Ça sent la fin, dernière soirée au Louxor, en ce samedi 12 juillet, et projection du film le plus insaisissable de la compétition : « L’institutrice » de l’israélien Nadav Lapid (déjà remarqué avec « le Policier », un très bon premier film). Le réalisateur poursuit un chemin singulier, toujours adepte de mises en place narratives sinueuses et d’abruptes bifurcations. Ici, il est question de Nira, une institutrice de maternelle, qui découvre dans sa classe un jeune prodige Yoav. Le petit garçon invente spontanément des poèmes qu’il dicte sous une emprise mystérieuse. Cet évènement bouleverse Nira, elle-même passionnée de poésie. Elle participe à un atelier amateur et bientôt, y éprouve les poèmes de Yoav, en les reprenant à son compte. Le film va jouer sur l’ambivalence permanente de Nira, personnage en crise, dont on ne connaîtra pas les vraies motivations : protéger Yoav du monde extérieur ou exploiter son jeune génie ? Nira, qui a la quarantaine, est une femme insatisfaite : son couple manque de passion et ses enfants s’éloignent. Elle reçoit Yoav comme une providence, et lui voue rapidement un culte exclusif.
Au premier rang, un adulte semble narrer son ennui ou son inconfort de spectateur, à coups de SMS, allumant et éteignant maladivement son portable, pour taper un compte-rendu circonstancié : « mais qu’est-ce que c’est que ce film ? » Quelques personnes se lèvent pour sortir, ne faisant que renforcer notre sentiment d’assister à un film, ni banal, ni consensuel. Non que « L’Institutrice » soit un film abscon, austère ou difficile, mais simplement parcequ’on ne sait pas, à l’image de l’héroïne et de son discernement altéré, où le récit va nous mener. Lapid développe également un maniérisme formel, une suite de phénomènes sonores et visuels, comme ces panoramiques répétés, ou ces plans très rapprochés qui cognent contre l’œil du spectateur, et fabriquent un inconfort graduel ; manifestement, ils nous informent que quelque chose « cloche » dans la représentation ou dans le comportement passionné de Nira.
A certains égards, « L’Institutrice » peut rappeler l’aveuglement amoureux de Nicole Kidman dans « Birth » de Jonathan Glazer, car c’est un peu la même (auto)mystification qui est à l’œuvre : dans l’un, c’est une jeune veuve qui s’illusionne en croyant en la réincarnation juvénile de son grand amour ; dans celui-ci, c’est l’institutrice, qui voit dans l’immature Yoav, l’incarnation d’un génie poétique qui pourrait combler sa vie. Certaines scènes du film sont profondément déroutantes : il y a cette étreinte conjugale, brisée par un appel de Yoav, qui provoque chez Nira un transfert érotique immédiat ; cette longue scène de danse en boîte de nuit, défouloir grotesque qui fait suite à une récitation calamiteuse de poésies ; et toute la fin, que l’on taira délibérément. Lapid joue à exacerber les sensations et à déstabiliser le spectateur, par la proximité très charnelle des personnages, les pics sonores excessifs, les surexpositions, par des actes et des regards indiscernables.
En fin de course, « L’institutrice » s’impose comme un film assez étrange, animé par des mouvements aussi contradictoires et imprévisibles que ceux de Yoav ou de Nira. Sous l’apparence paisible des rituels ordinaires, à la maison, dans la rue, ou l’enceinte de la maternelle, couve un malaise qui se manifeste par à-coups. Le film « impressionne » et questionne durablement après la projection. Il est difficile d’en préciser le pourquoi, le sens, sinon de pointer cette relation très ambigüe qu’il développe entre le jeune enfant et son institutrice fascinée. Yoav est déjà un petit génie malfaisant, qui peut jouer ingénument sur son pouvoir de subjuguer, jusqu’à engendrer le fanatisme ou la convoitise d’autrui. Nira, comme l’étudiante révolutionnaire du « Policier », est un personnage faillible : manipulable et obsessionnelle jusqu’à la déraison. Elle est prête à confisquer Yoav, au prétexte de préserver son génie contre une société, tout à fait incapable de le recevoir. Le film reste aussi énigmatique que ses personnages impénétrables.
sortie prévue le 10 septembre 2014 (Haut et Court)
photographies © Itiel Zion
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