Il y a toujours ce plaisir intact à retrouver un festival et la première soirée de sa nouvelle édition : on se lance dans les pronostics de films aimés, rejetés, potentiels lauréats, incompris… puis l’orientation de la ligne éditoriale, ses prises de risques, la sortie de notre zone de confort au travers d’une vingtaine de films parmi plus de quatre cent visionnés. Or, le voyage que le PIFFF nous propose de vivre ensemble promet des émotions, plus que des sensations fortes dans cette sélection balayant un spectre large de genres. C’est le pari renouvelé chaque année des désirs d’une équipe face aux attentes de son public, la rencontre de promesses plus ou moins exaucées ? Il faut donc trouver l’équilibre entre ce que le comité de programmation aime et ce qui pourrait plaire au public. Pourtant tout est en constante évolution : nos goûts, les tendances, les sujets, les tics de mise en scène. Malgré cela, ce qui peut créer le consensus est l’aspect festif d’une soirée d’ouverture pendant laquelle le ton est donné : l’envie de partager une générosité, en ces temps troublés, où le repli sur soi serait une panacée aisée, alors que ce qui nous sera donné à voir incite plutôt à sortir de notre coquille, confronter nos imaginaires et faire dialoguer nos sensibilités.
Et c’est avec un habitué du festival que le coup de départ est donné : Joseph Kahn venu pour son Detention en 2011 à la clôture de la première édition du PIFF, puis avec Bodied en 2017. Ce réalisateur de clips vidéos et de pubs s’est d’abord distingué pour sa prolifique production audiovisuelle auprès de stars occidentales (Taylor Swift, Imagine Dragons, Eminem, One Republic, U2, Katy Perry, The Chemical Brothers, Lady Gaga, Gwen Stefani, Blink 182, Wu-Tang Clan, Backstreet Boys, Britney Spears, Mariah Carey, Aerosmith, Faith Hill, Moby, Jamiroquai, Justin Timberlake, George Michael, Kelly Clarkson, Janet Jackson, Black Eyed Peas, Beyonce…), puis à contrario par une carrière cinématographique erratique. Ne trouvant pas dans le système hollywoodien une écoute et une compréhension à ses projets de films, Kahn préfère les financer et les réaliser comme bon lui semble, jusqu’à tourner au Texas n’offrant alors pas le meilleur cadre pour un tournage fauché. Ick en est la pure traduction d’une velléité artisanale d’en découdre avec une industrie cherchant la recette facile pour des profits immédiats.
Ick nous est présenté de ce fait en première française, après une modeste tournée en festivals de films de genre et il poursuit cette obsession qu’a le réalisateur de rythmer musicalement sa mise en scène, jusqu’au trop plein, l’over-cut dans son montage. Ce n’est pas un hasard si à l’origine Ick devait être un clip vidéo pour le groupe NIN il y a vingt ans. Situant ainsi son histoire au début du XXIè siècle avec force perruque, un couple modèle qui a raté le coche de la belle romance adolescente poursuit séparé sa morne vie à Eastbrook, métaphore du surplace et d’une auto-réalisation limitée : d’un coté Hank blessé par un ick lors d’un match de football américain voit sa carrière se briser pour ne devenir qu’un jardinier au décès de son père, puis professeur de sciences au lycée; tandis que de l’autre, sa dulcinée perdue, Staci la sémillante pom-pom girl opte pour la sécurité en convolant avec un sinistre agent immobilier assurant alors confort matériel, collectionnite aigüe mais ne satisfaisant en rien le bonheur factice du foyer familial composé de leur fille Grace. Rien ne va, et Kahn filme cette crise existentielle en l’apparition de cet ick, allégorie de ce danger protéiforme s’enracinant dans notre cœur et notre esprit quand tout va à vau-l’eau. Un marasme faisant accepter que le danger est tapi partout et on n’y prête plus attention, pire on s’en accommode, malgré des sursauts, voire des attaques létales décimant des groupes entiers de citoyens d’Eastbrook.
Passé l’étonnement que suscite cette léthargie sociale, la petite musique Kahnienne nous suggère qu’il reste un sale gosse, faisant de ses films des jouets qui quand on les secoue vocifèrent un juke box de morceaux tonitruants (The All-American Rejects, Fountains Of Wayne, blink-182, Dashboard Confessional, Wheatus, Good Charlotte, Plain White T’s, Chevelle…) circonscrivant une époque révolue qu’on pensait au placard, pire le coup de vieux se fait ressentir avec l’évocation surlignée des Beatles, Creed ou la sextape de Paris Hilton. Si bien qu’on se demande à qui s’adresse ce film ? Au simili quaran/cinquantenaire qu’on est ou à notre enfant hyperactif shooté à la saccharose qui aurait besoin de voir un film d’horreur pour se calmer ? Malgré ses sept ans d’écriture de scénario, le propos reste limpide, et on songe évidemment à The Faculty de Robert Rodriguez pour l’argument, on croit faussement que la crise du COVIDー19 y a mis de son grain de sel à la dramaturgie, que Zombie de Romero avait tiré suffisamment la sonnette d’alarme face à notre consumérisme soporifique… Kahn souhaitait davantage une satire sur les peurs nous poussant à nous retrancher en communautés fermées et ségrégées, rejetant toute sorte de pensée alternative. Cela prend forme notamment avec de nombreuses interpellations sonores hors champ dessinant par là ces groupes auto-ghéttoïsés intolérants : wokes, féministes, vegans, anti JKR… des myriades d’audiences fictives dans le film pouvant être aussi une adresse au public chez qui peuvent se nicher ces ennemis ickiens…
Kahn fait alors le choix que c’est par l’amour filial que la résolution arrivera, ou pas, qui en douterait ? Et se donne en prétexte cette trame pour quelques scènes roboratives visuellement en action et horreur avec des effets spéciaux à la hauteur des moyens entrepris. À chaque projection en festivals, il a retravaillé une nouvelle version et permis au public parisien de voir sa cinquième itération et son ultime vision qu’il considère améliorées quant au rythme (plans intermédiaires offrant des respirations), à la compréhension (température du ick) et l’aboutissement de scènes d’action (Hank gelé)… Ça pêche ainsi par excès avec ce bourrage de baudruche, plus qu’elle ne pourrait contenir, mais le film vaut surtout pour un casting qu’on aime à revoir sur grand écran : Brandon Routh (Scott Pilgrim vs. the World) et Mena Suvari (inoubliable tentation de American Beauty) en parents quelque peu dépassés par les événements tragi-comiques de l’invasion ickienne.
Ça aurait mérité d’être taillé dans le gras et d’être plus incisif pour ce plaidoyer sur les sacrifices entrepris pour son envol et son autonomie, l’allégorie est certes surchargée en sucre glace, mais on le concède c’est généreux en bons sentiments : il y a une candeur irrésistible chez Kahn qu’on ne peut lui retirer quant à sa volonté forcenée de réaliser ses rêves, ce qui pourrait mettre un peu de baume à toutes les atrocités réjouissantes que nous offrira ce 13è PIFFF.
Daniela Forever de Nacho Vigalondo : bientôt
Dead Mail de Joe DeBoer & Kyle McConaghy : bientôt
Suivez cet article afin de découvrir si des coups de cœur apparaitront parmi les films suivants de cette section dans les prochains jours : The Rule of Jenny Pen de James Ashcroft ; Mortelle Raclette de François Descraques ; The Last Sacrifice de Rupert Russell ; et en clôture The Surfer de Lorcan Finnegan,
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