À n’en pas douter, Sangue del mio sangue, le nouveau Marco Bellocchio, surprendra ses spectateurs. Par le mélange des époques, des genres… Par l’absence apparente de cohérence, de logique entre les différentes parties le constituant… À cause des événements énigmatiques qui s’y déroulent, des situations quasi absurdes qui sont parfois créées. Certains pourront trouver le temps un peu long, d’autre feront en quelque sorte le choix, judicieux à notre sens, de se laisser porter par ce film onirique, à travers lequel l’auteur du Prince de Hombourg s’amuse à faire des incursions dans le monde du fantastique hanté par des doppelgangers et des morts-vivants. Un film parfois abstrait. Paradoxal. Mais aussi ironique, et s’auto-dynamitant de façon volontairement grotesque. Un opus qui propose de très beaux moments visuels et musicaux, oscillant entre le ténébrisme et le sfumato, l’intime et le choral.
Sangue del Mio Sangue est comme l’association libre, poétique de différentes thématiques qui intéressent le metteur en scène et qui ont intéressé son cinéma – c’est un peu le cinéma de son cinéma… celui de Les Yeux, la bouche (1982) ou de La Sorcière (1988).
Il y a des fils conducteurs, des résonances entre les éléments disparates, mais ils ne sont jamais clairs, évidents. On pourrait citer le prénom de Federico, porté par plusieurs personnages, parler de la couleur rouge, qui est celle d’une voiture de luxe d’un richissime Russe et de la robe d’un ecclésiastique de haut rang. Il y a manifestement des clés en Sangue del mio sangue, mais, même si certaines ont une fonction déterminée, on ne sait en fait jamais vraiment quelles portes elles ouvrent et sur quoi celles-ci débouchent.
D’une époque à l’autre, Bellocchio traite de l’isolement pathologique par rapport au monde environnant, de l’emmurement au sens propre et figuré du terme. C’est de la partie moderne, qui est juxtaposée à une partie se déroulant plusieurs siècles auparavant, que ressort bien ce thème qui traverse en fait toute l’œuvre. Les personnages vivent dans un système autarcique et corrompu, où d’aucuns exploitent l’autre et sucent l’argent public. L’ouverture sur le vaste monde, rendue possible par les nouvelles technologies et la mondialisation, le met en question et le défait, en sape les fondations, au grand dam de ceux qui en profitent. Le régulier et le séculier, le religieux et le laïc sont concernés à peu près identiquement. L’action se déroule en grande partie dans un même bâtiment qui, de couvent, devient prison, puis refuge.
Il paraît clair aussi, malgré ce qui a été dit plus haut sur une sorte d’hermétisme bellocchien ici à l’oeuvre, qu’à travers ce film pourtant structurellement dynamique et parfois visuellement éclatant, qui enjoue épisodiquement par sa dimension juvénile, Bellocchio médite sur lui-même – désormais âgé de 75 ans – et sur sa vie passée, son rapport au temps, à la mort. Le réalisateur a eu l’occasion de rappeler qu’il s’est non seulement inspiré, pour Sangue del mio sangue, des Fiancés d’Alessandro Manzoni – 1821-1842 -… Manzoni qui y a lui-même raconté de façon romantique la relation de la Soeur Virginia Maria – la Religieuse de Monza – avec le comte Gian Paolo Osio, entre 1598 et 1608… mais aussi d’un événement tragique qui a touché son frère jumeau Pippo Bellocchio – un suicide par amour -, dont il avait déjà parlé dans Les yeux, la bouche. Marco Belloccchio donne d’ailleurs à son fils Pier Giorgio et à son frère Alberto des rôles importants. Il tourne à Bobbio, sa ville natale. On sent à travers le personnage du Cardinal comme à travers celui du Comte Basta cette perception très mélancolique du temps qui passe, cette sensation qu’il va falloir bientôt se séparer de la Vie – terrestre. Cette recherche éperdue de la jeunesse, de ce qui va survivre, perdurer un temps – se prolonger au-delà de soi, prolonger le soi.
On sent chez eux la quête d’une idée, d’un idéal… ici conjugué au féminin… et qui prend forme pure dans une émouvante scène finale.
Culturopoing proposera d’ici quelques jours une interview exclusive de Marco Bellocchio dans laquelle le metteur en scène parle de son nouveau film.
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