"Untitled Feminist Show", m.e.s. Young Jean Lee – Théâtre de Gennevilliers

Tous à poil : Untitled Feminist Show décomplexe le nu féminin dans tous les sens du terme, et cela fait un bien fou !
Il est 20h30. Six femmes passent parmi le public et cela entièrement nues. Elles ne se rhabilleront que lors des saluts. Elles sont vibrantes, vivantes, belles : elles respirent. Elles rejoignent la scène et Untitled Feminist Show, conçu et réalisé par Young Jean Lee, débute.
Il s’agit d’un spectacle de nu féminin. Tout est dit.
Dès son introduction le « show » interroge le regard du spectateur puisque la première chose qu’il fait est bien évidemment ce à quoi s’adonne la société lorsqu’elle se retrouve confrontée à la nudité : elle étudie, compare, comme si la gêne que la peau nue et l’exposition du sexe pouvaient susciter devaient en passer par là pour être acceptées. Mettre dans des boîtes avec une jolie étiquette par-dessus pour rationaliser ce qu’elle n’a pas l’habitude de voir de la sorte montré et qui dans un sens, lui échappe. Nous sommes par trop, habillés…
« Cette femme est plus ronde que celle-là ».
« Celle-ci est moins épilée que celle-là ».
« Celle-ci ne se rase pas les aisselles ».
« Cette comédienne est de manière certaine la plus gironde ».
« Celle-ci possède les hanches les plus larges alors que c’est celle-là qui a le plus de cellulite ».
« Cette artiste possède un corps d’homme, c’est impressionnant ! ».
« Celle-ci est la plus féminine ».
« Celle-là possède le plus beau visage ».

(c) Blaine Davis
C’est établi : dans les premières minutes du Untilted Feminist Show, le spectateur adopte la position d’un ethnologue. Il mesure et évalue. Il se questionne quant à la limite de son impudeur. Il réfléchit sur ce qui définit la provocation, sur ce qui est choquant et sur ce qui ne l’est pas. La frontière qui subsiste entre le deux. La flexibilité de cette dernière. Il se demande si le sexe sera montré et s’il sera capable de le voir : la réponse lui sera très vite donnée au travers de cette image furtive durant laquelle une comédienne écartera les jambes dans un grand-écart sans équivoque alors qu’une autre en premier plan se cachera l’entrejambe par pudeur ou plutôt en mimant celle-ci. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la nudité sera frontale dans le spectacle. Le corps ne se cachera pas.
Pour appuyer son propos la jeune artiste Coréo-américaine a fait appel aux meilleures interprètes.
‘ »Je recherchais des artistes puissantes, charismatiques et singulières. J’ai donc contacté les plus grandes stars que je pouvais trouver dans les mondes du cabaret alternatif, du burlesque, de la danse et du théâtre. Je les ai invitées à participer à l’audition. Chacune dégageait une forte présence sur scène. Dans cet ensemble, les cinq que j’ai retenues sont très différentes et forment la combinaison qu’intuitivement j’ai sentie comme la plus intéressante. Elles ont un parcours et des compétences très variés, je les ai poussées à explorer aussi loin qu’elles pouvaient. Le spectacle s’est créé collectivement avec Faye Driscoll, Morgan Gould et les performeuses », Youg Jean Lee, propos recueillis par Gwénola David pour le Festival d’Automne à Paris.
Si le spectacle interroge sur la représentation de la nudité et notre rapport avec elle, on comprend bien vite que celle-ci ne sera jamais vraiment vulgaire et qu’elle sera débarrassée de tout pathos : ici, il s’agit de rire avant tout de la nudité, de la décomplexer, car après tout : quoi de plus normal que le corps ? Quoi de plus normal que cette nudité qui en un sens nous relie tous ?
Au-delà de cette réflexion sur le corps et sa jouissance, son exaltation, de la définition du genre, Untitled Feminist Show est, comme son nom l’indique, une recherche sur l’image de la femme dans notre société. Ainsi, au grès des tableaux qui s’enchaînent sur scène dans un mélange de mimes, de théâtre et de danse (aucunes paroles ne seront ici échangées), les femmes dans leur globalité apparaissent tour à tour sorcières, romantiques, mutines, femmes au foyer (elles lavent, nourrissent leurs enfants, font le ménage, en autant de clichés machistes), combatives, poètes, lubriques… C’est un véritable album photo des possibles qui nous est proposé, la nudité renforçant cette idée selon laquelle la femme possède « par nature » plusieurs identités, différentes facettes. Qu’elle est complexe et que cette complexité est paradoxalement des plus simples à appréhender à condition qu’elle ne soit sujette à aucune intellectualisation superflue.

(c) Blaine Davis
Peu à peu débarrassé de son regard d’ethnologue, le  spectateur s’amuse très vite des différentes saynètes qui lui sont exposées et finit par rire de bon cœur. Il y a en effet beaucoup d’humour dans Untilted Feminst Show tout comme il y a énormément d’émotions aussi, imbriqués. Comme cette séquence durant laquelle Lady Rizo mime avec énormément d’humour et de complicité avec le public, différentes pratiques sexuelles avant de se mettre à chanter une ballade poignante qui tire les larmes : elle quitte la scène en pleurs, le spectateur est saisi. Souligné par une musique éclectique qui passe du classique, au moderne arty (The Knife, Fischerspooner…), du chant a cappella au hard rock énergique, et par une projection vidéo kaléidoscopique dynamique, le spectacle touche au plus près à l’intime avec une justesse et une simplicité des plus réussies.Quel bonheur pour le spectateur ainsi conquis de contempler sans voyeurisme ces corps libérés de toutes entraves. Quel bonheur pour lui de reprendre conscience qu’un corps est avant tout vivant, beau dans sa simplicité et ses imperfections, et qu’il est défini loin de ces stéréotypes photoshopés qui n’ont plus rien d’humain et dont on nous abreuve à longueur de temps comme si c’était eux, qui créaient la norme. Quel pied (pardon) de réaliser _ et oui_ qu’un corps bouge, ondule, qu’il se plisse et qu’il n’y a rien là-dedans d’antinaturel, bien au contraire. Pour un peu, le spectateur se prendrait au jeu et voudrait être nu lui aussi, gagné par cette euphorie.

Ainsi se dégage de cet Untitled Feminist Show une extrême fraîcheur qui contraste avec la crudité de la peau et le malaise qu’elle aurait pu susciter. Rendre banal les corps, voilà le challenge réussi de ce spectacle tant et si bien que lors des saluts durant lesquels les artistes se sont rhabillées, le spectateur est presque choqué par la présence de ces vêtements et leur incongruité.

Bravo mesdames !A voir jusqu’au 07 octobre au T2G.

Untitled Feminist Show Final Video from Bart on Vimeo.

Conception et réalisation Young Jean Lee En collaboration avec Faye Driscoll, Morgan Gould et les performeurs Becca Blackwell, Amelia Zirin-Brown (aka Lady Rizo), Hilary Clark, Katy Pyle et Regina Rocke ProducteurAaron Rosenblum Scénographie David Evans Morris assisté de Kate Foster Lumières Raquel Davis assistée de Ryan Seelig Son Chris Giarmoet Jamie McElhinney Vidéo Leah Gelpe assistée de Bart CortrightDramaturgie Mike Farry Assistants réalisation Kate Gagnon et Rachel KarpCostumes Roxana Ramseur Construction décors Maia Robbins – ZustDirection de production Sunny Stapleton.


Production Young Jean Lee’s Theater Company (New York City) 

Coproduction Kunstenfestivaldesarts, steirischer herbst festival (Graz), Walker Art Center (Minneapolis), Spalding Gray Award (Performance Space 122 New York, Warhol Museum Pittsburgh, On the Boards Seattle).  Avec le soutien de MAP Fund, un programme du Creative Capital avec le soutien du Doris Duke Charitable Foundation et le Rockefeller Foundation, Greenwall Foundation, Fox/Samuels Foundation, MAP/Doris Duke Charitable Foundation Creative Explorations Fund, National Endowment for the Arts & le New York State Council on the Arts. Spectacle créé à Minneapolis (Walker Art Center) en janvier 2012. Coréalisation Théâtre de Gennevilliers, centre dramatique national de création contemporaine ; Festival d’Automne à Paris.

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A propos de Alban Orsini

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