Saw de James Wan
Alors qu’on pouvait désormais le croire formaté et aseptisé, réduit à la morne routine des remakes des classiques du genre (Maniac, Massacre à la tronçonneuse, La Colline a des yeux…) ; le cinéma d’horreur contemporain est parvenu à conserver des zones en friche plus méconnues et perturbantes. C’est sur l’un de ces aspects que Pascal Françaix se penche en analysant la vague du torture porn, ce sous-genre apparue à l’orée des années 2000 et qui connut un certain succès commercial grâce aux séries Hostel et Saw.
Le « torture porn », mot-valise forgé par une critique d’abord soucieuse de dénigrer le genre, se caractérise par des histoires mettant en scène des victimes soumises à tous les sévices et brutalités imaginables. Dans un premier temps, Pascal Françaix revient sur la genèse d’un genre puisant dans les thématiques de divers courants du cinéma d’exploitation : les films de cannibales, la nazisploitation (avec « un même souci de théâtralisation » et « en recourant à une imagerie sadomasochiste très appuyée »), le slasher à la Vendredi 13, les films de rape and revenge et les faux snuff movies. Puis il analyse comment ce phénomène s’inscrit dans un contexte plus large que certains auteurs ont défini comme la postmodernité. Cette pensée postmoderne qui se manifeste par un certain « scepticisme envers les valeurs morales, politiques et culturelles » donne au torture porn une esthétique et des thématiques qui lui sont propres.
La force de cet essai passionnant, c’est la manière dont Pascal Françaix parvient à jongler entre son goût évident pour ce genre horrifique sur lequel il ne pose jamais un regard surplombant ou condescendant et sa capacité à prendre du recul, à pointer les défauts et les ambiguïtés dudit genre. On le sait, le torture porn a souvent fait polémique et a relancé les sempiternels débats sur la prétendue nocivité du cinéma d’horreur et sa manière d’exciter les instincts violents et sadiques de son spectateur. Il a aussi été taxé, bien entendu, de misogynie au regard des mauvais traitements infligés à des victimes féminines dans certaines œuvres.
C’est donc en partant de ces critiques et de ces reproches que l’auteur décortique le genre en s’appuyant sur de nombreuses études (la plupart anglo-saxonnes) et en le passant au prisme de nombreuses questions comme celui de la conscience politique, de l’image de la femme et de l’obscénité (montrer les états cachés du corps sur scène, pour prendre à la lettre l’étymologie du mot ob-scène)
Hostel : part 2 d’Eli Roth
Des grands succès du box-office (Saw, Hostel) au cinéma trash le plus underground (les films de Lucifer Valentine, de Fred Vogel…), Pascal Françaix dresse un panorama complet du genre et montrant avec érudition (mais sans pédantisme) en quoi il participe à la sensibilité post-moderne. Contrairement aux classiques du genre au contenu politique marqué (Romero, les premiers films de Wes Craven et de Tobe Hooper), les films relevant du torture porn se caractérisent souvent par le brouillage des cartes, des valeurs et par un cynisme, un nihilisme n’ouvrant généralement sur aucun horizon. Plutôt que d’assigner une étiquette définitive à chaque film (progressiste ou réactionnaire, féministe ou misogyne…), il décortique toutes leurs nuances de gris.
C’est, par exemple, avec une confondante intelligente qu’il analyse l’image de la femme dans ce cadre délimité et les apories d’une vision trop idéologique du cinéma : « si les films mettant en scène un antagoniste masculin et une femme victime sont taxés de misogynie, et que le renversement des rôles s’attire le même jugement, où est la possibilité d’une représentation positive de la femme dans les films d’horreur ? »
S’appuyant sur des exemples précis, il démontre que le genre mérite une approche plus nuancée et que les films sont souvent plus contrastés que ce compartimentage dans des cases étroites. L’un des aspects les plus stimulants de l’essai est la façon dont il montre que le torture porn a, à sa manière, interrogé la féminité, la masculinité, le rapport au corps pour en déconstruire les images les plus classiques. Les réflexions sur le rôle de la femme dans le rape and revenge (mis en parallèle avec les justiciers des vigilante movies) sont absolument passionnantes et tendent à montrer que l’ambiguïté idéologique du genre en fait aussi sa force et que ces œuvres s’inscrivent parfaitement dans un contexte plus global de crise des valeurs (qu’elles soient patriarcales ou sociales).
Alors que les polémiques attendues mais stériles accompagnent la sortie d’Elle de Paul Verhoeven, l’ouvrage de Pascal Français, pourtant centré sur les recoins les plus obscurs de l’histoire du cinéma, vient nous rappeler l’insignifiance des visions trop « idéologiques » des films et que les genres les plus méprisés, les plus frustes d’apparence peuvent aussi receler en leur sein des orgies de nuances conformes à la complexité de la nature et des passions humaines…
The Human centipede : first sequence de Tom Six
Pascal Françaix : Torture Porn, l’horreur postmoderne
Éditions Rouge Profond, collection Débords, 2016
299 pages, 20 €
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