Entretien avec Laurent Rieppi autour de son livre « Allo Bowie ? C’est David ! »

Laurent Rieppi est journaliste et chroniqueur pour la radio belge Classic 21. Auteur de nombreuses interviews et créateur de plusieurs émissions thématiques pour la chaîne, il publie aujourd’hui son premier livre, Allo Bowie ? C’est David ! (Editions Lamiroy, 2013). La sortie de cet ouvrage, qui se présente sous la forme d’un abécédaire, nous a donné l’occasion de rencontrer son auteur1.

 
Depuis quand vouliez-vous écrire un livre sur David Bowie ?
 
C’est un projet que j’avais depuis longtemps. Et puis, un jour, début 2013, David Bowie nous a surpris en annonçant son retour alors que tout le monde le croyait mort, artistiquement. En tant que fan, je me suis dit : « Toute cette matière que j’ai accumulée depuis des années, je vais en faire quelque chose ». L’idée, c’était de sortir le livre en même temps que l’album. C’était un fameux défi car l’album sortait trois mois plus tard. J’ai donc arrêté de dormir pendant trois mois (rires). Il me fallait un incitant et cela a été ça.
Pourquoi un livre sous la forme d’un abécédaire ?
 
Cela peut sembler un peu particulier de proposer un livre sous la forme d’un abécédaire. En réfléchissant à comment j’allais écrire le livre, je me suis dit que je ne pouvais pas le travailler sous la forme d’une biographie classique. Il y en a déjà plein sur Bowie. Je voulais apporter quelque chose de nouveau. Je me suis rendu compte que la formule abécédaire est à la fois vieille comme le monde et extrêmement moderne, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Sur Internet, on passe d’un hyperlien à un hyperlien. Finalement, ce livre a été créé de cette façon-là, pas pour une lecture linéaire. On peut se dire : « Je lance Let’s Dance sur ma platine : qu’est-ce que ça raconte ? » Tu vas à la lettre « L » et tu as l’histoire de Let’s Dance et cette histoire va te faire voyager dans tout Bowie. Tu apprends que Let’s Dance a été produit par Nile Rodgers. Qui est Nile Rodgers ? Tu vas à la lettre « N » et tu apprends que Nile Rodgers est un musicien de Chic, etc. Tu voyages dans le bouquin d’une façon non-linéaire, proche de ce que l’on trouve sur Internet.
Comment avez-vous établi les entrées de votre abécédaire ?
 
J’ai grandi en écoutant Bowie, dès l’âge de sept, huit ans. En grandissant, je me suis mis à investiguer sur Bowie. J’ai été fasciné par le personnage de Ziggy Stardust, son côté provocant. J’ai absolument tout acheté de Bowie, y compris ses collaborations. J’ai ensuite travaillé pour Classic 21 où j’ai pu approfondir tout cela en rencontrant des musiciens, des producteurs, des collaborateurs avec lesquels Bowie a travaillé régulièrement. Pour écrire le livre, j’ai donc d’abord imaginé une liste de mots avant de créer mes entrées. Je me suis dit : « Qui est David Bowie pour moi ? » J’ai créé une liste de mots-clés de « A » à « Z » qui définissait tout ça et qui me semblait cohérente.
Qui avez-vous rencontré ?
 
Ce ne sont pas forcément des noms qui vous diront grand chose : des musiciens comme le pianiste Mike Garson, la bassiste Gail Ann Dorsey… Des gens qui sont connus dans l’univers de Bowie. Mais j’ai aussi eu la chance de rencontrer David Gilmour, Roger Waters, les membres de Queen avec qui Bowie a collaboré. Cependant, ce sont les musiciens et les ingénieurs du son, pas forcément connus, qui sont souvent extrêmement intéressants. Depuis que je rédige pour Classic 21, je me suis rendu compte que les meilleurs témoignages ne sont pas toujours ceux des artistes eux-mêmes. Si tu demandes à un musicien de Roxy Music : « C’était comment l’enregistrement de ton album en 74 ? » Il va te répondre : « Je ne me rappelle pas. » Par contre, si tu poses la même question à un ingénieur du son, pour lui, ça a beaucoup compté. Souvent, tu as de meilleurs témoignages.
Vous n’avez pas rencontré David Bowie lui-même ?
 
Non et je pense que je n’aurai jamais l’occasion de le rencontrer. Pour son dernier album, il n’a donné aucune interview. Il faut savoir que Bowie, quand il fait de la promo, fait très très peu de médias. La presse belge n’a donc pas la chance de le rencontrer. Mais je ne sais pas si c’est vraiment intéressant. Comme les journalistes qui rencontrent McCartney aujourd’hui, il a déjà dit tellement de choses que je ne sais pas s’il a encore un discours important…
David Bowie est un musicien dont l’image semble parfois plus importante que sa musique.
 
Bowie a grandi avec son demi-frère Terry qui était un peu son mentor. Malheureusement, celui-ci est devenu schizophrène. C’est ce grand frère qui lui a enseigné la musique, le jazz. Ensuite, Bowie a plongé pleinement dans le Swinging London des années soixante. C’est un moment où Londres explosait artistiquement avec la naissance des Stones, des Kinks, des Who… Bowie a été un grand fan de ces groupes2. Puis, il a créé sa propre personnalité vers la fin des années soixante et le début des années soixante-dix. Mais c’est un vrai musicien, pas quelqu’un qui voulait juste mettre en avant son image. Maintenant, le fait de jouer de celle-ci l’a certainement aidé. Cela n’amoindrit pas son oeuvre : il a allié qualité musicale et sens du marketing. Ce qui est génial chez Bowie, c’est, je pense, qu’il est extrêmement cultivé. Brian Eno a dit : « Le génie de Bowie, c’est de prendre l’art majeur et de le mettre au niveau de la rue, au niveau de la musique pop ». Bowie a le génie de combiner toutes les formes d’art et de les placer à un niveau qui les rend accessibles à tous.
Que pensez-vous de The Next Day, son dernier album ?
 
C’est un album assez confidentiel, un album pour les fans. Je pense que ce n’est pas le meilleur album pour découvrir Bowie si on ne connait pas son univers. C’est un album très référentiel. Le premier single, Where Are We Now, fait référence à sa période berlinoise. Quand on n’est pas fan, on peut se demander de quoi il parle.
Et que pensez-vous du buzz médiatique autour de la sortie de l’album ?
 
C’est quelque chose qui m’impressionne. Bowie continue à créer des buzz incroyables. Déjà en 1973, quand il a tué virtuellement Ziggy en disant : « Voilà, ce n’est pas seulement le dernier concert, c’est aussi le dernier concert que je ferai à jamais ». Il a viré tous ses musiciens et recommencé quelque chose de différent. Il a aussi toujours su dire et faire croire des choses. J’ai lu récemment une interview de Tony Visconti, son producteur, qui expliquait que Bowie lui a dit de jouer sur les rumeurs concernant son état de santé. Il lui a dit : « Tu peux dire ce que tu veux à la presse, que je suis mourant ou en pleine forme, je m’en fous ». Un autre fait impressionnant, il a enregistré son album à New York pendant deux ans sans que personne ne soit au courant, ni sur Twitter, ni sur Facebook, ce qui est pratiquement impossible aujourd’hui. J’ai eu la chance de rencontrer Brian Molko récemment, c’est un ami de Bowie, et il m’a dit : « En faisant ça, Bowie nous a permis de garder l’espoir, l’espoir d’avoir encore moyen aujourd’hui d’enregistrer quelque chose dans le secret et de surprendre les fans ».
Yves Budin a illustré votre ouvrage3. Il vient également de sortir un livre sur David Bowie (Visions of Bowie, Les Carnets Du Dessert De Lune, 2013). Comment s’est déroulée votre collaboration ?
 
L’association s’est faite par éditeurs interposés. Je ne connaissais pas Yves. Je ne l’avais jamais rencontré. J’avais commencé à travailler sur mon texte et je cherchais une façon originale de l’illustrer, notamment en travaillant avec des photographies, mais cela pose pas mal de problèmes de droits d’auteurs et, de plus, ce sont souvent des photos que tout le monde a déjà vues. Comme l’idée du livre était de sortir quelque chose de nouveau, y compris au niveau de la forme, je me suis dit que l’illustration devait être aussi nouvelle. L’éditeur m’a proposé de m’associer avec Yves. Il m’a montré ce qu’il faisait et son univers m’a immédiatement plu. Il a un univers extrêmement sombre qui collait à Bowie. C’est aussi un grand fan. Donc, on parlait le même langage et on a décidé de travailler ensemble. Il n’y a pas de concurrence entre nos deux livres. Lui, c’est un livre de poésies illustrées et moi un livre qui t’apprend l’histoire de Bowie. Les deux bouquins sont complémentaires.
Vous avez d’autres projets ensemble ? J’ai lu que vous aviez un projet sur Queen.
 
Queen, le projet est quasiment terminé. J’attends différentes choses qui vont se passer concernant le groupe. On parle d’une nouvelle tournée, de la sortie d’un biopic sur Freddie Mercury…

Entretien de  Marc Horguelin et Pauline Serrano Izurieta
1.    Cet entretien a été réalisé lors d’une rencontre avec les bacheliers en Communication de la Haute Ecole de la Province de Liège, dans le cadre du cours d’introduction à l’histoire des musiques populaires, avec l’aide de Nathalie Lecoq et sous la supervision de Catherine Florent et d’Alain Hertay, responsable du cours. Laurent Rieppi est lui-même issu de cette section.
2.    On trouve une illustration de cette période « fan » de David Bowie dans l’ouvrage de Julian Palacios que nous avions chroniqué, ouvrage consacré à Syd Barrett
3.    Le site personnel d’Yves Budin : http://www.yvesbudin.com

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