"Récital Emphatique", Michel Fau – Théâtre Marigny

Michel Fau n’a plus à le prouver : il est un monstre du théâtre et avec cet ovni désopilant qu’est ce Récital Emphatique, il le démontre une nouvelle fois avec pour seconde lecture, un véritable pied-de-nez aux pompes d’un théâtre parfois trop prétentieux ainsi qu’une réflexion pertinente sur le lien qui unit  texte et interprétation.
 

(c) Marcel Hartmann
 
Au début du récital, Michel Fau débarque, campant avec conviction sa sorte de Castafiore surannée et capricieuse et sur scène, simplement affublée d’une robe digne des milles et une nuit, la cantatrice tout en rondeurs s’impose d’elle-même en interprétant une danse des sept voiles des plus irrésistibles. Les yeux cernés de noir, elle exprime et surjoue toutes les émotions suscitées par la musique : elle est tantôt inquiète, tantôt rieuse et mutine, tantôt charmeuse, tantôt terrifiée : en un rien de temps toute la salle est conquise par ce personnage invraisemblable auquel il ne manque qu’un nom tant elle est incarnée avec justesse par le comédien. Elle court en tous sens, vaporeuse et pourtant bouffie, puis s’arrête, interroge le public d’un regard, dodeline de la tête, puis repart, se cache derrière les mains, comme effrayée, le tout à grand renfort de froufous et chaloupés : elle est là, puis là, elle sautille, dévoile un bout de jambe puis repart, soupire contre le décor à la façon d’une amoureuse transie, doute… Elle est pataude mais gracieuse, touchante et ridicule. Non mais franchement, ces grands yeux-là ! Puis ne voilà-t-il pas qu’elle se pose et envoie le Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns comme si de rien n’était, accoudée au piano, mais cela dans un yaourt si insensé que la salle en rit de plus belle. Et puis, à l’image de ses cils, c’est si faux ! Les oreilles saignent. Quelque part, dans un autre recoin du monde, un compositeur fait des tours dans sa tombe. Puis la chanteuse joue avec ses cheveux parce qu’elle est un peu timide. Elle a du mal d’ailleurs avec ses cheveux comme avec les paroles qu’elle n’a, semble-t-il, pas vraiment eu le temps d’apprendre. Elle minaude, roule les « r », marche sur sa robe, fait la moue, minaude une nouvelle fois, fait la moue encore, rejoue avec ses cheveux, c’est infernal : Michel Fau prend un malin plaisir et nous avec. Le cabotinage, lorsqu’il est bien fait, devient une arme imparable. Simplement accompagné d’un piano (le talentueux et effacé Mathieu el-Fassi), la diva investit le théâtre dans une générosité contrefaite jubilatoire. Et ça ne dure qu’une petite heure…
 
Si le récital ne se réduisait qu’à ça, Michel Fau aurait très vite épuisé son personnage, il faut bien le reconnaitre, tant la fenêtre d’interprétation est étroite. Pourtant, on ne s’ennuie pas une seule seconde puisque le comédien parvient à se renouveler en investissant des terrains somme toute incongrus tel ceux de la tragédie antique ou de la chanson grivoise.
 

(c) Marcel Hartmann
 
En effet, tout le talent tragique de Michel Fau s’exacerbe lors de cette séquence durant laquelle il déclame un extrait du Phèdre de Jean Racine (« Mon mal vient de plus loin ») en en proposant quatre versions différentes, toutes aussi mal jouées les unes que les autres. Ainsi donc on passe de la déclamation lourde d’un texte devenu pompeux (moulinets de bras, soupirs, silences…), à une proposition modernisante épouvantable où le drame est extrapolé au possible à grands renforts de pleurs et de larmes. Puis la lumière change, et un masque de théâtre No apparait en un clin d’œil en surimpression sur le visage angulaire de Michel Fau et il n’en faut pas plus au comédien pour envoyer Phèdre du côté de l’orient. Que nous dit le comédien ici ? Qu’à trop vouloir incarner un texte classique de qualité avec de fausses intentions, on finit par le rendre ridicule et le vider de sa substance. En un rien de temps, la diva aux faux airs de Sarah Bernhardt ou d’Isadora Duncan, dynamite par cet exercice de style à la Queneau, quelques poncifs d’un théâtre français sclérosé par excès de zèle. Cette réflexion sera reprise un peu plus tard en miroir lorsque le comédien s’en prendra à la chanteuse Zaz dont il moque, non pas l’interprétation comme il l’avait fait précédemment pour Racine, mais au contraire la platitude des textes.
 
« Regardez-moi, de toute manière,
j’vous en veux pas et j’suis comme çaaaaaaa,
j’suis comme çaaaaaaa, papalapapapala !!! » Zaz.
 
Dans un sens on retrouve ici la réflexion amorcée dans les Illusions Comiques écrites et mises en scène par Olivier Py et dans lesquelles Michel Fau, qui se posait déjà en tragédien travesti (inoubliable tante Geneviève), nous questionnait sur l’essence des textes tragiques dans le monde contemporain.
 
Entre deux pastiches ampoulés, Michel Fau interprète ensuite le texte peu connu « Mékong B4 » de Roland Menou, comparse déjanté d’Edouard Baer. Ce passage est une nouvelle fois l’occasion pour Michel Fau de se moquer d’un écrit en le massacrant, non plus dans l’interprétation, mais dans le sens même. Ainsi, l’Amant de Marguerite Duras est ici pastiché à l’extrême et les effets de style parfois lourds de Duras, sont moqués puisque le personnage romantique se retrouve à évoquer Nevers ainsi que les enfants qui y jouent et les papayes qui poussent tout le long de… la Loire. ( ?!), très loin donc de l’érotisme oriental du texte original.
 
Le public rit encore lorsque la diva improbable massacre le magnifique Summertime de Gerschwin en le traduisant, le vidant de la sorte de toute poésie. Ainsi prend-t-on conscience de la distanciation que provoque la langue.
 
« C’est l’été et la vie est facile
Les poissons bondissent et le coton est haut
Oh ton papa est riche et ta maman est belle
Alors chut, baby, ne pleure pas
Parce que c’est l’été. »
 
Pour conclure, loin de toute intellectualisation frontale, ce Récital Emphatique est une vraie gourmandise qui propose une réflexion sur le lien qui unit le texte et l’interprétation que l’on en fait et cela par le biais du rire même : parce qu’on rit, c’est évident, et cela sans répit des mimiques d’unMichel Fau qui s’affirme sans l’ombre d’un doute comme l’un des plus grands comédiens actuels.
Une vraie leçon de théâtre faussement légère.

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Le Recital Emphatique de Michel Fau est à déguster jusqu’au 23 juin au Théâtre Marigny.

Et parce que bien évidemment nous avons adoré la prestation de Michel Fau lors des Molières 2011, nous repostons ici la vidéo.

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A propos de Alban Orsini

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