Parmi les invités du dernier festival Itinérances, Emmanuel Caussé et Eric Martin défendent haut et fort leur singularité dans le paysage cinématographique français, quand d’aucuns voudraient les mettre au placard. Leur dernier opus, Simon, est en effet menacé de passer aux pertes et profits dans une traditionnelle valse des équipes aux commandes des chaînes télés qui finit par épuiser les producteurs. Mais Martin & Caussé ( leur nom à l’écran ) n’ont pas pas plus que leur héros de temps à perdre. Pour que le vrai Simon, avec qui ils ont écrit ce film superbe, ne soit pas oublié et parce que le public d’aujourd’hui comme les réalisateurs avant lui, ont besoin des enseignements, vitaux, de Simon. La preuve par l’exemple : on sent rarement dans une salle pleine une telle communion entre un film et son public. Une nappe d’émotion tellement palpable qu’elle nous recouvre comme du coton. Et les questions fusent, les échanges se poursuivant après les débats. Des images nous hantent car Simon est un film qui accompagne longtemps après sa projection. Il est donc urgent qu’un distributeur digne de ce nom y jette les deux yeux. Et toutes ses forces dans la bataille…
On comprend que ces « éthiopiques » du cinéma français – deux langues, quatre mains, quatre oreilles – soient intarissables… Un peu comme le débat en stéréo entre le Lonely planet et le Guide du routard en plein folklore de la zone mondiale. Rencontre du troisième type avec deux duettistes passionnants et exaltés !
Comment s’est fait la rencontre avec le véritable Simon qui a inspiré le film ?
Caussé : Simon était un jeune homme qui souffrait d’un sarcome d’Ewing, une forme de cancer qui s’attaque aux os plats. C’est le fils d’amis à moi. A 17-18 ans, il ne souhaitait plus vraiment se soigner et son père m’a dit « Écoute, Simon ne va pas très bien. Il adore le cinéma. Vous ne voudriez pas raconter son histoire ? ». On a rencontré Simon avec Éric, on a discuté pas mal avec lui et finalement on s’est rendu compte que son histoire était vraiment unique et émouvante : celle d’un adolescent qui se bat pour vivre, alors qu’il a une épée de Damoclès au dessus de la tête. On a passé plusieurs mois à écrire ce scénario chez Simon qui avait loué un appartement. On venait le voir le matin, Éric faisait la vaisselle…
Martin : Je suis un peu psycho-rigide en fait ! Je déteste quand t’arrives quelque part et que tout est dégueulasse, qu’il y a des bouteilles de whisky partout, des pétards à moitié allumés. Parce que c’était une époque où Simon avait repris goût à la vie depuis qu’on écrivait le scénario avec lui. C’était redevenu un adolescent comme un autre. Et un ado comme un autre, ben il picole, il fume des pétards. Donc j’étais obligé de faire un petit peu la femme de ménage et la police. ( en riant ) Ce que d’habitude, j’aime pas du tout faire dans la vie !
Caussé : On a passé presque une année à écrire cette histoire avec ce môme. Au départ, c’est son histoire mais il a très vite joué le jeu de la fiction, c’est à dire qu’il a pu créer un personnage qui lui ressemble mais qui lui permette aussi d’extérioriser des choses qu’il n’avait pas pu faire dans la vie. Finalement, le vrai Simon, en écrivant le scénario, au lieu de dire : « Moi j’ai fait » ou « J’aurais fait… » a fini par dire : « Simon pourrait faire ci, pourrait faire ça… ». C’était assez génial, c’était un moment… ( ému ) un moment fort.
Pour recommencer ce travail d’écriture, vous disiez que vous aviez grosso-modo, gardé la trame de sa vie. Vous êtes repartis avec lui de la réalité des personnages ? Comment avez-vous procédé ?
Caussé : Ce qu’on raconte, c’est l’histoire d’un adolescent normal qui se retrouve dans une situation anormale, c’est à dire celle d’avoir une maladie extrêmement grave qui met sa vie en péril. Mais avant tout c’est un film sur l’adolescence, une adolescence générique. Donc on n’a pas cherché spécialement à créer des effets spectaculaires sur l’histoire. L’histoire, c’est un môme qui se bat pour sa vie mais qui se bat pour vivre intelligemment, pour faire plein de choses. Parce que même s’il lui reste peut-être peu de temps à vivre, moins de temps que ses camarades et d’autres gens, pendant le temps qui lui est imparti, il souhaite agir : faire des films, organiser un concert pour ses potes dans son bled de merde où il ne se passe jamais rien. En fait, dans la vraie vie, c’est ce qu’a vécu Simon et on s’est basé sur cette trame là.
Pour ce qui est de la maladie, vous vous aviez une expérience personnelle du milieu hospitalier ?
Martin : Je n’avais pas d’expérience du tout ! Manu en avait parce qu’il connaissait Simon et il lui avait rendu visite à l’hôpital. Pour moi, c’était vraiment un choc parce que je ne connaissais pas du tout ce que pouvait être la maladie d’un adolescent, ça n’existait pas dans ma tête. C’était spécial quand même, parce que tu travailles avec quelqu’un dont tu te demandes en permanence s’il va continuer à vivre. Quand on écrivait, il pouvait s’endormir sur le canapé. A un moment je crois qu’il avait un espèce de truc dans le bras qui lui balançait de la morphine. Donc moi ça m’a choqué… Mais en même temps, au fur et à mesure, il n’y avait plus ce rapport enfant – parents ou vieux-ados, car on a l’âge de ses parents en fait. On est vraiment devenus potes. Lui nous a livré beaucoup de choses et on a mis beaucoup de nous sur la table. Un gros rapport de confiance s’est installé. Et après… le rapport de confiance… quand tu vois vraiment comment finit l’histoire, ben… c’est abominable. C’est terrible de commencer à faire un film en te disant que peut-être, la personne dont tu parles et avec qui tu travailles, ne va peut-être pas le voir ! Ce qui est arrivé. ( silence ) Ça m’a foutu en l’air. J’ai même pas pu assister à son enterrement. J’avais réservé des vacances que je ne pouvais pas annuler. Et pendant ce temps, le gamin allait se faire incinérer au Père Lachaise. J’ai appelé ses parents, j’étais mal. Son père m’a dit « Va-t-en, pars en vacances, t’as pas besoin d’être là… ». C’était horrible.
Caussé : Ce qui est assez paradoxal, c’est que malgré notre écart d’âge, il nous a appris énormément de choses. Finalement, petit à petit il nous a aussi libéré par rapport à la maladie. On en a rigolé souvent. Ça a été un échange assez riche. Le perdre… Pour sa famille, c’est monstrueux. Mais pour nous ( petite voix ) ça a été très dur parce que finalement ce môme, on en a fait notre pote, notre petit frère, notre fiston, enfin c’était un mélange de tout ça. On a passé presque un an avec lui…
Martin : …tous les jours !
Caussé : … à échanger sur des sujets très profonds, parfois des sujets que les parents n’abordent pas avec leurs propres enfants, c’est certain ! Il y a beaucoup de parents qui ne vont pas parler de sexualité avec leur enfants, qui ne vont pas parler …
Martin : …de drogue…
Caussé : Oui, de choses comme la drogue et de choses profondes comme la mort, tout simplement. Il nous renvoyait l’échéance de sa propre mort en nous disant : « Ok les gars, vous êtes gentils mais vous avez quarante et quelques balais. Avec un peu de chance, statistiquement, vous allez encore vivre un bon paquet d’années alors que moi… »
Martin : C’était pire que ça, il nous disait « Vous avez de la chance, vous avez déjà vécu quarante balais ! Moi je vais pas y arriver ! » T’imagines ? C’est vachement dur…
Caussé : Il nous a remis en place. Après, la souffrance de Simon, c’est autre chose, c’est vrai que c’est très dur, c’est encore très dur et ça le restera toujours. Mais l’enrichissement que nous apporté Simon, c’est ce qu’on a voulu faire passer dans le film. On n’a pas réalisé un film sur la mort mais sur la vie. Quand tu sais que ta vie peut être plus courte que celle des autres, tu ne perds plus de temps. Simon faisait des photos, des vidéos, de la musique. Il ne s’arrêtait jamais… Il me disait « Je peux pas m’endormir le soir sans rien faire ». Des fois tu te laisses aller à regarder des conneries à la télé, à glander en mangeant des cacahuètes. Lui il ne faisait jamais ça ! Il nous a donné une leçon d’urgence !
Martin : Ce qui me fout vraiment les boules c’est que ça ne fait pas très longtemps qu’on a commencé à projeter Simon dans les festivals et là, on a pu voir la réaction du public. On ne savait pas du tout comment allait être reçu le film et pendant les projections, on a vu des adolescents en larmes, très émus. Et qui rient aussi car le film ne sombre jamais dans le pathos. Ça fait deux ans qu’on cherche et j’ai la haine que le film ne trouve pas de distributeur. On a l’impression que le cinéma français est en train de tuer deux fois Simon. Pourtant, on a de bons retours. Certains nous disent : « Oui, c’est un très beau film, les acteurs sont magnifiques mais c’est un sujet trop difficile, aucune salle n’en voudra ! ». Pour moi c’est un discours qui ne passe pas. J’ai envie de dire aux distributeurs : « Venez dans les festivals, regardez un peu ce que les gens aiment comme films ! Sûrement pas les daubes que vous distribuez à longueur d’années ! » Les distributeurs sont malheureusement les seuls qui mettent leur argent dans un film, donc je peux comprendre qu’ils soient frileux. On aurait pondu une grosse bouse, on se dirait : « Bon qu’ils le sortent en sortie technique sur quatre-cinq copies, c’est normal… ». Mais là, vu les retours du public, on a vraiment les boules qu’il n’y ait pas UN distributeur en France qui sorte Simon. C’est lamentable.
Caussé : Moi je vais te retourner la question. Toi qui a vu le film, est-ce que tu considères que dans le paysage audiovisuel français, un film comme ça mérite d’exister, d’avoir sa chance ? On lui demande pas une carrière surréaliste. Juste qu’il existe ! Qu’il soit montré…
Sans aucun doute !!! C’est vrai que c’est incompréhensible ! J’y ai aussi pensé pendant le film. Peut-être que comme il arrive après le film de Valérie Donzelli, La guerre est déclarée, qui a fait un buzz énorme en salles, avec des critiques bonnes et mauvaises, très extrêmes… En apprenant que Simon n’était pas distribué, j’ai imaginé que les distributeurs s’étaient peut-être dits sur le papier « on a déjà vu ça ». Mais moi en découvrant le film, j’avais l’impression de voir un récit et surtout, un traitement radicalement différent. J’aime beaucoup le film de Valérie Donzelli, ça n’a rien à voir…
Caussé : Nous aussi…
Martin : C’est un argument qui ne tient pas qu’un distributeur dise : « J’ai déjà vu ce film là ». Leurs comédies sentimentales pourries filmées dans des appartements du 16ème arrondissement de Paris qui ne racontent rien, on en voit cent par an. Résultat, le cinéma français est complètement nivelé vers le bas. C’est un cinéma qui n’a plus de courage, qui n’a plus aucune intention, c’est un cinéma propret et qui ne parle plus de rien. Un cinéma BOURGEOIS ! Franchement, s’il faut faire ce genre de films pour faire du cinéma, moi j’ai plus envie…
Je ne suis pas inquiet pour Simon outre mesure. C’est peut-être un peu long à venir, mais quand on a réussi l’essentiel, c’est à dire le film. Tôt ou tard, il sera distribué…
Caussé : Malheureusement, c’est pas le cas.
Martin : Ça suffit pas.
Caussé : Ça ne marche pas comme ça ! Le film n’était pas conçu pour le cinéma au départ, donc il n’y a pas eu d’engagement du distributeur en amont du projet. Et c’est toujours délicat de les faire venir après.
C’était en fait un projet télé ??
Caussé : Au départ, oui, c’était un film destiné à Arte. Mais il s’avère que François Sauvagnargues, qui a commandité le film, a été démis de ses fonctions. La personne qui l’a remplacé a dégagé Simon. On s’est donc retrouvé à monter le projet pour le cinéma et c’est le CNC qui nous a sauvé la mise et nous a permis de le financer en partie. Mais je suis sûr qu’en France, il y a quelque part un distributeur qui peut s’occuper honnêtement de ce film et peut-être même gagner un peu d’argent.
A plusieurs égards, Simon m’a fait penser au travail que Larry Clark a pu conduire avec des ados. Parce qu’on est dans l’immersion, parce que la direction d’acteurs est excellente. Vous les avez trouvé où ces jeunes ? Certains avaient une expérience du jeu ou pas ?
Caussé : Zacharie Chasseriaud qui incarne Simon, le personnage principal, a commencé très tôt sa carrière. Dans les films de Bouli Lanners, notamment. Les autres comédiens, pour certains, ont été trouvés en casting sauvage. Notre directrice de casting est allée à droite à gauche chercher des gamins et nous en a ramené des tops.
Martin : Le copain de Simon par exemple, Loïc Lesel, elle l’a trouvé sur une piste de skate board. Il n’est pas du tout acteur mais il a vraiment assuré.
Caussé : Il y a aussi Garance Marillier qui est l’amie de Simon et qui est l’héroïne du film Grave qui cartonne en ce moment.
Martin : …et on a le capitaine Marleau dans le film ! Corinne Masiero, faut pas oublier ça quand même ! (rires) Qui est une actrice engagée politiquement, ce qui est très rare. Et Gustave Kervern, que j’ai connu en bossant pour Groland. On a quand même de bons acteurs !
La jeune fille qui interprète Agathe… Moi je l’ai trouvée très impressionnante. Est-ce que c’est plutôt une nature que vous avez fait émerger ou s’agit-il d’un rôle de composition ? Il me semble qu’elle a une présence extraordinaire…
Caussé : Elle s’appelle Léa Rougeron. Quand on l’a choisie, c’est en effet pour sa nature, parce qu’elle dégageait quelque chose d’un peu moins propret que les autres jeunes actrices qu’on a castées. Elle, elle avait un côté un peu plus « toxique »… Physiquement, elle dégageait quelque chose de différent. Mais il n’a pas suffi qu’elle soit elle-même dans le film. Aucun des comédiens n’a été lui même ! C’est paradoxalement un film qui est très écrit… On voulait aussi se rapprocher d’un langage qui soit crédible, qui ne soit pas connoté dans le temps et qui puisse traverser les époques. Qui soit en même temps accessible aux jeunes et qu’ils n’aient pas l’impression que le film ait été écrit par des mecs de quarante ans. Simon nous a donné son langage, puis on a retravaillé certains dialogues avec les gamins au moment des répétitions pour que les mots soient crédibles dans leurs bouches, qu’ils se sentent à l’aise avec ce qu’ils avaient à dire. A côté d’eux, tu as une nature comme Corinne Masiero, très typée avec son accent du Nord et qui est une merveilleuse actrice. On aime bien les acteurs qui dégagent par leur personnalité quelque chose de fort. Gérard Depardieu par exemple qui a joué avec elle dans Capitaine Marleau, c’est un génie mais en même temps, il vous en met plein la gueule, ne serait-ce que par sa présence…
Martin : Ouais sauf que Corinne Masiero paie ses impôts en France, elle ! ( rires ) C’est toute la différence !
Revenons à Zacharie Chasseriaud, parce qu’on est justement face à un acteur qui est à la fois physique et cérébral, qui a quelque chose de magnétique… Vraiment. Je ne veux pas trop faire de flatterie, mais c’est vrai qu’on pourrait le rapprocher de la stature de quelqu’un comme De Niro jeune… Là, il a un rôle en lien avec le corps et il va aussi dans tous les registres. Comment s’est-il préparé physiquement pour ce rôle, comment est-il rentré dedans et est-ce qu’il est sorti sans trop de problèmes de Simon ?
Martin : Pour moi, c’est un mystère. Je ne sais pas comment il a réussi à jouer ce rôle… Tu parlais de De Niro et Manu de Depardieu tout à l’heure… Zacharie Chasseriaud, c’est Depardieu jeune. Pourquoi ? Parce qu’il est capable de balancer quarante conneries à la minute avant de tourner une scène hyper émouvante. Mais quand on crie « Moteur ! », il est dedans à 150% et dès que la scène est finie, il repart illico dans ses délires. Mais il a une puissance de jeu phénoménale !
Caussé : Il y a aussi des acteurs qui fonctionnent de manière très cérébrale. Gustave, qui joue le père de Simon, c’est un réalisateur, c’est quelqu’un qui écrit. Avec lui, tu parles du personnage pour qu’il l’emmagasine et l’incarne. Il a plus besoin d’intellectualiser les choses, je crois. Zacharie et Corinne, travaillent plus à instinct, ce sont des caméléons qui ont la capacité de ressentir la situation. Après, c’est dangereux quand un acteur est trop bon acteur, il peut finir par être trop acteur à l’écran. Ce n’était pas non plus ce qu’on voulait.
Parlons un peu de la réalisation. Il n’y a pas que les acteurs qui font la qualité du film, loin s’en faut, ni que l’écriture ou la force du sujet… Il y a aussi un beau travail de mise en scène. Vous avez intégré différents régimes d’images, différentes qualités d’images aussi. Cette demande venait-elle de vous à la base ou est-ce qu’elle émanait de Simon, puisqu’il faisait aussi beaucoup de choses de son côté ?
Caussé : Au départ, on s’était posé la question d’une narration extérieure, type voix off et quand Simon travaillait avec nous, il faisait toujours beaucoup de photos, de vidéos, de musique. Alors on s’est dit « Mais, attends, toi tu racontes ta vie à travers l’expression artistique. Ce serait intéressant au lieu de faire une voix-off, de faire plutôt un journal vidéo ». Ça nous permettait aussi de décaler le film dans le temps. On ne sait pas s’il parle réellement au moment où il filme ou si c’est finalement après coup et si c’est une façon de laisser un testament à travers ses vidéos.
A un moment, on entend Simon dire : « Qu’est-ce que je vais laisser derrière moi ? »
Martin : Oh ben alors ça, y a pas que les jeunes hein ! Je crois que chaque humain essaie de laisser une trace sur cette planète. C’est complètement débile d’ailleurs parce que s’il y a une guerre nucléaire, ta trace, il n’en restera rien, que tu sois acteur ou réalisateur…
A plusieurs reprises, vous prenez du recul dans le film, ce qui ne se fait plus tellement aujourd’hui. Vous installez des plans d’ensemble où on voit les personnages dans leur environnement. On a l’impression que le monde autour est vivant. Ça c’est quelque chose que vous aviez prévu au découpage, au tournage ?
Caussé : Oui effectivement, on a essayé d’installer des scènes qui nous paraissaient réelles. C’est pas un film ostentatoire, il n’y a pas d’effets dans le film.
Mais c’est pas non plus du naturalisme comme…
Caussé : Non, c’est pas du naturalisme chiant !
Martin : En fait, t’as l’impression de voir la tranche de vie très réaliste d’un gamin. Mais c’est quand même du cinéma parce qu’il faut savoir que le film a été entièrement storyboardé. Comme on avait pas de pognon et à peine 29 jours de tournage, on a été obligé de dessiner plan par plan ce qu’on voulait. Évidemment, on changeait d’idée à peu près tous les jours. On disait « Ah ben non, là le story-board il est pas bon, faut trouver autre chose… ». Mais tout a été énormément préparé.
Le film est aussi basé sur la musique, d’autant que Simon va organiser un festival rock. Il s’ouvre donc sur un concert de punk. Or on a plutôt l’habitude d’entendre du hip hop, du rap dans les films consacrés à la jeunesse aujourd’hui. Est-ce que le rock était un choix de Simon ou c’était aussi par rapport à vous goûts musicaux ?
Martin : Simon a vraiment créé ce festival dans la réalité et il n’a pas fait venir de groupe de hip hop, il a fait venir des groupes de rock. Donc on s’est dit, on va faire comme Simon. C’est peut-être une connerie d’ailleurs parce qu’on aurait fait le film en banlieue avec des groupes de rap, je pense qu’on aurait trouvé un distributeur et un pré-achat télé. En plus, il se trouve que parallèlement à la réalisation de Simon, on était en en train de travailler sur un documentaire sur Bérurier Noir. C’est pour ça qu’on voit à l’écran les Ramoneurs de Menhirs avec Loran, l’ex-guitariste des Bérus.
Il m’avait bien semblé et c’est pour ça que je me demandais si vous aviez voulu vous faire plaisir, puisque moi aussi j’avais l’âge de Simon quand j’écoutais Bérurier Noir ( rires ).
Caussé : Honnêtement quand ils ont accepté de venir, c’était fabuleux. En plus ils ont ramené pleins de fans pendant le tournage…
Martin : Deux cent personnes !!
Caussé :…qui ont fait parfois 800 kilomètres pour assister à leur concert et venir faire de la figuration dans le film, avec une énergie folle.
Martin : Un grand merci à tous les Ramonés, à tous les fans des Ramoneurs de Menhirs !
Caussé : Au début on avait pensé à Pete Doherty… Mais c’est compliqué pour le joindre. Il faut carrément s’adresser à son épicier ( rires ) Non mais je rigole pas en plus… Ça nous a saoulé parce que ça faisait six mois qu’on essayait de lui parler et à un moment donné, on s’est dit : « Mais qu’est-ce qu’on s’emmerde avec ça ? »
Martin : Ce qu’on voulait, c’est de l’énergie. Et avec les Ramoneurs, on l’a eue !
Caussé : Et puis là, on parle d’un espèce de noman’s land culturel qui n’est jamais filmé, qui n’apparaît pas au cinéma…
La région de Senlis, c’est ça ?
Martin : Oui, c’est juste après la banlieue… C’est vraiment des zones où il n’y a rien culturellement. C’est des lotissements, y a que dalle quoi ! Juste des champs de betteraves ou de patates…
Caussé : Au fin fond de la Seine et Marne, on a tourné !
Martin : …et aussi près de Roissy.
Vous disiez que du côté de la famille de Simon, ils ne sont pas encore prêts à visionner le film ?
Caussé : Êtres prêts, c’est impossible ! C’est une famille, c’est une sœur, un père, une mère qui ont perdu un des leurs après sept ans de maladie. Ils ne seront jamais guéris de ça. On ne guérit pas de la perte de son enfant.
Non, mais ils pourraient avoir besoin du film, peut-être, à un moment donné…
Caussé : Il s’avère qu’on a fait un choix, on ne veut pas montrer le film en projo privée aux parents, qui font pourtant partie intégrante du projet depuis le début. On souhaite qu’ils puissent le voir en public. On sait que ça va être l’explosion nucléaire dans leur tête et la façon dont ils vont appréhender le film va être assez violente, parce que même s’ils ne s’y reconnaissent pas, ils vont trouver des choses très intimes, d’eux et de ce qu’ils ont vécu et qui est extrêmement douloureux. On veut vraiment qu’ils soient entourés de spectateurs la première fois, car ce qui peut les guérir de ce choc là, c’est de voir que le film transmet énormément d’émotion aux autres.
Cette réussite artistique, elle n’est pas venue de nulle part. Vous aviez tous les deux fait des choses auparavant, séparément ou à deux ?
Martin : On a tourné un film pour Arte qui s’appelait, Lettres de la mer rouge, sur la vie
d’Henry de Monfreid, un aventurier du début du siècle qui vendait du haschich, des armes en Éthiopie. Il y a avait eu un téléfilm mais tourné au Maroc dans les années 70 ( Les secrets de la mer rouge, 1968 ). Nous on a dit « Non, si on y va, on va vraiment en Éthiopie. Comme ça, on va sur les lieux où a vécu Henry de Monfreid ». Qu’est-ce qu’on avait pas fait ! Parce qu’on s’est retrouvé dans un chaos hallucinant. Je ne sais pas si tu as vu le film de Terry Gilliam, Lost in la Mancha, sur le tournage de Don Quichotte ? Nous on a vécu ce chaos là multiplié par dix ! Sauf que le film, on l’a ramené. On a eu des inondations, tout un tas de catastrophes, on a failli se faire tuer quatre ou cinq fois. Mais franchement, c’est mon meilleur souvenir de cinéma !
Caussé : Ah ouais, c’était génial ! Une expérience de vie !
Martin : Par exemple, il fallait reconstruire un marché du début du siècle dernier. Les Ethiopiens n’avaient jamais connu ça, être habillés comme en 1900. On leur avait dit : « Ne vous inquiétez pas, toute la nourriture du marché va être redistribuée équitablement à la fin de la scène. ». Les gens ont été adorables pendant tout le tournage. A partir du moment où on a dit « Coupez ! », on a assisté à un pugilat dément, des gamins se sont fait défoncer la gueule à coup de pierres. Et là, tu te poses des questions quand même, parce que tu te retrouves au milieu d’un chaos que tu ne voulais pas créer. C’était la folie totale ! On a vécu des trucs ultra roots…
Caussé : Un trip à la Monfreid quoi… Et Il faut s’imaginer que le chef déco – ultra expérimenté, qui a fait énormément de films – a mis trois jours pour trouver une boite de clous ! Quand tu en es là, ça devient très compliqué. Si un gars doit se rendre avec un cheval sur un décor qui est à quarante kilomètres, il part une semaine avant parce qu’il y va à pieds. Les flics nous ont aussi retenu pendant neuf heures parce qu’on avait pas le récépissé de la photocopie du récépissé de l’autorisation pour passer d’une région à une autre.
Martin : Quand tu faisais un casting par exemple, quatre tribus éthiopiennes arrivaient sur un terrain de basket et les chefs faisaient la loi à coups de casse-tête. Et tu ne pouvais rien dire, parce que c’est comme ça qu’ils fonctionnent. Un jour, un chef de tribu, vraiment très impressionnant physiquement, est venu me voir et m’a dit : « Viens avec moi ! ». Je croyais qu’il allait me tuer le mec ! Il m’a montré le paysage alentour et m’a dit : « Tu vois tout ça, là ? Tout ce pays, c’est à moi ! Tu veux venir chasser le lion avec moi demain ?» On a aussi été invités chez des mecs qui avaient des portraits de Ben Laden sur les murs. Mais des mecs super gentils, bizarrement. Ils étaient curieux en fait ! Ils ne comprenaient pas par exemple qu’on n’ait pas de dieu. Il fallait qu’on leur explique pourquoi on était athées… ( il repart au quart de tour ) Autre anecdote : un jour, notre assistant a été dans un village Oromo pour le casting . Mais les guerriers avaient appris qu’on avait déjà fait un casting dans la ville à quarante kilomètres. Le chef du village a dit « Non, non, non ! Là, il faut pas nous manquer de respect. Vous avez fait un casting à Harar, nous on veut être traités comme les autres ! ». Et ils ont fait quarante bornes à pieds pour se faire photographier en ville pendant vingt secondes !
Caussé : …et ils sont repartis !
Martin : Cinq minutes après !!…. On a aussi recréé une procession d’Haïlé Sélassié. On a même été obligé de pacifier deux tribus pour pas qu’ils s’entretuent sur le tournage. On les avait installé dans un hôtel, mais l’hôtel, ils ne connaissaient pas, ils ont chié partout dans les douches. Parce qu’ils ne savaient pas non plus à quoi servait une douche…
Caussé : Mais des gens vraiment fiers, adorables. Il faut savoir que les Ethiopiens n’ont jamais été colonisés.
Martin : Jamais !
Caussé : Enfin quasiment pas… Les italiens sont venus mais ils ont fini par les découper à la machette ! En tout cas, on a fait des rencontres très fortes et eux aussi, je pense qu’ils s’en souviendront toute leur vie. Comme toute notre équipe d’ailleurs !
Ils ne vous ont pas rejeté à la mer à la fin, comme les casques bleus à Mogadiscio ?
Martin : ( rire ) Ceci dit, on a vu la différence avec un pays qui lui, a été colonisé parce qu’après on est parti tourner à Djibouti. Un pays bouffé par le pognon. Djibouti, c’est Mad Max ! Tu sors de la ville, t’as des camions rouillés partout. Sans parler des putes, des légionnaires et des GI’s qui se foutent sur la tronche en permanence. En plus, comme en Ethiopie, ils mangent tous une drogue qu’on appelle le Kat. Tu veux prendre un taxi, le mec se retourne, il a la bave verte, il est complètement défoncé ! A partir d’une certaine heure, tout le pays est stone et si tu veux aller voir un fonctionnaire, il faut aller voir un fonctionnaire « dekat », c’est à dire qui n’a pas mangé de Kat.
Et avec tout ça, ils ne flippent pas au niveau de la production quand ça se passe comme ça ?
Martin : Ben non parce qu’à Arte, ils ont vachement assuré en fait ! On a eu un excellent producteur, Pierre Javaux. Le staff d’Arte est venu une seule fois sur le tournage. Quand ils ont vu les rushes, ils ont dit « Ok, on vous fait confiance !» et ils sont repartis. Personne ne nous a pris la tête !
Alors, on va rappeler le titre parce que maintenant, tous les lecteurs ont envie de voir ce film !!
Martin : Ça s’appelle Lettres de la mer rouge...
Caussé : La vie d’Henry de Monfreid, écrivain, aventurier, trafiquant.
Donc c’est un film qui a été diffusé sur Arte ?
Caussé : Oui, deux fois. Il a été commandité par François Sauvagnargues qui était le directeur de la Fiction d’Arte (de 2003 à 2011 ) et qui est aujourd’hui au FIPA, un mec extraordinaire. Et le film a été écrit par Gilles Taurand, le scénariste d’André Téchiné.
Quant au documentaire sur Bérurier Noir, on pourra le voir quand ?
Martin : Fin 2017, début 2018… Pour l’instant, on est en train de chercher l’argent, le projet est pas mal avancé. Benoit Délépine et Gustave Kervern vont sûrement le produire en compagnie de Beall Productions.
Caussé : Le sujet a l’air d’intéresser pas mal de gens. Il y a une certaine émulation autour du projet.
Il y a peut-être un besoin ?
Martin : Oui, on a voulu faire un passage de relais. Montrer aux nouvelles générations, qui d’ailleurs pour certains connaissent les Bérus, que dans les années 80 des gamins de 20 ans ont réussi à faire peur au gouvernement français avec trois masques et trois bouts de scotch. Grâce à eux, c’est tout le mouvement alternatif qui s’est créé hors show bizz ! Ce qu’on veut faire passer comme message, c’est que la lutte doit continuer. Avec les moyens qu’ont les jeunes à leur disposition aujourd’hui, internet par exemple, il y a moyen de semer encore un beau bordel !
Entretien avec Pierre Audebert pour Culturopoing et Radio Escapades. Moyens techniques : Radio Escapades. Remerciements Festival Itinérances, en particulier Julie Plantier, Julie Uski-Billieux et Eric Antolin, Emma de 3 B Productions. Photos: Patrice Terraz, Alix Fort et 3 B Productions.
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Pierre Audebert
Authormerci ! Plus on parlera du film, plus on augmentera les chances qu’un distributeur ait en vie de le voir et de le sortir…
Cocaud
J ai connu Simon, amie de ma fille. Toujours plein de projets en tête à croquer l instant présent. En hommage à Simon, J’ ai été figurante durant le concert des ex béru vus à l Olympia pour la dernière fois.
Je suis vraiment navrée que ce film ne sorte pas en salle mais je vais partager au maximum.
Sylvie