Avec Lætitia ou la fin des hommes, Ivan Jablonka revient sur la mort tragique de Lætitia Perrais. Ce fait divers abominable est arrivé durant la campagne présidentielle de 2012. Il est vite devenu une affaires d’Etat. Le candidat de la droite républicaine, Nicolas Sarkozy, avait trouvé dans les magistrats et la justice en général, des boucs émissaires idéaux en période électorale. Les circonstances, mais également le procédé du crime (le corps découpé était disséminé à plusieurs endroits), avaient provoqué un élan de compassion, sans précédent, dépassant le cadre du simple fait divers.
Ivan Jablonka se focalise sur les derniers jours avant le meurtre, ainsi que sur la vie de cette fille de 18 ans. Pour mener à bien son récit, il a rencontré des journalistes, des juges instruisant l’affaire mais aussi les proches de Lætitia. Son enquête retrace sa jeunesse et met en lumière ses tranches de vie passée. En filigrane, il s’agit également d’un portrait de cette périphérie provinciale reléguée aux derniers rangs des préoccupations politiques et où le déterminisme social n’est pas un vain mot. L’auteur part à la découverte de cette France que la misère sociale écarte du banquet économique et culturel, mais sur laquelle les médias se focalisent dès qu’un drame survient. A plus d’un titre, le destin tragique de Lætitia a commencé bien avant cette nuit de janvier 2011.
Son père, absent de fait, est incarcéré en prison après des violences commises sur sa mère. Cette dernière est en proie à des soucis psychologiques profonds, ne pouvant pas lui permettre d’avoir la garde de ses enfants. Lætitia et sa sœur vont être placées dans une famille d’accueil, les Patron. Ces derniers sont des personnes ambivalentes, à la fois chaleureuses et vicieuses. La juge dira d’eux : « Je n’exclus pas une forme d’attachement aux jumelles. Elles ont pu vivre de bons moments, conviviaux, jouer à des jeux de société. La nature humaine est complexe. On n’est jamais complètement un salaud, c’est ça qui est affreux. » En effet, quelques temps après l’affaire, M. Patron sera accusé d’avoir abusé des adolescents sous sa garde.
Pour son dernier été, Lætitia travaille dans un hôtel tout en préparant un CAP. Comme la plupart des adolescentes, elle flâne sur la plage, flirte et écrit ses humeurs sur Facebook.
Sa rencontre avec son bourreau est fortuite. Depuis sa sortie de prison, les journées de Tony Meilhon suivent un sinistre rituel. Il passe ses journées à commettre de petits larcins tout en étant en permanence défoncé. Quand il voit la jeune fille, il ne veut pas la perdre. Cet attachement singulier à cet homme, son opposé en tout point, le temps d’une après-midi, lui coûtera la vie. Comme convenu avec Lætitia, il va attendre la fin de son service pour la ramener à son domicile. La suite sera un déchaînement incroyable de sauvagerie.
En menant de front l’histoire de Lætitia et le récit du procès, le livre d’Ivan Jablonka mélange les genres. Ni enquête ni livre témoignage, il relève un peu de toutes ces catégories. Le livre apparaît avant tout comme un hommage à la jeune fille. Et c’est à cet endroit que le bât blesse. Car Ivan Jablonka en fait trop dans l’hommage funeste. Il ne prend pas de distance et ses lignes sont teintées d’une affliction exagérée. En voulant redorer la vie de Lætitia, il s’enfonce dans de vulgaires comparaisons. Il en est ainsi quand il découvre de simples textos de Lætitia exprimant, dans un langage SMS, sa joie d’être au soleil. La ligne suivante, Ivan Jablonka voit du René Char dans ce texto banal et répandu (« Tro kiffan le soleil »). Verser dans le sentimentalisme sous prétexte d’une très forte émotion ne suffit pas à faire un livre inoubliable. Au final, le livre ne réussit pas son objectif véritable mais permet de nous replonger dans cette sombre affaire. Dommage.
Laetitia ou la fin des hommes
Ivan Jablonka
Editions du Seuil
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).