Dans un contexte financier morose, le festival Itinérances tient bon la rampe. En attendant que de nouveaux soutiens viennent à sa rescousse et suppléer à la rigueur glaciale bruxelloise, le programme s’appuyait plus que jamais sur ses fondamentaux : importance des projections scolaires grâce à la qualité des œuvres qui sont proposées aux jeunes et à leurs enseignants, initiatives bienvenues envers les familles, les minorités discriminées et les populations habitant le territoire cévenol et qui tentent de faire exister son cinéma. Il est donc normal qu’une bonne moitié ( à l’image de leur proportion dans la programmation ) des films ci-après soient consacrés à l’adolescence et que les intéressés s’y fassent entendre…
Un tour d’abord, vers le tout public, le familial, la communauté. Dans le programme de cette édition 2017, le rôle du collectif alésien La Méditerranée dans un fauteuil, composé par huit associations actives dans le socio-culturel, l’emploi, l’intégration et les quartiers, apparaît non seulement symbolique de cette collégialité opposée à l’économie de crise, mais plus important encore qu’à l’accoutumée. Avec un nombre porte bonheur de films présentés, le collectif présentait un programme fourni, à forte teneur documentaire mais pas seulement. Retour sur trois films beaux et fiers…
De mémoire, le droit des femmes a certes toujours donné lieu ici à des présentations de films importants. Le premier des trois films que nous avons pu voir de cette sélection était, et on s’en félicite, une avant-première, À mon âge je me cache encore pour fumer, film algérien réalisé par Rayhana. Film dédié au dedans et au dehors et dont le cinéma doit désormais porter de par le monde une parole qui n’était d’abord que théâtrale. Œuvre au féminin dans tous les sens du terme, des épidermes moites aux tréfonds des consciences où il est question depuis cette voix off en ouverture, d’intimité et d’identité féminines. Les hommes au contraire y sont gardés à distance, les deux seuls représentants positifs étant un vendeur de cigarette complice et un enfant un peu benêt. Les autres sont fourbes et aussi prompts au meurtre en bande organisée qu’au viol. C’est d’ailleurs cette scène à la dérobée, un horrible « petit fait vrai » dramaturgique, acte conjugal animal et sans amour, qui fait retomber l’envolée première dans la réalité à deux vitesses de l’Algérie des années 80. A cette époque où les femmes jouissaient encore de quelques libertés héritées du rôle des moudjahidines de la guerre d’indépendance ( voir à ce titre les beaux personnages chez Nadir Mokhnèche ), le terrorisme du FIS orientait la vie des algériennes dans une direction plus liberticide. Ainsi louvoie Fatima, entre dégoût du foyer et insécurité de la rue.
L’autocensure, la limitation des libertés sont donc ici un sujet important, au delà du drame à vif centré sur quelques heures d’une journée pas tout à fait comme les autres. Si le film est résolument militant et compte avec la participation symbolique de Hiam Abbass dans le rôle principal, stature propre à parler à l’ensemble des femmes musulmanes comme à toutes les spectatrices internationales et in fine, aux spectateurs, il s’affirme aussi comme un grand film populaire, par sa manière d’articuler les aspects dramatiques et très crus avec la farce ou différents niveaux d’humour. Sa protagoniste évolue au sein d’un univers choral représentant une vue en coupe de cette société de l’époque, à un moment où le retour du religieux était encore minoritaire et manière de rappeler sur quoi s’est fondée cette nouvelle société. En toute logique, le film est un presque huis-clos dans un endroit traditionnellement réservé aux femmes, où elles devraient en théorie avoir toute latitude pour gérer des problèmes relevant exclusivement du féminin. Ou presque, car celui qui a mis enceinte la jeune fille devrait avoir son mot à dire, ne serait-ce que pour assumer et dans l’utopie, la défendre. En l’absence de prince charmant de contes de fées, elles deviennent toutes solidaires. Ou presque. Car l’intégrisme y est décrit symboliquement, comme une voie de garage. À mon âge ravive des blessures, histoire de dire quelques vérités. D’abord que le fondamentalisme menace le ciment culturel. On sait gré à Rayhana de laisser divaguer son regard de cinéaste dans ce hammam mythologique, retrouvé ici à Thessalonique, loin des regards et des pressions et qui n’est pas déjà sans évoquer le naturalisme de Férid Boughedir et son important Halfaouine l’enfant des terrasses, tourné à Tunis durant ces mêmes années où se déroule l’intrigue. Le point de vue masculin, le trouble érotique adolescent à la base de ce film pionnier, s’est ici inversé. Grandir, c’est bien vite se retrouver directement dans des problématiques complexes, vivre un amour qui n’est jamais égalitaire, la femme se retrouvant seule sous le voile des désillusions à devoir gérer ses grossesses et ses traumatismes. Alors si les beaux plans composés rappellent bien entendu les peintres orientalistes, le regard n’est que peu attiré par la beauté des corps alanguis mais bien par la grandeur de ces âmes naturellement en résistance.
La cinéaste a convoqué un casting exceptionnel de comédiennes algériennes, à commencer par la légendaire Biyouna, ici sur la frontière qui sépare la mère la pudeur de la femme indépendante, mais en dehors de toutes contingences. Sans varier son jeu et son débit habituel, elle porte néanmoins toute l’ambiguïté de femmes qui ont bien vite capitulé devant l’oppression masculine. Nadia Kaci, qui a souvent incarnée l’image moderne de l’algérienne contemporaine, représente une autre de ces facettes, celle de l’enseignante menacée par les intégristes dans l’exercice de sa profession et qui se retrouve obligée de porter le voile sans jamais y adhérer. Si on ajoute les innocentes ( Lina Soualem ), les victimes ( Sarah Layssac, dans le rôle de Nadia, agressée autrefois à l’acide ) – Fadila Belkebla ayant elle la lourde charge de porter les deux – et celle qui a fait le deuil de sa féminité au nom de dieu quitte à en appeler à la violence ( la très belle Nassima Benchicou dans le rôle de Zahia ), cette multitude, cette constellation de femmes est un corps organique où chacune incarne un aspect de la problématique. Le scénario parvient à gérer cette difficile choralité en rendant son rôle premier à la parole, triviale ou mythique, en jouant sur toute la distance qui sépare le conte de la réalité sociale ou historique, campant avec élégance sur cette corde sensible et difficile à accorder, la fable. Mais parce que l’engagement individuel et charnel de chacune de ces artistes éclate à l’écran comme un défi, il est bien difficile d’épingler quelques petits défauts au regard de tant de qualités humaines et cinématographiques. Sans faire étalage de sa virtuosité ( bien présente dans les scènes en extérieur ou dans la narration ), la cinéaste échappe à l’écueil du théâtre filmé – et n’oublions pas qu’elle est l’Auteure et Metteuse en scène de la pièce – laissant pourtant ce chœur antique occuper tout l’espace pour délivrer son chant polyphonique appelé à résonner dans le monde entier, à l’image d’une volée de foulards remis au vent pour quitter les terres d’Islam. Normal que les hommes y soient plus sensibles quand d’aussi grandes actrices viennent nous rire au nez.
Le collectif avait aussi sélectionné un beau film du jeune cinéma italien en la présence de Fiore de l’italien Claudio Giovannesi sorti en mars dernier. Issu du jazz, de la radio et de la critique cinéma, Giovannesi est l’auteur de six courts-métrages et quatre longs depuis 2002, régulièrement primés en France ou en Italie. Découvert à la Quinzaine, ce film réaliste et délicat tranche avec le tout venant du film de prison ou des films d’ados délinquants. Il décolle même du genre ( Mery pour toujours de Marco Risi… ) pour égaler, voire surpasser les meilleurs opus d’un Gianni Amelio. Sans doute parce qu’il colle au plus près son duo amoureux et nous révèle la formidable et sensuelle Daphne Scoccia. Certes, il est modeste et plus près du documentaire que de ces grands classiques italiens dont les pleureuses de la critique n’en finissent jamais quarante ans plus tard de commenter la disparition. Le travail avec les comédiens est la première grande réussite du cinéaste en laissant affleurer les émotions étouffées par l’organisation rigide du système carcéral ( on comparera par exemple à la romance un peu terne entre Adèle Exarchopoulos et Guillaume Galliène dans Éperdument sorti l’an passé ). La plupart des enjeux importants passent ainsi par les regards de Josh et de Daphné et leurs échanges qui parviennent à avoir lieu à travers les barreaux et grillages (mention à cette scène où Daphné, la face écrasée contre la grille, tente d’une bouche avide d’aspirer à elle les bulles de savon envoyées par Josh comme si elles contenaient tous les baisers d’une nuit ). Giovannesi laisse monter le désir de vivre, celui d’aimer envers et contre tout éclatant dans ces moments érotiques, son filmage tel la pointe qui tatoue la filiation inévitable, au ras des visages et des chairs, touché par la fièvre et la grâce. Claudio Giovannesi prend à bras le corps le parti pris de ces personnages et ne quitte jamais la ligne de cette injustice, ramenant le système carcéral et le tout répressif à ce qu’ils sont, une incurie d’un autre âge. Mais ceci sans avoir besoin de forcer le trait, échappant à la plupart des codes de représentation des matons, travailleurs sociaux et autres directeurs. Il réussit en outre une très jolie scène de famille douce amère, étendant aussi la notion d’enfermement à un pays qui ne laisse aucune place à la jeunesse dans le jeu social. In extremis, son couple échappe à son destin dans un beau final romantique et touchant, moins par déterminisme que dans une prise de position évidente et courageuse. Las, jeune espoir du rap transalpin, Josciua Algeri ( Josh ) est depuis décédé dans un accident de scooter. Il avait 21 ans. Fiore est donc plus que jamais cet hommage à une jeunesse qui se fane toujours trop vite.
Le collectif la Méditerranée dans un fauteuil a aussi sélectionné un documentaire à son image… Road movie qui se serait arrêté au départ pour reprendre à l’arrivée, Des clés dans la poche est un moyen métrage documentaire intense, qui allie l’utilité de sa fonction – mettre en lumière une initiative bienvenue de l’association d’aide aux mal logés Aurore – à l’exaltation plastique de ses héros du quotidien. Cette richesse vient de l’union fraternelle d’Édouard ( l’aîné, animateur de longue date de l’émission Périphéries sur France inter ) et Stan ( le « jeune », le cinéaste documentaire révélé par Des hommes ) Zambeaux. Des Zambeaux filmant des gens beaux ? Cela n’a rien d’un gag et pas non plus d’un chemin de croix, même si certains parcours sont un peu « cabossés ». Parce que le combat des frères se porte contre le misérabilisme journalistique d’une part, contre le jugement d’une partie privilégiée de la société envers la partie la moins favorisée de l’autre. Car même les amis de Stéphane tentent de l’en convaincre, « il ne faut pas traîner avec des plus faibles que soi ». Mais ici, ce que les uns disent, les gens beaux s’en balancent. La collaboration régulière d’Édouard avec l’association parisienne débouche naturellement sur le suivi documentaire de cette expérience de transplantation en un nouveau terreau urbain. L’association Aurore aide en effet des sans logis parisiens à retrouver un logement et une nouvelle orientation professionnelle… à Aurillac, Cantal. Le film suit donc deux célibataires Stéphane, un jeune intérimaire qui vit la rue faute de pouvoir trouver un logement et un homme plus âgé devenu SDF, Hamza, genou à terre après la séparation avec sa femme. Il présente également deux familles d’origine étrangère, l’une espagnole, lancée sur les routes après la crise économique et l’autre réfugiée politique Sri-Lankaise. La différence avec les autres films réalisés sur ces thèmes tient à la distance. Ici on est plongés dans l’intimité, partageant l’espoir de jours meilleurs, mais aussi les doutes et les désillusions. Sans filet, en tête à tête avec la galère mais aussi les joies des gens, le film s’écrit au fur et à mesure de la rencontre afin de mieux nous faire découvrir leur identité ( un parti pris que ne renierait pas le québécois André Gladu ! ).
Si les familles peuvent compter sur le soutien du conjoint et la nécessité d’avancer, ne serait-ce que pour les enfants, on ressent aussi douloureusement la solitude des hommes d’âge mur et la ligne invisible qui sépare la Rue de la vie normalisée. Une telle transformation ne se fait pas à coup de baguette magique mais s’accompagne avec lucidité, dans la vie comme dans le récit, tout le travail des cinéastes consistant à se mettre à l’écoute et à se rendre disponibles une fois la démarche clarifiée. Le film est habité par une lumière qui tranche avec la rugosité numérique habituelle et si la mise en scène est discrète, elle est néanmoins présente et peut tenir à l’occasion du miracle ( un gros plan sur Stéphane qui tente sa chance, sur fond de grande roue qui scintille sur Paris ) ou au moins du Conte. On voit peu les difficultés, parce que c’est un choix politique, celui de les grandir, de les voir avancer, à la rigueur titubant mais debout, même quand des questions en apparence bénignes pour le consommateur lambda deviennent ici des choix cornéliens ( des meubles dans la caboche ). Alors, c’est non sans légèreté, le temps d’une adresse à la caméra – parti pris qui finit de trancher avec le style Varan – que Des clés dans la poche, titre évocateur, redonne du poids à des existences qui ont par trop cessé de compter pour les gouvernements et politiques actuels, bien trop occupés à stigmatiser pour faire du chiffre. Une chose est sûre, cette goutte d’eau qui fait refleurir l’humanité dans nos cœurs ne se noiera pas dans l’indifférence. On va donc attendre le prochain film de ces frères Zambeaux qui rendent sa noblesse à l’aventure humaine et savent encore apprécier une émotion ou un simple sourire à leur juste valeur.
Pour rester dans la défense de ces valeurs humaines, l’association Tabous ! qui se consacre à la lutte contre les discriminations, et notamment celles des LGBT, présentait cette année deux films sur l’adolescence. La question de l’indétermination sexuelle est au coeur d’Heartstone, film islandais réalisé par Gudmundur Arnar Gudmundsson. Repéré à Venise et Grand prix du festival Premiers plans d’Angers, ce beau premier film a mis tout le monde d’accord par la justesse de ses portraits d’adolescents. Il s’attache à nous faire vivre de l’intérieur les balancements du cœur de Thor un jeune de 13 ou 14 ans qui, en même temps qu’il commence une idylle avec la fille de ses rêves, doit faire face à la tentation homosexuelle de Christian, son meilleur ami avec qui il joue au touche pipi entre blague de jeunes types et vrais émois. C’est peut-être parce que le cinéaste s’est inspiré de faits autobiographiques que la pulsation du film est aussi forte et maîtrisée. Le film est assez mental pour nous faire vibrer avec les questionnements et les inquiétudes de Thor qui souhaite surtout ne faire de torts à personne ! C’est évidemment un film de groupe. En bande, avec deux filles embarquées pour un plan camping sauvage sur la lande des plus romantiques ou dans la vie de famille rythmée par les éclats de deux sœurs à peine plus âgées – souvent irrésistiblement drôles – mais pas beaucoup plus sages et équilibrées et qui lui en font voir de toutes les couleurs plus ou moins malgré elles, Gudmundsson réussit l’exploit de nous plonger dans l’intensité et la complexité de cet été où tout change. Dans une solide tradition de naturalisme intimiste, il suit au plus près des acteurs parfaitement dirigés et dans un style plus propre à un cinéma gay indépendant, il filme même les corps de façon élégiaque, en particulier celui de son héros tiraillé entre la jolie Beth, à peine plus hardie et décidée qu’eux et Christian, cet ami et complice de toujours qu’il observe changer regard en coin, jusqu’à un travestissement suggéré avec une pointe de malice par les sœurs et qui s’il se retourne d’abord contre eux, servira aussi à affirmer leur singularité parmi la communauté rurale. S’il n’évite pas tous les clichés – à l’exception de Christian ado qui fait son coming out dans la douleur, les garçons sont toujours brutaux, renfermés et impulsifs quand les filles tiennent de la plante carnivore ! -, parce qu’il se veut avant tout honnête avec son sujet et authentique dans la peinture sociologique de son milieu, Heartstone présente l’avantage d’un point de vue peu développé jusqu’ici, surtout au sein d’un cinéma islandais encore mal connu mais souvent représenté à itinérances.
Son autre qualité est technique et éclate dans une réalisation à la maturité étonnante. C’est d’abord le travail sur la lumière, qui magnifie les êtres et adoucit l’austérité des paysages naturels. S’il y a parfois carte postale, c’est comme cadre à la romance, car sinon Gudmundsson fait le choix du lyrisme dans la manière de mettre en scène cet arrière plan, écrin et abri qui accueillent toutes leurs passions. La musique originale fait souvent le choix d’une pop intimiste plus douce que la dark ou minimale électronica scandinave. Certes sur deux heures dix de temps, il n’évite pas quelques longueurs ou scènes à faire moins importante. La séquence action sur les falaises reconstitue un rite initiatique qui consiste à se balancer au bout d’une corde au dessus de la mer pour aller piller les nids des oiseaux marins, coutume qui se pratique dans toutes les régions du monde où l’on retrouve cette faune marine, mais plus particulièrement dans les îles assez pauvres au plan agricole de l’Atlantique Nord, où elle représente une véritable ressource. C’était peut-être aussi l’occasion de montrer les aspects négatifs d’un des trois personnages adultes à valeur symbolique : la mère courage de Thor, le vieux sage chez qui ils nettoient les écuries et qui fait office de grand-père ou plutôt de précepteur et donc enfin, ce père brutal de Christian qui incarne à lui seul la difficulté de communication pour des ados en prise avec leurs pulsions. Ce Ken park islandais à la première personne, qui aurait choisi la pudeur et la bonne idée de se lover dans les trajectoires de ses personnages, a au meilleur de sa forme une portée universelle et réussit à nous ramener à nos expériences vécues et à l’éveil de nos propres désirs que le temps a depuis longtemps enfoui sous d’autres expériences. Cette ode à la tolérance sexuelle entrait donc parfaitement dans la logique de programmation de l’association alésienne qui entend aider les jeunes à passer ce cap difficile, celui de la reconnaissance de ses préférences.
Entre los labios y la voz, algo se va muriendo.
Algo con alas de pajaro, algo de angustia y de olvido.
Pablo Neruda, He ido marcando
Un autre diptyque, plus modeste que l’affrontement Mifune / Eastwood, mais néanmoins excitant était formé par l’association de deux œuvres entièrement vouées à leur territoire. Les Cévennes de la vallée du Galezon ( que nous ne verrons peut-être plus de la même manière ) pour Julien Noël et la Catalogne pour Christophe Farnarier, cinéaste français issu du documentaire et résident depuis de nombreuses années dans sa partie espagnole.
La chair est seulement le second film du jeune cinéaste alésien, membre de l’unique structure de production locale, les Film Invisibles. Invisibles, pas si sur et en tout cas pas inconséquents ! Au delà de l’approche de sa région d’habitation et de la culture dont il est imprégné, le court-métrage de Julien Noël révèle surtout un vrai tempérament de cinéaste. Assez éloigné de la suite, les premier plans organiques ouvrent magnifiquement un récit attaché à dépeindre ce qui palpite, ce qui couve parfois dans les cellules familiales et qui éclate au fond des bois, dès lors que les conditions s’y prêtent. Le défi était multiple. Rendre compte de l’intensité intérieure d’une scène de la vie courante, le sacro-saint repas français entre amis. Ah la bonne daube que voilà… La scène était sur le papier presque anodine. Elle suit pourtant magnifiquement le prologue dont elle est la traduction civilisée, tant son Joël souffre en dedans devant un frère sanguin, brutal et même carnassier. Le film propose en outre un beau personnage féminin qui sera le véritable fil conducteur objectif, même au-delà du drame. Car La chair est une fable ( en guise d’avertissement messieurs les jurés ? ) sur la rivalité masculine et les rapport entre les sexes, biaisés tant ils sont limités, contraints aux seuls liens de désir ou de soumission domestique. La critique est d’autant plus incisive qu’elle vient de l’intérieur. La subtilité de la scène du repas, à la fois dans la direction des acteurs, la belle lumière qui vient couvrir d’un halo le charme des intérieurs boisés et chaleureux, témoigne en tout cas d’une ambition trop rare dans nombre de courts-métrages français, celle d’être capable de maîtriser le silence, les non dits, l’espace du foyer, plutôt que de se ruer dans l’action. C’est encore dans le décalage entre la douce lumière d’un automne ensoleillé sur un versant cévenol et la noirceur des passions humaines que va se développer le drame au cœur de cette partie de chasse. Second enjeu : pour un jeune cinéaste qui connaît bien son patrimoine – le festival l’y a bien aidé -, comment proposer une relecture d’un motif qu’un Jean Renoir, entre autres, a porté à son sommet ?
Julien Noël propose ici des choix qui pourront d’abord déstabiliser. Au lieu de la séquence immersive qu’on aurait pu nous faire vivre à fleur de poil, selon le point de vue de l’animal traqué, il propose un pas de côté qui dévoile implacablement l’engrenage qui restera invisible aux yeux des autres chasseurs. S’il y a une limite ici, elle est peut être d’ordre chorégraphique et topographique, le groupe n’atteignant pas la force des personnages abandonnés à leur destin individuel ( ceci étant dit, il n’existe pas à l’image puisqu’il est artificiel, uniquement lié par le goût du sang). Le réalisateur met donc en scène ce qui est un grand moment d’action choral, rituel et initiatique, la catharsis cévenole par excellence, la battue au sanglier ! Mais vécue ici à travers le regard du franc-tireur, de la victime, du témoin extra lucide. Les échanges de point de vue valent comme dialogues et le montage parvient à rendre lisible, et la progression de la chasse et son nœud gordien. On tombe dans l’action, parfois au rythme lent et atypique de la comédienne qui traverse le cadre de haut en bas dans sa diagonale. Il manque sans doute le point de vue du paysage, les lignes de force du terrain pour tirer plus loin, vers la pure contemplation, cette lutte fratricide d’un autre âge. Lorsque le gilet orange d’un chasseur inquiet éclaire le vallon sur laquelle la brume a enfin jeté son ombre funèbre, on retrouve l’esprit des lieux et de ces montagnes parfois trop assoupi dans la paresse de rayons s’étant invité tout au long du petit nombre de jours de tournage. Le chant lyrique, blessé, peut alors remonter vers un dénouement inspiré. Un nouvel Auteur qui s’affranchit sans complexe de ses modèles, qui ose, prend des risques et révèle des aptitudes à travailler avec les comédiens comme en bonne intelligence avec son équipe. Il sera donc intéressant de voir progresser le langage de Julien Noël de même que les moyens alloués, pour aborder son projet suivant – déjà en route comme sa caravane médiévale – , un cran toujours plus haut dans la difficulté. On sent bien dans cette réussite du film, le soutien du public et dans le processus d’accompagnement, qu’Itinérances accomplit une fois encore sa mission de susciter les vocations.
Les fleurs pour
leurs couleurs
Le silence
Pour la paix de l’âme
et seul le vent
pour caresse
Odile Vecciani, Le tambour des lunes
Excellente idée donc que de faire suivre cette première de l’expérience cinématographique de Christophe Farnarier. Documentariste déjà chevronné et installé en Espagne, le réalisateur-auteur d’El perdido propose un projet original qui déplace les lignes entre fiction ascétique, adaptation littéraire, documentaire naturaliste et work in progress dans sa dimension expérimentale. La réussite du film tient à son long mûrissement, aux différentes veines qui l’innervent. Le désespoir du paysan andalou se perdant au sommet de la montagne dans l’idée de se suicider vient se télescoper contre la réalité ici plus que tangible du Vivant. Intervient donc Thoreau et son livre manifeste Walden, qui comme on le sait a inspiré tout un courant de l’alternatif américain. Et enfin le désir d’un ami, qu’il avait de se bâtir une cabane au plus profond de la forêt catalane. D’emblée, le film saisit. Au contraire de La chair, ce n’est pas en révélant l’intériorité du personnage mais en captant de tous ses pixels le milieu ambiant. L’hyperréalisme documentaire a aussitôt maille à partir avec la durée des séquences, la part du son et la composition très inspirée, poétique, des plans. L’aventure de ce nouveau Diogène filmé en tête à tête n’est pas une œuvre de fiction prétentieuse, mais l’essai ardu de coller à son sujet en toute honnêteté, la production s’adaptant aux exigences du très long-terme au delà de toute espérance. C’est d’ailleurs à la qualité des raccords qu’on voit la maturité du film, sa profondeur qui n’a d’égale que sa pertinence dans notre monde contemporain. Farnarier a reconstitué un micro-territoire en utilisant toute une région et deux pays. Il réussit à nous faire voyager dans l’infiniment petit jusqu’aux marges de sa contrée. Si le départ jusqu’à la résurrection du personnage s’attache à peindre comment la sensation prend le pas sur l’introspection, jusqu’à éteindre la douleur, le voyage du nomade nous ramène en bord de mer, aux origines de l’Humanité. Dans ces zones lagunaires d’une zénitude à pleurer, où règnent les oiseaux et tous les migrateurs dont l’homme n’est alors que le plus faible et le plus inadapté des représentants. Là encore, il s’agit d’une scène puissante si l’on convient qu’il est loin d’être évident de retrouver à l’heure actuelle ce monde originel vierge de tous nos saccages. Si cet accompagnement a atteint ici un des premiers points d’orgue du film, c’est qu’auparavant les éléments principaux de la ligne claire du récit gardaient une part de mystère, d’incréé, qui défiaient encore notre manie de l’interprétation. Mais ils sont rares les films qui peuvent captiver en filmant au plus près leur unique sujet, se passant de tout langage verbal pour mieux en réinventer un de zéro. A ce titre, le film fusionne dans le même itinéraire, s’improvise, s’invente et donc se transcende. Qu’on soit de la pleine nature ou le dernier des urbains,il nous parle de notre reste d’humanité confronté au chant du monde encore vibrant, nous exhortant à virer de bord plutôt qu’à l’autodestruction. Bien sûr, tous les spectateurs ne seront pas ouvert à la participation active requise ici. Si la Nature les emmerde, s’ils sont allergiques au bricolage, s’ils préfèrent le restaurant à la chasse mais plus que tout, s’ils ne s’intéressent pas au Cinéma.
Car pour tous les autres qui considèrent le septième art comme un champs d’expérimentation de tous les possibles, El perdido et la démarche affirmée de Christophe Farnarier sont au contraire édifiants. Il ne nous enseigne pas tant par les actes, pourtant précisément non-mis en scène au profit d’un vécu immédiat et obéissant à une dramaturgie primitive, le survival pris littéralement au pied du genre tout entier, que par les sens avec un seul objectif, retrouver l’essence de la vie. Le personnage se dessine en pointillé, comme un tableau impressionniste qui soudain s’éclaircirait tout en devenant sujet et fonction : vivre, évoluer, se cultiver et enfin habiter. Heureusement que dans les derniers plans, il fait l’éloge de la paresse, de simple et belle façon. Sinon on aurait pu reprocher au projet de n’observer que les aspects techniques plutôt que la modification du regard qui passe dans des contrechamps contemplatifs parfois trop courts. Mais ce film là ne s’adresse pas aux montagnes, qu’en dehors de celles-ci il ne rencontrera pas, mais à ses frères, aux hommes. Comme une invitation à la vie sauvage qui se feuillette parfois en manuel mais contient certainement les clés d’un mieux vivre pour nombre d’entre nous. Pour les autres, c’est déjà une fenêtre, une bouffée d’air et un bout de cinéma pur. Une expérience : fermez les yeux, écoutez le. Le monde alentour nous parle et sourds que nous sommes, prisonniers de nos affects et victimes d’un temps qui court trop vite, nous l’oublions dès que nous avons le dos tourné. Le vagabondage visuel et sonore de Christophe Farnarier nous invite à sa façon à nous redécouvrir comme un paysage familier. C’est dans la caverne moderne, la salle de cinéma, qu’il faut le recevoir comme un de ces multiples objets laissés là, pièce de cinéma qui veut sincèrement nous communiquer un peu de son émerveillement.
La programmation scolaire a toujours été un axe fort d’Itinérances et de nombreuses classes font le déplacement de toute la Région. En général, il s’agit d’un mélange de temps forts de l’année précédente, parfois de films plus classiques reprenant la thématique principale mais aussi d’inédits dans les champs de l’animation, du documentaire ou de la fiction. Bref, ici, les jeunes spectateurs sont rois. A cela s’ajoute encore depuis peu, le concept de séances « En famille » pour les grands films tout public.
Et c’est bien à cette catégorie qu’appartient La tortue rouge, long-métrage d’animation des studios Ghibli déjà largement distingué à Un certain regard et même sélectionné pour le dernier festival Télérama. Michael Dudok de Wit n’est ni japonais ni inconnu. Il a été en effet repéré il y a déjà longtemps à l’issu d’une résidence chez Folimage qui avait donnée naissance au court-métrage Le moine et le poisson en 1994. Mais surtout, il reçoit le Grand prix d’Annecy, de même que l’oscar du court-métrage d’animation pour Père et fille en 2000. S’il lui arrive de faire l’animateur sur les films des autres, cela faisait déjà longtemps qu’à la recherche de nouveaux talents, le meilleur et le plus célèbre studio japonais l’avait contacté pour mettre en chantier, dix ans plus tôt, ce premier long-métrage. Sans être un chef d’œuvre digne de l’irremplaçable Hayao Miyazaki, La tortue rouge est un film intéressant qui résulte de compromis tant dans son écriture ( avec Pascale Ferran ) que dans son esthétique. Le travail graphique prend notamment en compte le grain du papier, ce qui lui donne cette texture unique. La gestion de la lumière est également exceptionnelle. Le directeur artistique n’est autre ici que le génial Isao Takahata mais il semble qu’il soit intervenu le moins possible en dehors des six mois de préparation conjointe, dans un projet essentiellement produit et réalisé par la suite en France. Ces qualités sont plus graphiques que narratives. Le film suit une ligne claire qui fait la part belle à l’espace, dans cette histoire de robinsonade poétique ( on pensera à plusieurs égards à l’univers de Jean-François Laguionie ) et aux grands champs colorés. Le regard se perd ainsi dans l’indétermination de cet océan et des fonds, atteignant là une forme de zen teintée de poésie européenne plutôt inédite. Mais – vise-t-il peut être l’universalité ?-, le film laboure aussi les terres du conte, avec une certaine naïveté dans les personnages qui louche vers l’esprit des courts-métrages du studio Folimage et un plus large public. L’absence de dialogues est pourtant une force et le film gère fort bien son rythme et la solitude de son héros. Dès lors que la fascinante tortue se change en femme, on rejoint des rivages beaucoup plus connus, ceux d’une sorte de Genèse chrétienne qui n’est pas à la hauteur de son expression graphique. Le film est également trop facilement identifiable au niveau sonore alors que la musique peut se faire tonitruante. De ce périple initiatique et familial, émergera la belle scène du trou d’eau qui met un peu d’action dans son Éden un peu pépère. De fait, c’est moins la lenteur qui menace que la torpeur d’une narration antidramaturgique pour ce projet personnel cherchant à exalter la simplicité de la vie, en se rapprochant d’une couleur réaliste ( observation des mouvements marins et tempêtes, travail avec de véritables acteurs pour en rendre le mouvement ). On a toujours cette impression que les européens, les occidentaux en général campent dans la survie, alors que la part du rêve, de l’immatériel sont autrement prédominantes chez les artistes japonais. Il suffit de mesurer ce qui sépare La tortue rouge de Ponyo sur la falaise, lui aussi dédié à la vie marine. Un long-métrage important mais aussi quelque peu frustrant.
Graine de champion est une coproduction documentaire entre Suède et Norvège et à visée pédagogique. C’est sa première qualité comme sa limite. Le film réalisé à quatre mains se compose de trois segments mettant en scène des préadolescents dans leur pratique des sports de compétition. Le meilleur sera le premier car il s’invite au plus près et même en plein milieu de la relation amoureuse naissante entre un jeune escrimeur et sa partenaire. Sans en faire le sujet principal, il fait mouche dans la description des difficultés à progresser dans la compétition et reste du côté des enfants plutôt que de leur entraîneur. Mais le film qui a le plus fasciné les scolaires présents, était celui d’un jeune sumo, qui là encore nous met au centre du tatami et nous fait donc découvrir de l’intérieur, un sport souvent caricaturé chez nous ou en tout cas mal compris. Dommage que le segment russe sur la danse n’apporte pas grand-chose à l’enseignement classique d’une discipline qu’on savait déjà être assez douloureuse et même militaire. Trop distancié, il ne nous permet jamais d’approcher la réalité intérieure de la jeune Nastya qui paraîtrait presque geignarde et obsessionnelle, autrement dit en difficulté dans le moule inamovible d’un Art antédiluvien, plus que sympathique. Dans tous les cas, le film se garde de bien d’apporter la moindre critique à l’esprit de compétition et à la pédagogie très archaïque telle qu’entraperçue ici. Le film vaut pour ces portraits rapprochés qui valent bien des discours. Il préfère sans doute laisser émerger la critique depuis l’esprit aiguisé de de son jeune auditoire, visiblement intéressés et diserts après cette séance. À réunirr pour un double mixte, un binôme ou un simple contrechamp fictionnel avec le Terre battue de Stéphane Demoustier.
Le film suivant est emblématique de cette démarche pédagogique. Sa réception dithyrambique en festivals étonne plus. Keeper affiche un sujet que n’aurait pas renié jadis les Dossiers de l’écran, emballé avec une esthétique réaliste qui trahit ses origines belges ( mais également franco-suisses ). Il nous présente, l’idylle, la relation tumultueuse et les péripéties de Mélanie et Maxime, trente ans tout rond à eux deux. Ou deux et demi, et bientôt trois si on ne les en empêche. C’est donc l’histoire d’un jeune couple qui décide de garder l’enfant qu’ils ont conçu par accident. On ne met pas en doute la réalité sociologique du thème, mais il faut noter qu’il y a un vrai engouement pour ce type de sujets, très représentés dans le cinéma français ( parfois avec plus de lyrisme comme dans le 17 filles des sœurs Coulin ). La qualité du film tient moins à son écriture qu’à l’investissement de ses comédiens adultes ( au premier rang desquels l’excellente Laetitia Dosch ) et à la révélation du couple principal, Galatéa Bellugi et pour le beau rôle, Kacey Mottet Klein. Parce qu’il adopte leur point de vue, le film se regarde avec plaisir et intérêt. Las, il tombe dans les travers du psychodrame, glissant trop rapidement vers une fin peut-être moins facile, mais qui voit triompher l’ordre et la responsabilité. En s’attachant à suivre Maxime – il se perd un peu au centre de sélection -, il limite un peu son sujet jusqu’à charger la pauvre Mélanie de l’histoire non réglée de sa marâtre pour laquelle nous compatissons cependant. Même si la fin est jolie et Kacey Mottet Klein exceptionnel, il manque ici le point de vue de l’enfant, au sens plein du terme. Guillaume Senez fait preuve d’une belle maturité dans sa direction d’acteurs et sa capacité à mener au bout son projet, il lui reste à remettre en cause son apprentissage s’il ne veut pas lui aussi, rentrer tête baissée dans le rang.
J’ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes et tous les drames. J’ai essayé d’inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J’ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! Je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d’artiste et de conteur emportée !
Adieu, Arthur Rimbaud, 1873
Dans la même sélection, passons à l’antithèse ! Simon est le troisième film de la paire Emmanuel Caussé et Eric Martin ( où certains auront peut-être identifié deux des pieds nickelés qui avec Pierre Carles commirent l’excellent Choron dernière ). Né de la rencontre avec le protagoniste lui-même, ce long-métrage de fiction est le récit d’une expérience de vie. Peut-être parce qu’il s’est nourri du combat de Simon, il campe aux antipodes d’un certain naturalisme français pauvre et asséché. Il témoigne dans l’urgence de ce qu’est avant tout l’adolescence, un formidable cocktail d’énergie et d’espoirs. Le film le rappelle dans un prologue en forme de clin d’œil au Kids de Larry Clark ( mais aussi à Kevin Smith et autres représentant indies ), parent de toute une génération de films exaltant une adolescence sans barrières, une pointe d’humour en lieu et place de la crudité. « J’ai subi plus de traitements que le plus malchanceux des héros Marvel… », « J’ai une petite sœur aussi désagréable qu’une séance de chimio… » Simon ne manque pas d’humour mais a aussi la dent dure. On lui sait gré de ce ton lucide et chargé juste de ce qu’il faut pour bouleverser. Nouer un peu notre gorge quand sa langue elle se délie. Si les mots libèrent, les souffrances du malade ( un lycéen de 15 ans découvre qu’il est atteint d’un cancer des os plats dit sarcome d’Ewing ) obligent autant à la pudeur qu’à la nécessité de dire les choses, de les montrer sans tricher. Le vrai Simon était un jeune homme ultra créatif. L’écriture du scénario s’est imposée comme une thérapie mais surtout comme une aventure. Les cinéastes aiment à rappeler l’appétit de vivre du gamin, à rebours des clichés habituels sur les soins palliatifs. Alors qu’il est condamné à brève échéance, ce jeune insoumis décide de lutter, non contre la maladie mais contre la torpeur de son coin de terroir, là bas dans la campagne au Nord de Paris, en y organisant un concert rock.
C’est donc sur des images électriques et survoltées des Ramoneurs de menhirs que nous cueille Simon, ( où l’on croise la bouille du Laurent des Bérurier Noir, plus qu’un symbole, un prélude au futur documentaire très attendu que les réalisateurs vont consacrer au groupe le plus mythique de sa génération ). Pour le reste, le film se déploie entre intimisme adolescent d’une grande justesse ( proximité, jeu des comédiens ), c’est à dire bien mieux que dans la plupart des films français consacrés à l’âge plus tellement tendre, d’où la référence plus haut au maître américain, et carcan familial ( avec tout le poids que peut apporter l’autorité naturelle de comédiens comme Corinne Masiero et Gustave Kervern ). Là encore pas besoin d’appuyer là où ça fait mal, simplement laisser exister la pesanteur domestique comme elle l’est inévitablement. Mais parce qu’il sait prendre du recul et faire des pas de côté – pas comme une recette mais plutôt comme on respire irrégulièrement au plus fort de l’action -, le film inscrit les jeunes dans une temporalité qui leur est propre et où l’instant est tout, mais aussi dans un environnement qui même dans une Oise type Lotissements paumés dans bois dormant, reste éminemment vivant. Lumineux. Le film intègre également des images tournées à la volée, parfois par Simon lui-même comme cet hommage d’outre tombe aux infirmières qui l’accompagneront, surgissement puissant du fantôme du réel sur lequel la fiction étend pour l’éternité son pouvoir d’évocation. Le film doit encore beaucoup à son casting miraculeux, particulièrement à l’impressionnant Zacharie Chasseriaud qui prouve autant son magnétisme que sa capacité à se mettre en danger (s’il est impossible de filmer ici, et peut-être aujourd’hui, les corps adolescents nus, il est par contre nécessaire de regarder frontalement celui auquel la maladie s’attaque ). Les spectateurs retrouveront aussi une Garance Marillier bien loin de sa prestation phénoménale, épidermique de Grave et qui prouve autant l’étendue de son registre que sa sensibilité. Simon n’est pas parfait. Il trébuche, a du mal à rester cool, disponible et à suivre Agathe dans les cases d’une vie normale ( une Léa Rougeron habitée qu’on espère revoir sur les écrans ). Buté, ramassé, tirant sur son joint pour ne pas s’éteindre et prêt à s’enflammer à la première étincelle de désir, Zacharie Chasseriaud emporte Simon au-delà de la mort. On pourrait disserter longtemps sur comment la mise en scène et le montage trouvent tour à tour l’épicentre, idéal croisement des vagues énergétiques déchaînées ici et le rythme personnel qui colle au ton personnel de son faux autoportrait. Mieux vaudrait alors revoir le film plutôt que de broder sur les évidences. Ce très gros coup de cœur de cette édition 2017 aura retourné son public, les ados distinguant aussitôt ce qui leur appartient et ce qui révolte des représentations caricaturales et bassement mercantiles de leurs existences. Il est ahurissant que le plus sincère du cinéma français n’ait pas encore trouvé de distribution, ce qui ne s’explique que par un parcours chaotique, du à l’abandon déplorable d’Arte en coup de théâtre, coup de sabre malheureux d’une nouvelle direction pressée d’apposer sa marque. Rarement un sujet aussi grave aura généré autant d’émotions positives ces temps-ci et d’envie de croire à la nécessité du cinéma. Il est contre-nature que ce film n’ait pas d’existence en salles !
On aimerait pouvoir penser encore que les voix indépendantes du cinéma français seront encore audibles dans notre PAF de plus en plus géré comme un grand Multiplexe aux mains de bataillons d’actionnaires en marche, mais c’est aussi le rôle des festivals que d’afficher fièrement des films qui dérangent les stéréotypes de la grande distribution, pour pointer le manque dans ce qu’on a trop considéré comme une industrie et plus assez comme un art. Puisse la qualité des inédits présentés ci-dessous et dans le prochain compte rendu, inspirer la création de modèles alternatifs dont notre futur a urgemment besoin.
Suite à venir et fin de la visite au festival Itinérances d’Alès…
Photos : merci à Bastien Molines et Marie Applagnat.
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