Ermanno Olmi – « Les Fiancés » (1963)

Ermanno Olmi est né à Bergame en Lombardie, mais il s’installe assez jeune à Milan, la capitale de cette région du Nord de l’Italie. À partir de 1953, il réalise des documentaires au sein de la section cinéma de l’entreprise dans laquelle il travaille, l’Edisonvolta.
Son premier long métrage, Le Temps s’est arrêté, date de 1959 – il a alors 28 ans. Le deuxième, L’Emploi, est réalisé en 1963. Vient ensuite Les Fiancés. On les considère parfois comme constituant une trilogie centrée sur le thème du « monde du travail », du « quotidien ».

Giovanni Cabrini, un ouvrier milanais, saisit l’occasion qui lui est offerte par ses employeurs de partir en Sicile pour une période d’un an et demi. Il peut espérer se spécialiser dans son métier de soudeur et gagner un salaire plus conséquent. Pour ce faire, il place son père dans un asile et quitte sa fiancée Liliana avec laquelle les relations ne sont pas au beau fixe.
Une fois qu’il arrive en Sicile, la vie qu’il mène se révèle plus difficile qu’il ne l’imaginait. Petit à petit, il reprend contact avec Liliana, se rapproche d’elle affectivement, malgré ou grâce à la distance physique, géographique.

Une première partie montre des événements précédant le départ. Il y a notamment une longue séquence de bal. Elle installe un climat, suggère la nature de la relation qui s’est établie entre Giovanni et Liliana. Des inserts permettent d’expliquer la situation, de montrer ce qui s’est passé probablement auparavant, de représenter ce que les protagonistes ont à l’esprit, et ce dont ils se souviennent – et qui concerne ledit départ.
Ce qui frappe en cette scène est la froideur ambiante, alors que tout le monde devrait être à la fête. Il s’agit de donner une image particulière de ce qui se passe dans le Nord, de ce que ressentent les deux fiancés – de la tristesse, du mécontentement, de la défiance, de la jalousie -, et de créer un contraste avec la scène du carnaval à laquelle on assistera lorsque Giovanni sera en Sicile. Une grande partie du film baigne dans la même atmosphère. On a parfois l’impression de voir l’une de ces œuvres des années soixante venues du bloc communiste, comme ceux de la « Vague noire » (École de Prague, cinéma yougoslave…).
Mais il ne faut pas s’y tromper : Olmi sait être empathique, intimiste ; il propose un film qui est aussi très intérieur, proche du cœur des êtres qu’il place devant son objectif.

Une deuxième partie montre l’installation de Giovanni en Sicile, son travail en usine, sa découverte de la région. L’ouvrier est assez clairement – même si Olmi ne donne pas toujours dans l’explicite… cela lui a été reproché, mais c’est ce qui fait le charme, la force paradoxale de son film – un étranger pour ceux qui se trouvent sur place. La Sicile et ses habitants sont des étrangers pour lui. Les gens du Nord, ceux qui ont installé et fréquentent l’usine où travaille Giovanni, sont méprisants vis-à-vis de la population de l’extrême Sud de la Péninsule. Que l’on se reporte à ce que dit le chauffeur transportant quelques passagers, dont le protagoniste, de l’aéroport à l’hôtel où celui-ci va loger quelques jours, avant de se trouver un logement personnel. Le chauffeur fustige les paysans et les locaux qui ne savent pas se comporter correctement sur les routes. Que l’on se reporte à ce que dit à Giovanni l’un de ses collègues de travail à propos de ce qu’il considère être la difficulté, voire l’incapacité des gens du cru à s’adapter au monde industriel – à la modernisation du pays, donc.

Quand certains commentateurs veulent donner une idée du film à ceux qui les lisent, ils mettent au cœur de ce qui est censé être son récit les retrouvailles entre Giovanni et Liliana. Probablement parce que, globalement, Les Fiancés présente peu d’événements prégnants, singuliers. Mais elles ne concernent que sa dernière partie, elles arrivent assez tardivement, à travers les lettres échangées – des écrits visualisés de façon particulière et relativement originale – ou un appel téléphonique.
Des images mentales, des flash-back qui pourraient aussi avoir la dimension de flash-foward, d’images-désir, montrent des moments de bonheur partagé… ce qui change quelque peu la dimension du film en sa conclusion. Et puis, il y a ce beau plan de Giovanni, souriant comme il ne l’est pas souvent au cours du film – le personnage est plutôt taciturne, triste -, se laissant bercer par des vagues. Un mouvement positif, une forme de purification concernant ce personnage peuvent être ressentis par le spectateur. Nous n’utiliserons cependant pas le vocabulaire de Jérôme Picant, qui, dans son texte sur Les Fiancés, évoque une « rédemption » du personnage masculin [1]. Le terme a une connotation trop religieuse à notre goût. Ou disons que, à notre avis, il n’est peut-être pas utilisé avec les précautions nécessaires. Olmi n’est pas Rossellini, même si on peut penser à ce dernier, et, par exemple, à Europe ’51, lorsque l’on voit, dans Les Fiancés, des plans d’usine… lorsque l’on pense à tout ce qui passe par le regard, le regard qui découvre ce qui est autre, dans cette oeuvre d’Olmi.

Quand le film est sur le point de finir, et alors que Giovanni parle au téléphone avec Liliana, un orage gronde. Le fiancé explique à la fiancée que, dans cette région où la chaleur le fait souffrir, c’est bon signe. Le spectateur ne le prendra pas forcément ainsi et ne considérera pas Les Fiancés comme se terminant sur une note absolument optimiste… La vie continue…

[1] « la Rédemption dans l’exil : la communication dans I Fidanzati (Les Fiancés) », in Ermanno Olmi, Études Cinématographiques, n°187/193, Lettres Modernes/Minard, Paris, 1992.
L’analyse de Picant ne manque pas d’intérêt. On pourra s’y reporter, entre autres pour les remarques qu’il fait sur la figure de l’enfant dans ce film.

 

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