« Did you fuck the bitch ? » M. Moustache
A Milton, petite ville des Etats-Unis, Jerry va bien. Outre son boulot en CDI à l’usine de baignoires de la ville, il a des amis. Deux, en fait : un chat diabolique et un chien pataud. A qui il parle. Et qui lui répondent. Tout baigne, donc.
Il ne lui manque qu’une petite amie pour combler le vide de son cœur et le monde de poupées dans lequel le maintient sa schizophrénie galopante. Tout va bien, si, si, même s’il oublie un peu volontairement de prendre ses cachets pour ne pas perdre ses buddies, et que M. Moustache, le chat écossais, commence à sérieusement le manipuler vers des pulsions meurtrières. Dommage pour Fiona, la petite british coquine de la compta, dont la tête coupée par accident fera toutefois un parfait compagnon de discussion au petit déjeuner.
Filons la métaphore féline : à la lecture du pitch et à la vision de la bande annonce, on se pourléchait d’avance les babines. Pensez donc : le retour de la comédie horrifique grand public. Certes en production US, mais signée par une française qui, si on avait de gros doutes sur son Poulet aux prunes ou l’OVNI La bande des Jotas, laissait tout de même imaginer un drôle de mariage détonnant entre l’horreur et le comique bande dessiné, pétaradant dans la folie pop et colorée qu’un tel jeu de massacre peut offrir. Zip-bam-Yop-la-boum…comme une fête qu’on annonce joyeuse avant son déroulé, le gâteau s’est effondré.
Non que le film soit réellement désagréable, au contraire. Des couleurs saturées à la sempiternelle séquence musicale, de la fausse bizarrerie de l’univers au kitsch méticuleux-pour-faire-rigolo-et-décalé des décors, le film navigue en père peinard, toujours en première, piochant dans son grand fourre-tout oscillant entre la parodie d’horreur, de rom-com, de thriller, dans un grand show carton-pâte dont on aurait aimé, à la manière d’un Desperate housewife schizo ambiance Pushing Daisies, qu’il explose ses contours lisses.
Rappelant parfois un Tim Burton des mauvais jours, il souffre du même laisser-aller qui semble toucher nombre des films pseudo-baroques, espérant que ses quelques galéjades esthétiques (l’usine de baignoire rose, le Elvis chinois, les têtes coupées dans le frigo) qui en constituent la toile de fond soutiendront le vide assez abyssal de son scénario dès l’acte 2. Trois bouts de ficelles et un chien philosophe ne font pas un univers, et l’humour est une politesse magnifique, mais ne devrait jamais devenir une excuse.
C’est que Marjane Satrapi, soit par éthique (ce qu’elle semble défendre dans l’interview du dossier de presse), soit par commande, se refuse à prendre au corps cette violence sous-jacente au pitch. En se tenant à l’exacte limite des deux pôles, jamais effrayant, sympathique mais rarement hilarant, il troque sa toque foutraque de sale gosse pour le costume trop sage d’un enfant poli. Pas étonnant alors qu’après une première demi-heure totalement jouissive, la survenue du premier meurtre fasse marquer le pas de la gradation et du film tout entier.
Vidé de l’horreur, tournée en dérision voire évitée purement et simplement, ce qui aurait pu être une magnifique série B de comédie dark révèle alors un film finalement assez fainéant, qui se meurt lentement sous son pitch initial.
Déception d’autant plus grande qu’il réservait, outre quelques belles trouvailles humoristiques, au moins deux joyaux.
Ryan Reynolds, tout d’abord, dont le cynisme voudrait d’abord qu’on se dise qu’il n’a pas à pousser beaucoup pour jouer l’imbécile mais qui se révèle ici d’une précision de jeu incroyable, rappelant les Brad Pitt comiques neuneus des grandes heures, capable d’arracher un éclat de rire désarmant par un simple regard bêta. Doublant avec force accents ses compagnons quadrupèdes, il offre une composition polyphonique rêvée, good cops/bad cops, où le comique nait de cette impression de personnage à rebours, M. Hulot tuant sans trop le vouloir, continuant contre son gré, subissant la fiction plutôt que la vivant.
Mais il y a surtout dans The Voices cette très belle idée, juste et dépressive : que le monde pop de la fiction « objective » offerte au spectateur ne soit en fait que la projection mentale de la folie de Jerry, recouvrant d’une strate simplifiée et colorée la grisaille triste du monde qui perce par à-coups, lors de la prise d’antidépresseurs ou lorsque des personnages extérieurs révèlent par un effet miroir la fiction mentale de Jerry. Il y avait là une magnifique idée, quasi platonicienne, et un potentiel fictionnel incroyable à exploiter une fois révélé ce hiatus.
Maigres consolations donc d’un film d’autant plus frustrant qu’il possédait donc en lui le germe pour devenir marquant. Heureux les simples d’esprit et heureux les schizo : dommage que le film, passif, n’oublie pas lui aussi un peu son traitement. Dans la caverne colorée de Jerry, la montagne a accouché d’un chat qui parle.
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