Des jeunes gens mödernes

Saluons la sortie de ce documentaire musical, généreux et exhaustif, qui restitue la mémoire des années météorites 1978-1983, soit la mouvance post-punk, cold wave et növo dans la France de l’entre-deux Giscard et Mitterrand.

Daho Jeunes gens

Le fil rouge du film part d’un article publié en 1980 dans la revue Actuel clamant« Les jeunes gens modernes aiment leurs mamans » où les membres de groupes emblématiques de cette période, posent avec leurs mères : Marquis de Sade, Stinky Toys… D’ailleurs comme le relève malicieusement Etienne Daho, « moderne » était un terme gimmick à l’époque : la revue Un regard moderne, les groupes Modern Guys, Mathématiques Modernes… En 2008, la galerie Agnès b. consacre une exposition à cette scène française, tout simplement intitulée les « Jeunes Gens Mödernes ». Fort des interviews réalisées dans le cadre de cette manifestation, Jean-François Sanz, commissaire de l’exposition, décide alors de prolonger l’expérience avec ce film.Véritable kaléidoscope, Des jeunes gens modernes a le mérite de pouvoir aussi bien replonger l’érudit rock dans ses madeleines début 80 que d’instruire le néophyte. D’ailleurs, même le spectateur initié découvrira des pépites tels les groupes Ptose, Tokow Boy…ou ce tube crypté dont le refrain résume bien une tendance « poudrée » de l’époque : «  L’amour transfigure plus que la piqure ». Malgré la froideur de ces années romantiques et nihilistes, une émotion se dégage du film, due aussi aux témoignages de grands, hélas ! disparus depuis, tels Daniel Darc, Edwige, Jacno. Ce dernier, élégant co-leader des Stinky Toys, seul groupe français à s’être exporté avec succès dans la scène punk londonienne, répond avec humour au titre :« Est-ce que j’étais jeune ? Oui. Gens ? pas sûr. Et moderne ? Reste à voir ».

 Actuel Jeunes Gens

Fort d’un impressionnant arsenal d’archives et d’entretiens, le documentaire de Jean-François Sanz, co-écrit et monté par Farid Lozès, résume bien le mélange de pose dandy et de naïveté de l’époque, que ca soit en voyant les tous jeunes Daniel Darc et Mirwais de Taxi Girl dans le métro ou la splendide Elli Medeiros (deuxième moitié des Stinky Toys ) déclarer crânement à la télé qu’elle ne se souvient pas de leur concert, elle était saoule ….Ce documentaire a également le mérite d’inviter d’autres films consacrés au sujet tels Accélération punk de Robert Glassman, Punk ? de Georges Rey, La brune et moi de Philippe Puyoucoul et des vidéos de René Licata, archiviste de l’underground depuis près de 40 ans. Les jeunes gens rappellent les fondamentaux de l’époque : le DIY : littéralement « fais-le toi même » état d’esprit hérité du punk, le bricolage qui en découle, brillamment illustré ici par les illustrateurs Kiki et Loulou Picasso, l’utilisation et la confusion des symboles, la provocation, l’esprit indépendant et frimeur, dissident de la disco, autre grande tendance musicale début 80 et des punks radicaux liés aux squats, tels Lucrate Milk et les Bérus. Un des témoins récurrent du film, Philippe Pascal, leader de Marquis de Sade, revient avec finesse sur les traces de ce« shaker de références culturelles de l’époque. On utilisait les références, on les intégrait à notre musique, on essayait de trouver de nouvelles règles ». Les influences sont nombreuses et prouvent que ce mouvement apparemment désinvolte et esthétisant avait du fond, recyclant l’expressionnisme allemand, les groupes anglais de la fin 70, etc… Le film de Sanz restitue bien ce télescopage. Seul bémol : une volonté parfois systématique de filmer à ras de crane les entretiens, des effets 80 d’écrans zébrés, parasités… Ces astuces visuelles paraissent redondantes par rapport à un récit assez parlant pour se passer de ces afféteries.Ca n’enlève rien au plaisir qu’on a de voir s’entrechoquer les témoignages, défiler des personnalités aussi variées qu’Edwige la reine des punks et physionomiste de la boite de nuit mythique de l’époque, le Palace, Jean Rouzaud du magazine Actuel qui se félicite du fait que tous les courants musicaux étaient déjà, la pétulante Lio qui synthétise bien l’époque « Il y avait de la rage dans les années 80 » ou encore Serge Kruger, organisateur de soirées, revenu de « la poudre et des mondanités ». Comme le rappelle avec humour Philippe Pascal « C’était beaucoup d’attitude » à l’instar du leitmotiv de l’excellent morceau d’un groupe phare de l’époque, produit par John Cale, Marie et les garçons dont le chanteur Patrick Vidal scandait au moins quinze fois le mot attitude ! Le film ne fait pas que revenir sur un passé révolu mais évoque aussi des relais : le juvénile Etienne Daho fait jouer à Rennes, sa ville natale, son groupe culte Stinky Toys, puis Jacno produit son premier album ; les musiques électroniques à venir sont en germe dans cette époque plutôt progressiste.Comme le fait remarquer Kiki Picasso du collectif Bazooka «  Si certaines de nos images passaient aujourd’hui, on serait mis au banc de la société ». Ces jeunes gens étaient et sont encore décidément vraiment modernes. Et moins velléitaires que certains témoignages pourraient le laisser à penser. Depuis la réalisation de ce film, Marie les Garçons s’est reformé en intégrant une autre génération de musiciens.

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Salutaire survol d’une époque, riche artistiquement et trop peu évoquée sur nos écrans, Des jeunes gens mödernes enthousiasme par ses archives prolixes et ses entretiens, rendant hommage à une parenthèse particulière, entre la fin des années Giscard, le règne du Palace, bientôt en rivalité avec la deuxième discothèque culte de l’époque, les Bains et hélas ! aussi l’avènement du sida. Une période à la superficialité et à la sophistication assumée, quoique… Laissons le mot de la fin à Kiki Picasso «  On avait une approche politique psychédélique »

 

PS : l’édition DVD offre des rencontres bonus avec les regrettés Jacno et Edwige et le précieux Philippe Pascal qui incarne bien l’intégrité de certaines artistes de l’époque, loin des calculs médiatiques et des plans de carrière.

 

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