Découverte au festival 48 images seconde d’un beau premier film, Mes nuits feront écho en présence de la cinéaste québécoise Sophie Goyette. Une œuvre non-conformiste défendue haut et fort par Daniel Racine dans sa présentation et qui a quelque peu clivé le public, passionnant tous ceux qui tentèrent l’aventure comme l’ont montré les débats et les questions très philosophiques qui les hantaient après cette projection en toute première française. Le film est par ailleurs entêtant, imposant tant son rythme hypnotique que sa forêt de questions, longtemps après la projection. Espérons que le prix glané à Rotterdan suffira à porter et faire entendre la voix – presque silencieuse – qui manquait jusqu’ici à notre paysage cinématographique.
Tu as tourné de nombreux courts-métrages depuis 2008. La ronde a été repéré à Locarno et Le futur proche à Sundance. Qu’est-ce qui faisait lien dans tes premières œuvres ?
Si je pense à mes premiers films et en y incluant mon premier long-métrage, et avec le peu de recul que j’ai, j’essaie de faire des œuvres où le spectateur dans la salle, pendant cinq ou treize minutes, ou ici 1h30, ne se sente plus seul pendant la durée du film, qu’un ou des personnages lui livrent leur monde intérieur et on les suit alors à travers leur quotidien et leur vie. Dans certains de mes courts, ça pouvait être des obstacles différents sur leur route. Mais la grande question ici, c’était comment rendre cinématographique ces mondes intérieurs que l’on porte tous…
Mes nuits feront écho a remporté au festival de Rotterdam le Bright future award qui récompense notamment tes recherches esthétiques, narratives et poétiques. Tu as dit quelque part que « le voyage et le cinéma sont deux façons de s’échapper de nous même ». C’était le point de départ ce nouveau film ?
Oui, complètement. Il y a quelque chose de fascinant chez l’être humain. On cherche souvent à se déstabiliser et à aller voir au bout du monde si on y est, pour se révéler des choses à nous même ou à d’autres. Finalement, ce sont des choses que, si on était parfaitement authentique et honnête avec nous-mêmes, on pourrait trouver dans une chambre à coucher, sans même voyager ! Mais on a parfois besoin d’être confrontés à l’ailleurs et que ça fasse « miroir » et je trouve que le cinéma qu’on voit en salle agit comme ça. Comme une expérience collective où on regarde tous dans la même direction mais sans se regarder entre nous. Et ça m’est arrivé parfois d’entrer dans une salle de cinéma sans trop connaître la teneur du film et d’avoir l’impression, le sentiment que le ou la réalisatrice faisait le film pour moi. Ça n’arrive pas souvent, deux ou trois fois dans notre vie. C’est très sincèrement – et humblement – le type de films que j’espère faire.
Le titre anglais est Still night, still light. C’est la formule qui a guidé le très beau travail sur la lumière ?
C’est bien vu parce que Mes nuits feront écho évoque l’auditif et Still night, still light le visuel, on me l’a fait remarquer. Ça complète le film parce que pour moi, lorsque je le tournais et aussi lorsque je le montais, outre la forme narrative avec laquelle raconter l’histoire, j’essayais de voir comment raconter également avec le son, avec la lumière, avec l’image différemment. Surtout avec le son qu’on oublie si souvent au cinéma. J’aime beaucoup juxtaposer au montage des images et du son qui peuvent être complémentaires sans être nécessairement liés, comme le cinéma direct à ce qu’on voit directement à l’écran.
Que peux-tu nous dire des traumas portés par tes personnages, Éliane et Romes ?
J’avais le soucis d’avoir trois personnages de générations différentes, de cultures différentes aussi. À tous les âges de nos vies et plus on avance, on a des rêves ou des regrets, parfois contradictoires. Quand on est jeunes, ça peut être la mort d’autres personnes, de nos parents et à la toute fin, ça peut être notre propre mort. La question était d’amener diverses réflexions sur différents thèmes de vie par des générations dissemblables et il y avait ces troubles que chacun portent en eux, certains blocages qui ont à se défaire et le rêve va être en fait une sorte d’outil narratif pour que eux puissent s’ouvrir à eux-même et aux autres pour « débloquer » un peu plus dans la vie. Un de mes autres leitmotivs, c’était de voir comment je pouvais rendre le personnage d’Éliane très musical, le deuxième, Romes, très photographique et le troisième, Pablo, plus dans les mots, l’écriture, et de voir comment ces arts les habitent différemment, de manière cinématographique.
Le film s’ouvre sur une sorte de poème cosmique. Plus tard dans le récit, la québécoise et le mexicain seront connectés visuellement durant le long plan au lac de Catemaco. Est-ce que ta formation scientifique t’autorise à croire à une connexion des êtres par leurs rêves, par la psyché ?
Si j’ai étudié les sciences, je ne suis pas une scientifique. Je suis passée, mais – comme on dit au Québec – « par la peau des fesses » ( de justesse ). C’était juste un plan matériel, un plan de vie. S’il y a des scientifiques passionnés par leur domaine, je trouve ça grandiose. Moi, c’est vraiment le cinéma, je n’ai pas l’âme d’une scientifique. Je crois par contre qu’il y a quelque chose. Depuis toute petite, même avant l’école, j’ai toujours été intriguée par l’astronomie, les étoiles, par le cosmique. Au fil des ans, il y a tellement de films qui se font, je me demandais ce que moi j’allais apporter de différent… Et la seule chose qui me vienne à l’esprit était comment on est tous liés beaucoup plus qu’on ne le pense ! Très rapidement, j’ai décidé de le traduire dans le scénario par les rêves que l’on fait la nuit ou aussi par les étoiles que l’on voit tous le soir quand on lève la tête. Peu importe si on est en Chine, en France, au Mexique ou au Canada. Aussi, on peut voir des petites étoiles étincelantes dès le début du film. Le poème, je ne sais pas si on peut le qualifier de poème… Les autres sont mieux placés pour le dire ! C’est juste quelque chose que je me suis écrit pour moi.
Un chant ?
Un chant peut-être mais… c’est quelque chose que j’ai écrit il y a longtemps quand je me disais : « Si je fais un film dans ma vie, qu’est-ce que je vais transmettre au gens ? J’ouvrirai le film par ça… ». J’y suis donc allée comme si je faisais mon premier et mon dernier film, dans cette énergie de vouloir tout donner, juste pour imprimer un ton dès le début et poser le style du film. Je crois donc que c’était une évidence pour moi d’ouvrir le film sur cette séquence là, par une douce voix féminine. Mexicaine, en fait.
Tu as beaucoup voyagé avant de faire du cinéma. Parmi tes souvenirs les plus importants, que t’ont-ils apporté dans ton parcours personnel ?
Alors je n’ai pas étudié le cinéma, mais je suis une grande voyageuse. Par contre, je n’avais jamais été au Mexique ou en Asie avant ce film. Mais je crois que c’est vraiment une rencontre avec soi. Des autres en premier lieu bien sûr, mais ensuite souvent avec soi. D’abord, il y a les voyages personnels que l’on fait et il y a aussi les voyages dans les festivals. Donc c’est la somme de tous ces voyages et de ces aventures qui m’ont formée. Je ne pourrai pas en détacher un précisément pour ce film là. Je crois que tous ces voyages m’ont donné confiance pour aller tourner ailleurs, dans un autre pays. Il faut bien sûr le faire avec précaution, dans la sécurité et après beaucoup de préparation, mais on dirait que je n’ai pas peur d’aller à la rencontre de l’Autre avec un grand A. Pour le Mexique, peut-être que certaines personnes vont entendre d’autres choses sur le pays et vont moins s’y aventurer, mais moi j’ai rencontré un peuple tellement spirituel, profond… Je l’avais déjà écrit dans mon scénario et après je suis allée en repérages, juste pour avoir la certitude que mon film était possible. Que tout ça existait déjà. En Chine, c’est la même chose… On peut peut-être le percevoir de loin comme un milieu très chaotique, au rythme effréné alors qu’il y a quelque chose que je trouvais profondément spirituel, philosophique et qui me rattachait à l’Humain avec un grand H. Donc les repérages effectués après l’écriture du scénario m’ont confirmé l’ampleur du film. Parce que j’essayais de faire humblement un film plus grand que moi.
Les temps de repérage, le tournage, tout ça a pris combien de temps ?
La préparation a duré un peu moins d’un an, alors que le tournage a été très court : dix-sept jours pour les trois pays ! Je crois que lorsque l’on a peu de moyens, le temps de préparation alloué est décisif. Bien sûr, il va y avoir des imprévus, de la pluie, tout ça… Mais ça nous permet de vivre vraiment le film en avance, pour qu’il se déploie et que quand on rencontre n’importe quel mini obstacle devant nous, un plan B se mette en place naturellement. C’est comme si on se connectait au film et que les solutions venaient naturellement pendant la préparation et pas dans la panique du genre : « Ah non, là c’est pas ce qui était prévu, c’est ça ! ». Mais la préparation a été importante, il fallait traduire le scénario, il fallait bien briefer les comédiens, tous acteurs professionnels, et ça c’est quelque chose que j’ai fait très sérieusement. Pour mon court précédent, Le futur proche, j’étais déjà en autoproduction et c’étaient huit mois de préparation pour une journée de tournage. Donc tout ça, c’était déjà naturel pour moi…
C’est un « grand ratio » comme dirait André Gladu !
Oui mais pourtant j’ai fait Mes nuits en deux ans et demi, ce qui peut paraître court. C’est mon premier long donc j’écoute aussi ce que les autres font à côté, j’entends quatre ans, cinq ans parfois, donc deux ans et demi somme toute, c’est correct ! ( rires )
On a évoqué le montage tout à l’heure qui contient à la fois des transitions très marquées mais qui pourtant coulent de source dans le rythme et le ton du film. Est-ce que le temps de montage et de post production a été long et est-ce que ces « changements d’orbite » pour reprendre l’expression d’un cinéaste français ( Serge Avédikian ), étaient déjà écrits sur le papier ?
Sur le papier, ça basculait déjà d’un monde dans un autre oui, comme des vases communicants, comme un aller sans retour; à la limite, c’est peut-être un peu plus déroutant de lire un type de scénario ainsi que de voir ce genre de structure à l’écran dans le film final. Comme je tournais le film en blocs sur une année et non en continu, je pouvais aussi déjà monter des esquisses de ce que je voulais entre chaque bloc de tournage, et je poursuivais mon montage suite au tournage final en attendant des sous de post-production de la part des institutions qui ont finalement répondu « présent » assez vite. Il y avait l’idée de raconter le film par l’image, par le son mais aussi « par son montage », d’établir des connections qui ne semblent pas pré-acquises mais qui au contraire pourraient nous sembler nouvelles. Je crois que cette démarche me suit depuis mes courts, cette recherche de connexion nouvelle entre les images, le son et le rythme.
Tu as tourné au Mexique, où as-tu trouvé cette forêt luxuriante ?
J’ai fait du repérage de jungles en fait, j’en ai visité quelques unes à Xalapa et à Catemaco. Pour moi, les lieux ont une âme et il m’était important de déterminer quelle jungle serait en quelque sorte un des personnages du film.. les lieux ont beaucoup à nous apprendre, et bien sûr à apporter au film.
Le film déroule de longues scènes avec parfois de longs plans séquences : en mouvement lorsqu’elle erre dans la fête, fixes dans les longs échanges entre Romes et Pablo. Éprouver la durée, c’est une expérience de spectateur nécessaire pour toi ?
Pas nécessairement, chaque film a son propre rythme, et prédétermine d’avance un peu par lui-même sa cadence. Ici, c’était beau de tenter de suspendre le temps – c’était une idée qui m’habitait à l’écriture car on ne le fait plus, s’arrêter un moment, dans la vie de tous les jours, dans notre quotidien au rythme souvent effréné. C’est aussi de prendre le temps de vivre les dialogues, les monologues, les regards, les silences, les mouvements de tête de ces trois personnages principaux, de prendre le temps de « vivre » le film avec eux, afin d’être le 4e acteur du film en projetant sur l’écran tout notre monde intérieur par rapport à ce qu’eux vivent. Le cinéma est une question d’échange.
Ces séquences sont trouées de fulgurances : échanges de sms à la lueur de l’orage, plan du métro en Chine. Comme un voyage dont les rencontres humaines sont rythmées par des éclats de beauté…
Oui je me disais que si je faisais un long métrage de fiction – car c’est si rare et beau de nos jours d’en faire un – j’allais vouloir y mettre des images, des sons et des séquences qui étonnent et qui je l’espère nous apparaissent à la fois mystérieux, mystiques, mais également proches de nous… Mon but était de littéralement faire voyager le spectateur ailleurs, même si avec le recul je sais que le film est davantage un voyage intérieur plus qu’autre chose.
Quelles sont tes références poétiques, philosophiques, scientifiques, artistiques ou cinématographiques ?
Elles sont si diverses.. et fluctuent de jour en jour, selon mes découvertes, selon surtout ce qui me touche. En fait mes références de base si je peux le dire ainsi sont surtout humaines : mes rencontres, mes voyages. Ensuite côté cinéma, j’aime Jean-Claude Lauzon ( Canada ) et Kieślowski ( Pologne ) pour sa formidable quête sensible sur les êtres humains – autant dans les documentaires de ses débuts que dans ses fictions. J’aime lorsque le mystique côtoie le réalisme, et qu’une œuvre ( peu importe si elle est musicale, picturale, cinématographique…) touche à quelque chose de plus grand que nous, qui semble nous relier tous. À titre d’exemple plus précis, le classique Paris, Texas de Wenders m’aura aussi traversé le cœur.
Tu as souhaité laisser le temps du repos au public avant de lancer les débats. Débats qui ouvrent d’ailleurs à la philosophie ou à la poésie. Est-ce que les rencontres après les projections ont été à la mesure de celles vécues durant la préparation et le tournage ?
Oui, je dois avouer que les réponses du public en ce moment sont même parfois magiques pour moi, c’est touchant. En France, un jeune homme a voulu me retranscrire un extrait d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust en cadeau, tellement ce texte lui faisait penser au film. Au Mexique, une dame mexicaine tenait à me donner une amulette en argent en cadeau tout de suite après la projection, m’indiquant qu’elle était si émue qu’une jeune cinéaste nord-américaine fasse un film aussi poétique et touchant selon elle sur son pays. Comme il s’agit d’un film que je qualifierai « à résonance intérieure », les gens m’écrivent également souvent quelques jours ou quelques semaines après les projections pour me partager leurs impressions et les marques laissées en eux. Je sens alors une résonance d’âme en âme. Gardant tous ces mots, je peux les relire sur des pages et des pages accumulées – c’est la plus belle correspondance que j’aurai pu espérer pour mon film, car ce sont ces spectateurs qui poursuivent alors le film « en eux ».
Remerciements : Sophie Goyette, Festival 48 images seconde : Guillaume Sapin, Dominique Caron, Pauline Roth et Jimmy Grandadam ( association la Nouvelle dimension ). Photos du festival : Eric Vautrey. Moyens techniques : Radio Bartas et Camille Jaunin.
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