Parmi les belles initiatives de cette édition, le festival du cinéma d’Alès proposait une soirée dédiée à la topographie particulière des régions cévenoles et pyrénéennes et aux manières de les habiter. C’était l’occasion de découvrir avant El Perdido de Christophe Farnarier, le film La chair, entièrement produit et réalisé avec amour par l’équipe alésienne des Films invisibles. Un court-métrage réussi qui laisse augurer le meilleur avenir pour son réalisateur et scénariste Julien Noël, dont on guettera désormais très en amont les futures réalisations. Entretien – vif plus que – long pour format court chez Culturopoing !
Tout d’abord, le titre. Où vous situez-vous : épicurien cévenol, végétarien ou même cannibale façon Grave ?
Végétarien, mais avec un penchant esthétique que d’aucuns jugeront paradoxal pour le sang et les tripes. Ma première idée était, à partir du titre, qui est venu en premier, d’écrire une histoire d’horreur cévenole. Le projet a ensuite dérivé vers le film qui existe maintenant.
Vous approchez cette chair dans toute la plasticité de ses très beaux plans. Aviez-vous une expérience pragmatique de cette matière : chirurgie, boucherie-charcuterie, prédisposition à la contemplation organique ?
J’ai grandi dans un petit village cévenol, et l’un des souvenirs qui s’est le plus imprimé dans ma mémoire visuelle fut un dépeçage de sanglier par des chasseurs au coin d’une route. J’avais été fasciné autant que révulsé par cet étalage de l’intérieur d’un corps. C’est donc une expérience purement voyeuriste, et je m’en contente bien.
Il s’agit d’une adaptation littéraire. Que pouvez vous nous dire de votre travail quant à l’œuvre d’origine et comment l’avez-vous connue ?
Pas du tout, c’est une histoire originale. Il existe bien un petit roman des années 30 portant le même titre, que j’ai lu par curiosité, et qui raconte une histoire d’émasculation dans un château roumain. Le lien n’est que lointain, quoique qu’il existe quelques similitudes.
Vous êtes un enfant du pays. Quel regard portez-vous sur cette culture cévenole et quel est votre lien à ces paysages ?
Pour moi, les Cévennes, c’est une peu l’entre-deux entre la bienfaisante fraîcheur de la rivière en été et les pelous qui vous enfoncent leurs épines dans les mains quand on ramasse les châtaignes.
Aviez-vous une expérience personnelle de la chasse ?
Pas tellement, à part ce souvenir d’enfance, et le fait que vivant dans les Cévennes, on ne peut qu’entendre souvent cette rumeur sauvage, mélange d’aboiements, de cris et de coups de feux sourds et soudains.
Vous avez tourné ce film en un temps très court eut égard à la complexité du relief. Quelles ont été les plus grandes difficultés à surmonter ?
Un longue préparation a été possible, les délais de financement ayant retardé plusieurs fois le tournage. Ça nous a permis de tourner de manière efficace malgré la durée relativement restreinte du tournage.
Une des scènes les plus minimalistes est aussi une des plus réussies : un repas de famille. D’où vous vient ce sens de l’observation et de la psychologie humaine ? De votre propre expérience, d’influences cinématographiques ?
J’ai toujours peu parlé, particulièrement dans les situations de groupe. J’ai donc passé beaucoup de repas, entre autres situations sociales, à écouter et à réfléchir aux gestes, aux tons de voix, à ce qu’ils révélaient de ce qui se passait derrière la peau de la conversation.
La direction des comédiens est une des grandes forces du film. Où les avez-vous rencontré et comment avec vous travaillé avec eux ?
Je n’ai pas fait de castings. C’est Sylvain Stawski, chanteur Lyrique et comédien, rencontré lors du tournage d’un reportage pour France 3, qui m’a conseillé certains de ses collègues. Et ceux-ci me conseillaient certains de leurs collègues, etc… J’ai un peu discuté avec eux, je les ai beaucoup écouté, d’abord en tête à tête puis tous ensemble autour d’une table.
Qu’est ce qui a déterminé les mouvements de caméra ou au contraire la fixité des plans dans la principale séquence de chasse ?
La forme est dans cette séquence totalement dépendante du sujet puisqu’il s’agit de réelles images de chasse, prises en équipe réduite. Je suis allé plusieurs fois en battue ( sans fusil bien sûr ) pour préparer le film, et ce qui m’a le plus frappé, c’est le contraste entre le mouvement effréné du rabatteur, qui n’arrête pas de courir derrière ses chiens, et l’immobilité des tireurs qui restent des heures debout, souvent dans le froid et l’humidité et qui ne voient parfois pas la queue d’un animal.
Y a-t-il eu une part d’improvisation au tournage ?
Comme dans tout tournage, la confrontation d’une vision avec le réel oblige à quelques ajustements. Mais d’improvisations à proprement parler, non.
Vous avez une approche très personnelle de la narration, faite d’un mélange d’ellipses et de suggestions. Quelle est pour vous l’importance du hors champ ?
Essentielle, particulièrement dans le traitement de ce sujet là. La chasse est une activité où on ne voit rien de ce qui se passe. On ne peut que le deviner, grâce au son.
Est-ce que cette forme était présente dès l’écriture ? Avez-vous modifié des choses au montage ?
Très peu. J’avais tellement de matière documentaire que j’ai fait des essais pour en intégrer beaucoup plus, mais je trouvais que ça faisait trop pencher la balance vers le concret, que ça brisait l’équilibre entre le sacré et le matériel.
Vous avez effectué un travail sonore assez poussé…
L’ingénieur et monteur du son, Duncan Pinhas, m’avait déjà suivi sur mon premier court-métrage. Nous partageons le même intérêt pour les mystères sonores de la nature et sur la manière dont les bruits humains s’y intègrent, ou pas. C’est important le son. C’est la suggestion de quelque chose de plus profond, de plus mystérieux. C’est le religieux pour moi, le son au cinéma.
Quelle est votre formation et quelles sont vos influences cinématographiques ou autres ?
J’ai une formation de cinéphile et d’artisan audiovisuel. J’ai appris sur le tas. Mes influences sont Robert Bresson, pour le hors-champ et la force des gros plans, et aujourd’hui Bruno Dumont pour les mêmes raisons.
Vous appartenez aux Films invisibles, unique structure de production cinéma de la région d’Alès. Quelle a été l’influence du festival Itinérances dans cette implantation ?
Le festival a été pour mes collègues et moi, un point d’ancrage, quand nous étions en vadrouille ou en études, le lieu où nous nous retrouvions tous. Il nous a permis de garder toujours un lien avec la ville d’Alès, et avec les Cévennes. C’est tout naturellement que nous avons créé notre société ici, et non ailleurs.
Comment arrive-t-on à en vivre aujourd’hui en province ?
Comme partout, il faut tisser sa toile, construire son réseau, faire ses preuves.
Quel était le budget du film et les principaux partenaires?
28000 Euros, en grand partie fournis par la région Languedoc-Roussillon. Nous avons noué deux partenariats avec des structures de la région : French Kiss, de Montpellier, pour la caméra, et Aum Films de Monoblet pour le studio de montage et le splendide travelling en acier des années 50.
Quel est votre prochain projet ?
Un film qui se passerait à la Garde-Guérin, en Lozère, au moyen-âge. Le village, sur le point d’être rattaché à la France, est en attente du passage de l’armée du roi Saint Louis, qui part à la croisade. Ce serait une comédie « à l’italienne » assez farcesque et sentimentale.
Entretien avec Pierre Audebert pour Culturopoing. Remerciements Festival Itinérances, en particulier Julie Plantier, Julie Uski-Billieux et Eric Antolin. Photos: Les Films Invisibles.
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