Je débute le festival dimanche 6 juillet, avec un premier film en compétition, « Jauja » du « jeune » réalisateur argentin Lisandro Alonso (39-40 ans au compteur et une poignée de films remarqués). Nous sommes dans la deuxième salle du Louxor (140 places), ce qui pose d’emblée le caractère encore confidentiel du réalisateur et de son œuvre, malgré la présence dans ce film-là d’une vedette internationale : l’acteur Vigo Mortensen (remarqué notamment chez David Cronenberg). « Jauja » évoque le génocide des indiens durant la « conquête du désert » argentin à la fin du 19ieme siècle sans être une reconstitution historique ; Alonso s’inscrit dans la fable, le vagabondage imaginaire. Un carton, en amorce, établit le fond mythique du récit : soit la quête de « Jauja », un Eldorado argentin hypothétique, convoité mais jamais atteint.
Le film narre la quête d’un ingénieur de l’armée danoise, Gunnar Dinesen joué par Mortensen, venu prospecter dans la Patagonie aux cotés des soldats argentins. Sa jeune fille Ingeborg fugue aux bras d’un officier et Dinesen, désespéré, se met en route pour la retrouver. Il s’enfonce dans la Pampa, inquiété par un dément sanguinaire, une sorte de Capitaine Kurtz local, jusqu’à atteindre un paysage volcanique fantastique, aux confins de l’irréalité. Il en résulte un film audacieux et intriguant, volontiers lent et contemplatif, avec ses réussites et ses écueils. Assurément pas un film consensuel, mais très certainement l’un des plus singuliers de la compétition.
Mardi 8 juillet : un double programme avec d’une part « Chemin de croix » de Dietrich Brüggemann, consacré à Berlin par l’Ours d’argent du meilleur scénario, et « Sunhi », de Hong Sang-soo (HSS) ; deux films absolument aux antipodes : l’un pesant, au formalisme et au propos appuyés ; l’autre, au contraire, d’une légèreté de trait sans équivalent.
« Sunhi » a déjà été chroniqué dans nos colonnes. Nous dirons simplement qu’il ne dépareille pas dans l’œuvre du réalisateur sud-coréen ; d’une qualité constante mais sans changement radical. C’est une sorte de récapitulatif inventif, qui décline une nouvelle figure de l’incertitude après Haewon avec Sunhi, personnage féminin lui aussi. Le déplacement du masculin au féminin est le changement le plus notable des dernières réalisations de HSS. La connaissance de soi et la maturité, ou l’immaturité, restent l’horizon tragi-comique de personnages qui cherchent toujours à se définir dans le regard d’un tiers. Le film reste dans la veine ludique de ses derniers avec une combinatoire de paroles empruntées qui circulent d’un personnage à l’autre, produisant une impression de familiarité et un sentiment subtil d’étrangeté. Ce que l’on apprécie par-dessus tout (et qui peut être décrié par d’autres), c’est le défaut de prétention du sujet, des personnages et du filmage, qui est aussi une facétie de la part du réalisateur, pour masquer la sophistication d’un artisanat très élaboré : tels ces zooms maladroits et abrupts qui donnent malicieusement le change en simulant un amateurisme documentaire. (On s’étonnera au passage de voir ce film en lice pour une aide à la distribution alors… qu’il sort en salles le lendemain !)
« Chemin de croix » de l’allemand Dietrich Brüggemann est quasiment résumé dans son affiche ; elle montre une jeune fille posant en portrait « parodique » du Christ, couronne d’épines sur la tête, l’air exalté, déjà inquiétante. C’est Maria, une catholique fervente de 14 ans qui s’apprête à passer sa confirmation. Persuadée qu’elle pourrait sauver son jeune frère de l’autisme en s’offrant à Dieu, elle commence à se priver d’habits et d’alimentation… Les 14 étapes qui suivent – le chemin de croix de Maria – sont montrées dans une série de longs plan-séquence, caméra fixe, découpés par des encadrés noirs comme autant de barreaux qui enlèvent toute possibilité de s’échapper, à l’héroïne comme au spectateur. Il faudra subir cet itinéraire qui oscille entre l’empathie et la charge appuyée contre « l’intégrisme » catholique. La jeune adolescente est présentée, malgré sa propre folie sacrificielle, comme la victime d’un environnement familial oppressant, et surtout d’une mère rigoriste qui la harcèle sans répit.
On ne sait pas très bien, si la solennité de la mise en scène et la rigidité de la forme, sont une manière de moquer le mysticisme de Maria, la vue bornée de son milieu, ou de célébrer, littéralement, son accès à la sainteté. Il y a quelque chose de faux, ou d’un peu indécis, à condamner d’un côté, et à « héroïser » de l’autre. C’est comme si le film produisait simultanément, un discours et un contre-discours, avec une hauteur de vue assez désagréable ; il se joue alternativement de la crédulité du spectateur, puis de son mauvais esprit, tout acquis, envers le fanatisme religieux. Reste Lea van Acken, la jeune actrice remarquable qui interprète Maria, et l’invention indéniable dont fait preuve Brüggemann dans ces fameux plans-tableaux. Le film ne démérite pas complètement, loin de là, mais impossible de souscrire à son surplomb accusateur, dépourvu de nuances et quelque peu misanthrope (sortie prévue le 29 octobre 2014 (Mémento)).
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