Avouons-le d’emblée : écrire sur ce film après avoir vu le bonus de David Didelot est une gageure. Erudit spécialiste du cinéma bis, le fondateur de Videotopsie analyse en une grosse quarantaine de minutes le film et le décortique en apportant à la fois une multitude d’informations captivantes tout en proposant des pistes d’interprétation aussi stimulantes que judicieuses. Et Artus Films a mis les petits plats dans les grands puisqu’en plus de cet entretien impeccable, l’éditeur nous propose un livret passionnant d’une soixantaine de pages, du même David Didelot, sur un des sous-genres les plus controversés du cinéma d’exploitation : « le rape and revenge ».
Que faut-il ajouter à ces mines d’informations lorsqu’il s’agit d’évoquer La Proie de l’autostop ? S’amuser peut-être à prendre le chemin à rebours et essayer de montrer que le film n’est pas vraiment un « rape and revenge ». Certes, il sera difficile d’affirmer que l’héroïne, Eve (Corinne Cléry) ne se fait pas violer et qu’elle ne finit pas par exécuter son bourreau, l’homme qui l’a kidnappée avec son mari pour tenter de gagner la frontière mexicaine. Mais cet aspect du récit est finalement assez accessoire, notamment la partie « vengeance » qui n’a rien d’un plan préparé et longuement échafaudé. Quant au viol, il ne représente pas le « clou » d’un spectacle un peu malsain qui assignerait chaque personnage à un rôle précis : d’un côté, la victime qui se changerait en bourreau et vice-versa. Sa fonction est plus « symbolique » et s’inscrit dans la thématique finalement plus large de la « guerre des sexes ».
A ce titre, il est difficile de faire plus explicite que la scène qui ouvre le film. Campanile filme son héroïne à travers le viseur d’un fusil. Elle est immédiatement désignée comme une cible, comme une proie. Mais contrairement à ce que le titre français nous laisse supposer, elle est d’abord la proie de son mari (Franco Nero) qui est, dans un premier temps, l’homme qui la tient en joue.
La Proie de l’autostop débute comme une comédie de mœurs à l’italienne avec un cinéaste qui raille avec beaucoup de verve la bêtise machiste. Franco Nero, loin de ses rôles « héroïques » (de Django à Big racket), incarne le parfait beauf bête et vulgaire (en assistant à la cuisson d’un gibier, il affirme grassement que la seule chose que sa femme envie à la bête, c’est la broche dans le cul !). Pour ceux qui connaissent un peu le cinéma de Pasquale Festa Campanile, nous sommes en terrain conquis puisqu’il a souvent disséqué avec un humour acide les relations hommes/femmes pour dénoncer la phallocratie et la réification du corps féminin (voir le beau Ma femme est un violon avec la splendide Laura Antonelli). Mais cette fois, même si l’humour n’est pas absent du film, il pousse la logique jusqu’au malaise : lorsque Walter fait l’amour avec son épouse contre son gré, il annonce le viol de l’autostoppeur en dépit du consentement qu’Eve finit par afficher.
De ce point de vue, le film est aussi ambigu que malin en ce sens qu’il montre bien que le « devoir conjugal » institué par le mariage peut aussi être une forme de viol légalisé et rien ne distingue vraiment ces deux passages dans le récit. On aurait tort également de penser que le consentement dont fait preuve Eve est une manière de dire que les femmes violées y prennent du plaisir. Avec Walter, elle s’abandonne parce qu’elle est victime d’une convention sociale et qu’elle est mariée. C’est donc pour son mari qu’elle se dévoue. Dans le deuxième cas, cet abandon est aussi à destination du mari attaché, histoire de se venger de la manière dont il l’a précédemment traitée. S’il y a « plaisir » (je mets évidemment le terme entre guillemets), ce n’est pas celui que lui procure son agresseur mais dans le fait d’humilier son mari. En insistant sur les regards que lui jette Corinne Cléry, Campanile montre bien la réciprocité existant entre ces deux prédateurs.
La Proie de l’autostop est donc moins un « rape and revenge » qu’un film sur la domination masculine. L’une des choses les plus « scandaleuses » du film, qui justifia peut-être son classement X pour violence qui ne fut abrogé qu’en 1981, c’est la sorte de pacte qui finit par lier l’autostoppeur Adam (l’excellent David Hess qui retrouve un rôle assez semblable à celui qu’il tenait dans La Dernière maison sur la gauche de Wes Craven) et le mari Walter.
Journaliste, ce dernier se voit proposer par l’agresseur d’écrire un livre sur son aventure. En lui faisant miroiter le succès que lui apporterait cette histoire pleine de sexe et de sang, Adam annonce lui-même au spectateur ce qui est en train de se préparer. Habilement, Campanile met en abyme les conventions d’un certain cinéma d’exploitation, jouant d’ailleurs de façon un peu retorse avec les attentes supposées du spectateur.
D’une manière assez paradoxale, l’ironie renforce la dimension pessimiste du film. Dans la mesure où Campanile, lui-même, ne recule pas devant quelques effets racoleurs (gros plans sur la petite culotte de son héroïne malmenée), son film ne propose aucune autre « porte de sortie » qu’un nihilisme total : l’homme n’est qu’un chasseur pour autrui et toutes les valeurs de la civilisation (amour, fraternité, solidarité…) ne sont qu’un vernis qui craquelle face à l’appât du gain (rarement on aura vu fin aussi cynique) et les pulsions animales.
En adoptant la forme du « road-movie », le cinéaste revisite un genre qui représenta d’abord une forme d’horizon utopique (quitter les sentiers balisés des conventions sociales pour réinventer la vie) pour en montrer finalement l’échec. Sur la route, il ne reste plus aucun espoir mais, au contraire, une existence réduite à une rude lutte pour la survie.
Aucune lueur d’espoir dans cette Proie de l’autostop, sombre tableau d’une humanité se réduisant, comme le montre parfaitement la scène d’ouverture, à une lutte de chaque instant entre du simple gibier et d’infâmes chasseurs…
La Proie de l’autostop (1977) de Pasquale Festa Campanile
Avec : Corinne Cléry, Franco Nero, David Hess
Sortie le 5 juillet 2016
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