On connaissait l’ACPAV, importante coopérative vouée à la production du cinéma indépendant et d’Auteurs québécois et mise à l’honneur dès 1973 par la revue Cinéma ou à un degré moindre,  feu la coopérative de distribution Cinéma libre, fondée en 1977 après un Manifeste pour le cinéma libre signé René Bail, pionnier du cinéma expérimental québécois, et active jusqu’en  2000 . Ça a été un vrai plaisir de découvrir Spira au festival 48 images-seconde de Florac, où la structure présentait un beau et divers panorama de courts-métrages réalisés au cours des deux dernières années. Encore une structure coopérative, cette fois dédiée au soutien technique, parfois financier et aidant à la diffusion qui elle, s’apprête à fêter en pleine santé son quarantième anniversaire. Autant d’actions pérennes pour valoriser le cinéma indépendant et les nouveaux auteurs ( un beau catalogue à l’appui ) qui pourraient donner des idées à un cinéma français s’appuyant trop souvent sur le seul CNC ou sur des aides régionales concentrées sur leur petit panel de films sélectionnés. Par ailleurs, Spira est à la pointe du combat pour la parité-hommes-femmes dans le cinéma québécois, sujet central au festival de Florac et sur lequel nous allons revenir très vite. Il était donc urgent de s’entretenir avec sa joyeuse directrice, Catherine Benoît, jusqu’à tard dans la nuit et dans des conditions très spéciales ( le backstage d’un caf-conç’ floracois pas tout à fait comme les autres )…

Pouvez-vous nous présenter Spira ?
Spira est une coopérative vouée au cinéma indépendant, sous une forme un peu semblable à vos associations. Nous sommes mandatés pour soutenir la production et la distribution du cinéma indépendant et nous sommes basés à Québec. Nous intervenons concrètement en prêtant le matériel de tournage aux artistes pour un tarif préférentiel. Ainsi ils ne paient que 5 à 10 % de la facture. Nous distribuons ensuite leurs films dans les festivals et sur les différentes plate-formes. Dans la ville de Québec, on fait aussi diverses activités, des projections, de la formation et du réseautage. Notre but est donc de dynamiser le cinéma dans la ville de Québec et de le faire ensuite rayonner.

Vous soutenez les réalisateurs même lorsqu’ils arrivent à faire subventionner leur projet par l’ONF, la Province ou l’État, qu’ils paient les salaires des comédiens et techniciens  ou pas ?
Nous, nous les soutenons, que leurs projets soient financés ou pas. Bien sûr, nous aidons d’abord les cinéastes de la Relève. Mais on a aussi aidé un film comme Sarah préfère la course de Chloé Robichaud. On lui a prêté le matériel quand elle est venue tourner à Québec parce que les budgets cinéma sont difficiles à boucler. On est même là pour les cinéastes établis et qui ont des aides – alors, c’est sur que ceux qui ont quatre millions, eux ne viennent pas nous voir ( rire ) – et bien sûr pour les cinéastes qui ont des budgets plus modestes ou ceux qui commencent et font ça de leur poche…

Sarah préfère la course (2013) de Chloé Robichaud

Sarah préfère la course (2013) de Chloé Robichaud

Vous sélectionnez quand même les projets en amont. Vous en refusez beaucoup ?
Oui, pour la mise à disposition de l’équipement, on sélectionne sur la faisabilité du projet et pas sur la qualité artistique, parce qu’on a quand même beaucoup de matériel et parfois on accepte un projet qui finalement ne se tourne pas. On accepte donc beaucoup de projets pour encourager les gens à tourner. Il est important de tourner pour acquérir de l’expérience et chaque année, on sélectionne une trentaine de films, courts, moyens ou longs-métrages, que ce soit fiction ou documentaire. Pour ce qui est de la distribution, là on choisit vingt à vingt cinq films par an, car ça demande énormément de temps, surtout les inscriptions aux festivals. On ne peut pas se permettre d’en prendre trop. Mais nous Spira, sommes subventionnés par le Conseil des Arts du Canada, du Québec et par la ville de Québec, ce qui nous permet de redistribuer aux artistes en mettant à disposition du matériel pas cher. On a aussi deux bourses qu’on attribue chaque année, donc nous aussi redonnons beaucoup.

Spira n’est pas vraiment une nouvelle structure, vos allez fêter vos quarante ans d’activité ! Avez-vous une idée du nombre de films que vous avez produits depuis vos débuts ?
( rire ) Oui c’est ça… ( elle compte mentalement ) Depuis mon arrivée il y a huit ans, on a aidé une trentaine de films par an. On peut penser que ça fait beaucoup de films soutenus. C’est beau parce qu’il y a plusieurs cinéastes qui ont commencé par venir chez nous et qui ont maintenant une bonne carrière derrière eux.

Des noms, des noms !
( rire ) Denis Côté a fait des films chez nous, Ricardo Trogi ( souvent primé au Québec, ses films n’ont jamais été distribués en France ) qui est un cinéaste également bien établi, Myriam Verreault et Henry Bernadet qui avaient réalisé À l’ouest de Pluton  ( primé au festival d’Annonay ) et sont maintenant sur d’autres projets, donc c’est bon signe ! Après parmi les cinéastes qui sont ici au festival, Chloé Robichaud ou Martin Bureau viennent souvent nous voir quand ils en ont besoin pour leur tournage.

À l'ouest de Pluton (2008) de Myriam Verreault et Henry Bernadet

À l’ouest de Pluton (2008) de Myriam Verreault et Henry Bernadet

Vous êtes représentés aux Rendez-vous du cinéma québécois, vous avez des partenariats avec eux ?
Oui parce que nous aimons bien nous balader ailleurs au Québec et parce que nous ne sommes pas seulement réservés aux cinéastes résidant à Québec. On y remet un prix du meilleur court-métrage documentaire, à la fois en argent et en matériel. Ensuite, puisque nous sommes distributeurs, chaque année nous y avons des films sélectionnés en compétition officielle.

Vous avez présenté à Florac un programme pluridisciplinaire, protéiforme ou même transgenre…
( rire ) Oui, il y avait une vraie diversité.

Il ne manquait que l’Animation ! En ce qui concerne Noémie Brassard, il y a dans son court-métrage Enjambées une grande maturité pour quelqu’un d’aussi jeune, avec un beau travail visuel. La chef opératrice a l’air assez connu…
Oui en effet, Noémie est déjà une réalisatrice très talentueuse et très prometteuse. Elle a participé à un projet que nous appelons Les laboratoires de création qui a permis à neuf femmes d’être formées en cinéma documentaire. C’est Julie Pelletier qui a fait la photo. C’est une jeune directrice photo de la ville de Québec qui travaille sur de plus en plus de projets. Et il est intéressant et super important de voir les relations se développer entre ces cinéastes et les différents corps de métier.

Enjambées (2016) de Noémie Brassard

Enjambées (2016) de Noémie Brassard

Et quel est le rapport entre cette initiative et Vidéo femmes, projet qui a l’air d’être une composante de Spira ?
Il y a deux ans, nous avons fusionné Spira films et Vidéo femmes pour devenir Spira. Vidéo femmes avait un mandat similaire à celui de Spira films, soutenir les cinéastes indépendants mais axé sur les femmes. Nous avons donc conservé plusieurs caractéristiques de Vidéo femmes dans cette union. L’année dernière, c’était la cinquième édition des Laboratoires de création et les éditions précédentes ont permis de former des réalisatrices comme Julie Lambert qui était venue au festival 48 images seconde il y a deux ans. Le lien avec Vidéo femmes, c’est qu’on continue à travailler d’arrache-pied pour que les femmes puissent avoir leur place dans le cinéma !

On a justement parlé de parité à la table ronde organisée aujourd’hui. Est-ce qu’elle existe déjà cette parité au niveau des projets proposés ou faut-il encore travailler pour faire en sorte que les étudiantes qui sortent des écoles comme les autodidactes, puissent écrire et tourner plus ?
Je pense qu’il y a encore un travail à faire. Ceci dit, quand on s’y met et qu’on passe aux actes, on peut y arriver et surtout quand on est plus conscient de ce problème comme chez Spira. L’égalité entre hommes et femmes fait partie de nos valeurs donc on la met en pratique. A chaque nouvelle action, on essaie de tendre vers la parité dans le nombre de projets. Déjà, ça aide beaucoup d’y être sensible, c’est certain !

La partie, de Alexandre Isabelle (2015)

La partie, de Alexandre Isabelle (2015)

On peut d’ailleurs évoquer le court-métrage Mon corps à dos, qui adopte une démarche expérimentale en mélangeant essai poétique et danse. C’est une réalisatrice qui travaille dans ce domaine là ?
J’avoue que je ne connais pas très bien la réalisatrice, Gaëlle Hannebicque. Il s’agit d’une réalisatrice française et celui-ci fait partie de ses premiers films à une époque où selle se trouvait au Québec ( depuis elle est d’ailleurs rentrée en France ). Elle a eu ici accès à plusieurs bourses pour la relève. C’est un film très personnel puisqu’elle joue dans le film, elle-même ayant une scoliose. Donc c’était un film pour parler de ce qu’elle vivait, ce qui donne un résultat vraiment intéressant.

Il y avait encore dans ce programme deux films ayant pour cadre la cabane à sucre, institution connue de tous ceux qui ont voyagé au Québec en hiver. Le premier film était vraiment documentaire de type portraits et l’autre, une fiction qui commence en mélodrame pour partir vers quelque chose de plus original. Dans le cas de ce film là, c’était écrit comme ça dès le scénario ?
Pour La partie ? C’est difficile à dire car nous ne faisons que prêter le matériel mais connaissant le réalisateur, Alexandre Isabelle, il a commencé sa carrière en tant que scénariste. Je pense donc que c’était bien écrit et structuré.

Il y a aussi ici des cinéastes plus expérimentés, notamment une cinéaste officiant depuis plusieurs années dans le documentaire, Carole Laganière ( plusieurs fois primée au Hot Docs de Toronto ) qui proposait un très beau court-métrage en noir et blanc, beaucoup plus dramatique mais très touchant entre un père malade et sa fille qui filme le monde extérieur pour lui en retransmettre les images en une sorte d’accompagnement à la fin de vie. Un sujet dur mais très bien traité. Spira accompagne aussi l’arrivée d’une nouvelle génération de jeunes comédiens comme ici…
Bien sûr, le soutien aux projets permet de soutenir différents corps de métier. Dans le cas d’Un printemps incertain, la jeune actrice de quatorze ans, Jade Charbonneau, est vraiment très talentueuse et on va en effet la revoir à l’écran.

Un printemps incertain (2015) de Carole Laganière

Un printemps incertain (2015) de Carole Laganière

Avec le court-métrage de Martin Bureau, un des invités du festival, L’enfer marche au gaz, on rentre vraiment dans une dimension expérimentale tout en restant dans le champs documentaire puisqu’il présente un sport pas si bien connu que ça au Québec, le stock-car !
C’est un mix entre une course de voitures et un « Derby demolition ». Les voitures peuvent se rentrer dedans et dans le cas der cette course là, qui s’appelle L’enfer, qui se tient à St Félicien dans le Nord du Québec près du lac St Jean, les voitures tournent et se rentrent dedans. Elles ont 150 tours à faire. Au début, il y en a 1100 environ sur la ligne et à la fin il en reste selon les années 10 ou 15. Cette année là, 17 je crois…

Martin Bureau souhaitait partir sur quelque chose de très différent du cinéma classique…
Ce projet a été coproduit par Spira et l’Office National du Film et les cinq cinéastes choisis devaient faire des courts métrages de cinq minutes tournés en 4K et qui soient innovants. On voulait surtout qu’ils sortent d’une forme traditionnelle et je pense que Martin y a bien réussi. On avait été chercher des cinéastes qui sont déjà dans cette démarche. Ça n’a pas été trop difficile pour Martin Bureau de faire ce film là sous cette forme…

Avec une part de risques quand même, notamment pour la production, puisque confier son matériel pour aller comme cela au cœur de L’enfer
Bon, il y a des assurances… Mais tout s’est bien passé et le film a même eu un très beau parcours en festival avec des événements assez prestigieux ( Cannes short film festival…). Je ne sais pas comment vous l’avez reçu ici… ( rire )

Ben pour moi c’était une expérience fabuleuse, un des temps forts du festival et toutes les personnes qui m’en ont parlé ont beaucoup apprécié… C’est très travaillé au niveau du son. Il y a une écoute, une vision. On est à la fois dans le réel et dans le mouvement, dans une pure vision cinétique… Vous avez beaucoup de projets expérimentaux de cet ordre à Spira ?
Nous soutenons toutes les formes. Dans le fond, que ce soit fiction, documentaire ou expérimental, on laisse les cinéastes créer à leur guise.

Catherine Benoît à la table ronde "Le cinéma québécois au féminin" au festival 48 images seconde de Florac © Éric Vautrey 2017

Catherine Benoît à la table ronde « Le cinéma québécois au féminin » au festival 48 images seconde de Florac © Éric Vautrey 2017

Animation ?
L’Animation, on en fait moins.

C’est plutôt le terrain de chasse de l’ONF  ?
De l’ONF et à Québec, il y a un centre d’artistes qui s’appelle la Bande vidéo et qui se trouve dans le même bâtiment que nous. Eux font plus d’animation et d’installations. Et c’est aussi que les caméras que nous pouvons mettre à disposition font moins besoin dans le cinéma d’animation ou ce n’est pas la première des priorités. On leur laisse ce terrain là. Notre expertise se porte plus sur le court, moyen et long métrage, mais aussi sur le film de Danse. Mais bon, tant que les cinéastes nous proposent un projet où une histoire est racontée, nous on est là pour eux. Je pense que la pluralité des démarches et des projets ne peut qu’être bénéfique à l’ensemble de la création.

Un événement ou projet en vue chez Spira ?
Oui, on fête nos quarante ans cette année donc on remonte dans nos souvenirs tout en continuant nos multiples projets…

Remerciements : Catherine Benoît, Festival 48 images seconde : Guillaume Sapin, Dominique Caron, Pauline Roth et Jimmy Grandadam ( association la Nouvelle dimension ). Photos du festival  (dont photo de tête avec Catherine Benoît et Daniel Racine ) : Eric Vautrey. Moyens techniques : Radio Bartas et Camille Jaunin.

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