvre. Le spectateur sera probablement impressionné par les clairs-obscurs qui l’étoffent, la font briller – la restauration donne une nouvelle vie à I Magliari – ; par les décors tout à la fois beaux, étranges et froids. Par les scènes montrant des blousons noirs au service de la communauté polonaise et de sa frange mafieuse, nourris au rock and roll et allègrement bagarreurs, des prostituées exposées et s’exposant derrière des vitrines sous le regard intéressé de Totonno.
À n’en pas douter, le rôle de la co-scénariste Suso Cecchi d’Amico, qui travailla aussi avec Luchino Visconti, fut tout sauf anodin dans l’élaboration du film.

 

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