Pas facile de faire une interview quand on n’a pas vu le dernier opus de la cinéaste en question… D’un autre côté, Chloé Robichaud frappe l’interlocuteur par sa vivacité, sa détermination et son franc-parler, ce qui donne irrésistiblement envie de lui poser des questions afin de comprendre d’où lui vient sa fécondité, cette acuité et plus encore, cette grande maturité artistique. Elle se trouve donc logiquement à la pointe de cette vague qui crée des personnages féminins complexes et en quête d’eux-mêmes, d’un objectif à atteindre et qui déferle un peu partout sur la planète. Mais elle reste d’abord, en toute simplicité, une fille née pour être cinéaste. On espère donc que Pays sera projeté ailleurs en France car son regard sur les femmes en politique risque de s’avérer fort utile à notre temps. Un entretien réalisé au festival 48 images seconde de Florac, bref mais concis avec une figure importante du cinéma d’aujourd’hui…
À 29 ans vous avez-déjà réalisé 5 courts métrages, 2 longs, des clips et une websérie. Y aurait-il un parallèle entre cette nécessité de tourner à tout prix et l’état intérieur de Sarah, son urgence à courir ? Autrement dit, l’état de Sarah découle-t-il de votre besoin de faire du cinéma ?
Oui, il y a probablement des choses inconscientes mais il reste que j’ai toujours été obsédée par le cinéma, et avant quand j’étais plus jeune, par le besoin de raconter des histoires. Je me racontais beaucoup de scénarios dans ma tête. Mais moi je réfléchis beaucoup avec des images, C’est important pour moi, il y a une nécessité et un sentiment d’urgence il est vrai. Là j’avais l’urgence de raconter Sarah ( du film Sarah préfère la course, sorti en France en 2014 ) à ce moment là de ma vie. Je ne suis pas sûre que je l’aurais réalisé de la même façon à quarante ans. Je voulais le tourner à l’âge du personnage ou presque, parce que je m’identifie à elle, parce que ses enjeux, je les avais vécus assez récemment. Je pense que c’est ce qui a stimulé mon désir de le faire rapidement. Donc les dix dernières années ont quand même été intenses ! Peut être que quelque chose en moi va se poser et amener autre chose de différent, plus d’énergie pour un prochain film… Je pense que c’est bien !
Vous n’aviez pas vous-même une pratique très poussée du sport ?
Pas de la course, moi je ne courais qu’en amateur, pour le plaisir… Mais j’étais sportive, j’ai joué au basket, au football… Je suis une fille d’équipe, même si je suis capable d’être solitaire et je pense que c’est ce que je retrouve au cinéma, l’appartenance à un groupe.
Vous avez tourné Chef de meute ( 2012 ) pour 1500 euros. Or le résultat est très léché, la qualité d’image notamment… Vous aviez-déjà le matériel et est-ce que vous avez-tourné plus longtemps pour arriver à ce résultat là ?
Non, on a juste eu trois jours de tournage. J’ai eu la chance de pouvoir utiliser le matériel de l’INIS une école de cinéma où j’ai étudié. En fait, quand on n’a pas beaucoup de moyens, tout est dans le choix des locations, des lieux qui te disent quelque chose, qui ont une palette de couleurs intéressantes. Comme on ne peut pas utiliser non plus beaucoup d’accessoires, il faut trouver des lieux qui déjà parlent d’eux-mêmes, ce qui fait qu’on a mis beaucoup d’énergie dans la préparation.
J’imagine que ça n’a pas du être facile de tourner avec un chien…
Non, non ! C’était très laborieux. ( rire ) Ça a été le plus gros défi et je ne sais pas si je le referai de cette façon là aujourd’hui. Je ne voulais pas épuiser le chien, alors j’ai fait ça dans le respect de l’animal. Comme c’était mon chien, je savais ce qui fonctionnait plus ou moins bien, ça aide !
La sélection de Chef de meute à Cannes a donné du carburant pour mettre en route Sarah ?
Bien sûr ! Avant Chef de meute, j’étais une inconnue auprès des institutions financières canadiennes et québécoises. Ça m’a donné plus de crédibilité pour arriver avec un long-métrage. Avoir le sceau de Cannes donne un certain prestige. Ça n’empêche pas qu’il me fallait aussi avoir un scénario solide. Mais ils ont embarqué dans le projet… Enfin, j’ai eu de la chance de faire Cannes dès mes débuts et ça m’a donné de la confiance – j’espère aussi avoir su rester humble – la capacité pour croire en moi et en mon équipe.
Pour Sarah, la réussite venait entre autres du fait de travailler avec une équipe jeune et motivée, d’entretenir de bonnes relations avec votre productrice et avec votre comédienne principale, Sophie Desmaret. Vous aviez déjà un lien spécial avec elle avant le tournage ?
À cette époque, elle débutait sa carrière. Moi je l’avais trouvé assez fascinante. Elle avait un regard très fort, une intelligence évidente et aussi une belle sensibilité. Elle avait déjà joué sur le court-métrage d’un ami auquel j’avais participé pour donner un coup de main et j’avais bien cliqué sur elle ( sympathiser, avoir des atomes crochus ) et c’est un peu comme ça que j’en étais venue à lui parler de mon projet. Je suis vraiment chanceuse d’avoir eu une actrice de ce calibre pour un premier long-métrage.
Vous disiez qu’elle intériorisait beaucoup. Vous aussi vous avez un imaginaire assez important ?
Oui, oui, ma vie intérieure est je pense assez dynamique ! ( rire ) Ma tête est remplie d’images… À la différence de certains réalisateurs, j’appartiens plutôt aux introvertis qu’aux extravertis. J’aime bien beaucoup réfléchir avant de parler et je pense que c’est aussi ce qu’on peut ressentir dans le personnage de Sarah.
À travers le personnage masculin, il y a ici une définition de ce que peut être la politique : le goût des gens. Est-ce que ça a été à la base de l’écriture des personnages de femmes politiques dans votre nouveau film Pays ( 2016 ) ?
Oui, il aime les gens. Ça rejoint un des aspects de mon cinéma. J’ai envie de faire des films proches des gens, dans lequel ils peuvent s’identifier. Dans Pays, il y a cette notion de l’humain et de la politique. D’une politique vue du côté citoyen plutôt que dans ses aspects techniques.
Comment a-t-il été reçu dans les festivals ?
Il a fait un beau parcours, ça a été un peu plus difficile en termes de box-office, mais comme pour tous les films québécois cette année. En ce moment, la distribution du film est un gros enjeu. C’est dommage, mais par contre il a eu une belle vie à l’étranger.
Vous aimez expérimenter sur la mise en scène. La place de la chanson, du chant est importante, mais vous le traitez très différemment de Xavier Dolan. Voyez-vous d’autres point commun avec son travail, en plus de votre urgence de tourner, d’écrire…?
Je pense que nos styles sont assez différents. Complètement. Mais Xavier et moi, on partage la même urgence, le même désir d’être très authentique et de faire un cinéma qui nous ressemble. Il y a peut-être des thèmes communs – mais ça, c’est peut-être à d’autres que nous de l’analyser – comme la quête identitaire ou l’affirmation de soi qui nous réunissent.
Que vous-a apporté le travail sur la websérie Féminin, féminin et son beau carton ?
Je suis très heureuse de ce succès. Encore une fois, ça a été fait avec peu de moyens et moi j’ai beaucoup appris dans ce projet là de toute cette spontanéité. Je fais improviser les actrices. Du coup, ma caméra est sans doute plus fluide que dans mes autres réalisations, ça donne un autre genre de rendu. Le fait aussi que les gens le reçoivent sur leur ordinateur pour la plupart… C’est un plus petit format. Du coup, j’ai l’impression que je vais réussir dans un prochain film à faire une balance entre les deux, entre le côté très cinématographique et contemplatif de mes films précédents et la fraîcheur et la spontanéité de Féminin féminin !
Remerciements : Chloé Robichaud, Festival 48 images seconde : Guillaume Sapin, Dominique Caron, Pauline Roth et Jimmy Grandadam ( association la Nouvelle dimension ). Photos du festival (dont photo de tête ) : Eric Vautrey. Moyens techniques : Radio Bartas et Camille Jaunin.
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