Dans ce dernier coup de cœur, nous laissons de côté les horreurs afin de finir sur l’une des plus belles merveilles de cette sélection, l’horreur ressentie n’est sans doute pas du côté du public complètement perverti au fil de ces programmes, mais bien de celui des censeurs et garants des bonnes mœurs… Les images de Zuluaga Montoya, provenant d’archives familiales des plus déconcertantes, nous font entrevoir par l’intime un récit national occulté, par la figure de sa grand-mère Luz Emilia García, pionnière du cinéma pornographique en Colombie. Cela nous rappelle que les premières prises de vues cinématographiques mettaient en scène des jeux érotiques et charnels qu’ont éclipsés des récits comiques et fantastiques dans notre mémoire collective mondiale (Georges Méliès, Alice Guy-Blaché…). Le court-métrage de Zuluaga Montoya commence par des jeux innocents d’enfants s’incarnant en bêtes fantasmagoriques, mais le récit sous forme de fable nous fait comprendre qu’en chaque petite fille sommeille une autre sorte de bête en devenir : actrice, réalisatrice… Dans ce conte, cette grand-mère tutélaire s’adonnait alors à la débauche saphique dans sa villa, tournant ses films pornos lesbiens explicites. Nous nous laissons ainsi porter par ces rituels mystiques endiablés, tout fantasmés, et c’est là que Zuluaga Montoya se joue de nous avec un mockumentaire grâce au fonds de Shub Archive, qu’elle met en scène en une vie imaginaire afin de donner chair aux prémisses du cinéma porno de son pays, faute de sources suffisantes, et en regardant ce qui nous est proposé, nous avons envie de croire à cette fictionnalisation. C’est le réel que Zuluaga Montoya dévergonde en s’appropriant le langage cinématographique, et notre esprit suit allégrement cette mutine imagination. Elle explore le champ des possibles de la fiction avec une grande liberté, en reprenant le ton des récits gothiques d’autrices latino-américaines telles que Natalia García Freire, Mónica Ojeda et Mariana Enríquez. Elle est d’une génération qui revendique son émancipation, affranchie des carcans moraux, artistiques et sociaux. Aussi, elle prépare son premier long-métrage Las mujeres del reino que nous avons hâte de découvrir après sa pluie de récompenses en festivals pour ce facétieux court métrage.