« Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
L’égalité partout régnera »
Tout en explosant ses propres codes, Pommerat révolutionne la Révolution Française.
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Dans le royaume de France, la crise financière fait rage. Nous sommes en 1787 et à Versailles, la monarchie s’inquiète. Augmenter les impôts oui, mais à quel prix ? Réinventer le pays avec une nouvelle loi de finance, vous n’y pensez pas… Pourtant, la poudre attend son feu et c’est bien déjà chose faite : des assemblées de notables s’organisent, des conseils citoyens plus modestes aussi, dans les campagnes, partout, la paille s’amasse et attend le grand embrasement. Les Etats Généraux se mettent lentement et laborieusement en place. Ces derniers réussiront-ils à réunir le Clergé, la Noblesse ainsi que le Tiers Etat sous un même toit ? Si nous connaissons déjà la réponse, le metteur en scène Joël Pommerat nous la donne à voir, très exactement au milieu.
« Jʼai commencé à réfléchir à Ça ira (1) Fin de Louis en décembre 2013. Je souhaitais travailler sur une matière épique, avec de lʼamplitude, pour continuer à aborder ce thème qui mʼintéresse : le point de rencontre entre la pensée, lʼimagination et lʼaction. Quʼest ce que lʼidéologie ? Comment opère-t-elle dans le réel ?
Mes lectures mʼont conduit assez vite à la Révolution française, qui est comme le point zéro de la démocratie, un moment dʼémergence pour les idéologies et représentations politiques contemporaines. Cette période, ce sont nos racines, nos mythes, nos grands héros. Je voulais donner à voir ce travail politique, ce bousculement de la réalité, avec toutes les émotions quʼil contient, non seulement le travail de la pensée mais aussi la peur, lʼépuisement, lʼeffort incroyable et le tragique », Joël Pommerat à propos de Ça Ira (1), Fin de Louis (dossier de presse).
Pourtant, le spectacle de Pommerat n’est pas vraiment politique. S’il résonne énormément avec notre époque (la crise financière, les soulèvements du peuple…), c’est avant tout à l’ambiance et au contexte que le metteur en scène et auteur s’intéresse. Pour cela, Joël Pommerat dynamite avec brio ses propres codes et questionne les limites de son théâtre en les repoussant. Habitué aux espaces mentaux et aux ambiances sombres, délétères et presque feutrées du huis clos, il nous convoque ici dans un espace totalement ouvert sur le public, bien loin des points de fuite imposés par les scènes bi-frontales ou bien encore circulaires qu’il affectionne particulièrement. Le public est en effet dans « Ça Ira » au centre même de l’action, la scène allant jusqu’à lui dans la salle. Si le procédé est très souvent utilisé dans le théâtre moderne et contemporain (c’était déjà le cas, avec une thématique similaire, dans le 1789 d’Ariane Mnouchkine), il n’est en rien accessoire dans Ça Ira, bien au contraire. Violent, agressif et cabotin chez Vincent Macaigne, la mécanique immersive est ici plus précise puisqu’elle permet à Joël Pommerat de transformer le spectateur en député, l’installant à une place inédite et surprenante, celle d’acteur à part entière. Ainsi galvanisé par les cris et les invectives, le public se met en effet à tempêter intérieurement, participant de manière inconsciente au débat qu’il suit avec intérêt. Il est au centre même de ce qui se joue dans ces débats citoyens, il y tient un rôle précis. La salle devient littéralement le théâtre de l’assemblée. Ainsi se joue, en seconde lecture, le paradoxe de la mise en scène du débat public : en se faisant députés, les comédiens incarnent des députés qui se font à leur tour comédiens…
« Pour faire cette sorte dʼarchéologie de lʼimaginaire politique, entre la réalité historique et la fiction, je cherche à déployer une dramaturgie de la parole et des lieux qui nous mette au cœur des choses, qui fasse ressortir le vivant sous les images figées. Je cherche à rendre présent le passé non pour le juger avec notre regard dʼaujourdʼhui, mais pour essayer peut être de mieux le comprendre », Joël Pommerat à propos de Ça Ira (1), Fin de Louis (dossier de presse).
Inutile non plus d’attendre dans Ça ira les grandes figures de la Révolution que sont Robespierre, Danton, Marat : ils n’y seront pas, du moins, directement. Hormis Louis XVI (Yvain Juillard), seul personnage nommé en rapport avec l’Histoire, nous nous intéresserons plutôt à la députée Lefranc, au versatile Gigart ou bien encore à la très revancharde députée Versan de Faillie, autant de portraits imaginaires. Pommerat tient ainsi à nous montrer sa version de la Révolution, version qui se veut plus proche de l’histoire avec un petit h comme des vrais gens qui l’ont incarnée. Ce faisant, il rend hommage aux acteurs anonymes autant qu’à ses propres acteurs, chacun d’eux prenant en charge plusieurs personnages qu’ils alternent dans un ballet incessant. Une fois encore la Compagnie Louis Brouillard fait des merveilles, notamment dans ces rôles féminins excellents qu’elle déploie (Saadia Bentaëb, Agnès Berthon, Ruth Olaizola, Anne Rotger). Mention spéciale aux figurants qui participent grandement à l’ambiance générale de ce spectacle de grande facture.
Plus techniquement, le travail d’Eric Soyier tape une nouvelle fois là où il faut : moins précises qu’à l’accoutumé, faussement plus brouillonnes, ses lumières viennent en quelque sorte salir la scène, la réchauffant de facto. De même, la dramaturgie de Marion Boudier délaisse un temps les pans verticaux de tissus et les lignes de lumières pour préférer les panneaux durs, matièrés autant qu’amovibles : la scène respire au rythme des scènes qui s’enchaînent, fracassantes, durant plus de 4 heures.
Mais le plus gros du travail revient à cette précision qui se déploie dans les scènes d’assemblée et qui occupent les trois quarts du spectacle. Avec une précision et une écoute exemplaires, les comédiens s’invectivent, se coupent la parole. Les joutes verbales s’enchaînent, les retournements de situation avec. Si cela peut paraître naturel et allant de soi, il ne faut pas être dupe de la facilité apparente pour autant : cette maîtrise n’est le fruit que d’un travail de forçat tant le naturel, au théâtre, n’est pas chose aisée. Et si le procédé s’étire parfois de trop sur la longueur, il a le mérite d’être galvanisant comme jamais et de faire passer ce spectacle pour une performance épuisante qui prouve, s’il l’on en doutait encore, tout le génie de Pommerat…
Un des incontournables de ce début de saison !
A voir du 4 au 29 novembre Nanterre – Nanterre-Amandiers, CDN / 01 46 14 70 00
Les 3 et 4 décembre Cergy-Pontoise – LʼApostrophe, 01 34 20 14 14
Les 10 et 11 décembre Le Havre – Le Volcan, Scène nationale 02 35 19 10 10
Du 8 au 28 janvier Villeurbanne – TNP avec Les Célestins/Lyon / 04 78 03 30 30
Les 3 et 4 février Chambéry – Espace Malraux, Scène nationale / 04 79 85 55 43
Du 9 au 11 février Annecy – Bonlieu, Scène nationale / 04 50 33 44 11
Les 18 et 19 février Marne-la-Vallée – La Ferme du Buisson, Scène nationale / 01 64 62 77 77
Du 3 au 6 mars Sao Paulo (Brésil) – Mostra Internacional de Teatro Du 16 au 19 mars Ottawa (Canada) – Centre National des Arts / +1 613-947-7000
Les 22 et 23 avril Luxembourg – Les Théâtre de la Ville, Grand Théâtre /+ 352 47 08 95 1
Du 28 au 30 avril Mulhouse – La Filature, Scène nationale / 03 89 36 28 28
Du 10 au 14 mai Lille – Théâtre du Nord, CDN 03 20 14 24 24
Du 18 au 27 mai Grenoble – Maison de la Culture MC2 / 04 76 00 79 00
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