JOUR 6
Avec PRISCILLA, Sofia Coppola revient en très grande forme en adaptant les mémoires de Priscilla Presley sur sa relation passionnée avec Elvis, de leur rencontre quand elle était encore mineure jusqu’à leur séparation en 1972. À l’inverse du film extravagant de Baz Lhurmann qui montrait un Elvis vampirisé par le colonel Parker, c’est un récit beaucoup plus intime et moins spectaculaire qui nous est raconté ici avec un point de vue plus féminin. Sofia Coppola nous décrit une relation d’emprise, sans rien cacher de la différence d’âge, mais aussi l’ivresse, la profondeur et la fragilité d’un véritable amour entre deux personnes qui se sont réellement aimés et respectés, jusqu’à ce que Priscilla trouve le courage inouï de quitter Elvis parce que leur style de vie devenait incompatible. C’est aussi la libération mélancolique d’une captive qui sort progressivement de sa cage dorée et de ses fantasmes d’adolescente. En refusant tout jugement hâtif et toute simplification moralisante, pour mieux privilégier la nuance et la subtilité, Sofia Coppola fait preuve d’une empathie rare et assez bouleversante pour ses personnages, parfaitement incarnés par Cailee Speany et Jacob Elordi. Peut-être bien son chef-d’œuvre.
Assez bien reçu à Venise où Woody Allen semble encore avoir ses fans (malgré quelques protestations devant le tapis rouge), COUP DE CHANCE fait pourtant l’effet d’une douche froide. Son passage tant attendu dans la langue française, qu’il ne maîtrise évidemment pas, alourdit et affadit son cinéma. La petite musique allenienne est toujours là, mais elle devient cette fois une mécanique vieillotte et ringarde, sans véritable incarnation. Seule Valérie Lemercier tire parfois son épingle du jeu. Le film a déjà sa chronique sur Culturopoing par Vincent Roussel qui s’avère beaucoup plus indulgent que moi.
Après LE PROCÈS GOLDMAN, Cédric Kahn est déjà de retour avec MAKING-OF, une « comédie sociale » sur le tournage d’un « drame social », où tout n’est que mise en abyme (qui a dit méta?). Le réalisateur du « film dans le film » (Denis Podalydès), cherchant à évoquer le combat d’ouvriers opposés à une délocalisation, se retrouve à son tour plongé dans un conflit social avec sa propre équipe. Bien sûr, toutes les emmerdes possibles lui tombent à la gueule, notamment avec Jonathan Cohen en acteur égocentrique et insupportable (un double de Vincent Lindon?), comme si les soucis de budget ou de scénario ne suffisaient pas, sans oublier sa vie personnelle (sa femme demande le divorce). Bien sûr, tout le processus de création est amené à être continuellement remis en question. Le personnage le plus attachant est sans doute celui de Stefan Crepon, celui qui filme justement le making-of du tournage, et qui, dans tout ce petit chaos, noue une relation avec l’actrice principale du film, incarnée par l’excellente Souheila Yacoub. Un film assez « qualité française », aussi finement habile que lourdement démonstratif, aussi efficace que légèrement vain, sympathique mais sans génie. Une sorte d’état des lieux du cinéma français avec son casting hétéroclite qui permettra peut-être à Cédric Kahn de se questionner sur sa propre carrière.
Dans la sélection documentaires de Venise Classics, on pouvait aussi bien trouver des films consacrés à Bill Douglas, Frank Capra, Guiseppe de Santis, Ken Jacobs, Dario Argento ou encore Michel Gondry. En plus du film sur Andy Kaufman, déjà évoqué dans mon compte-rendu, je n’ai pu voir que les deux derniers. Si DARIO ARGENTO : PANICO de Simone Scafidi s’avère plutôt attachant, il reste trop un documentaire de fan qui se contente de recueillir les confidences de Dario Argento sur sa vie personnelle et créative, ainsi que de ses collaborateurs, sans oublier les inévitables éloges attendus de ses amis Refn, Noé et Del Toro. Les meilleurs moments sont ceux où Argento évoque son besoin d’isolement pour écrire, comme s’il était divisé en deux tel un double ayant besoin de se concentrer sur ses cauchemars pour mieux rechercher une sensation de panique. Mais c’est surtout le beau portrait consacré à Michel Gondry, DO IT YOURSELF de François Nemeta, qui s’avère emballant. Artiste excentrique et inclassable dont la carrière est aussi déroutante qu’imprévisible, créateur de vidéo-clips devenus cultes, le versaillais Michel Gondry a aussi bien arpenté Hollywood qu’expérimenté la science des rêves : tout y passe, son enfance, ses débuts de vidéaste, son rapport à la musique (et comment il a cherché à la traduire en images), sa fameuse « usine de films amateurs », ainsi que ses propres errances (sa dépression pendant qu’il tentait d’adapter « L’Ecume des Jours » de Boris Vian). Un authentique éloge de l’émerveillement et de la création artisanale.
Enfin, on finit en beauté avec le précieux et incontournable Richard Linklater qui parvient une nouvelle fois à surprendre avec son génial HIT MAN. Un mélange joyeusement décalé entre le film noir, la romance sexy et la screwball comedy, qui s’inspire très librement de la vie improbable (et vraie!) de Gary Johnson, un professeur se faisant passer pour un tueur à gages afin d’aider la police locale. Lorsqu’il enfreint le protocole pour aider une femme désespérée qui tente de fuir un petit ami violent, il se retrouve à devenir l’un de ses faux personnages, tombant amoureux de la femme et flirtant avec la possibilité de devenir lui-même un criminel. Avec son génial acteur et co-scénariste, Glen Powell, dont la formidable alchimie avec sa formidable partenaire Adria Arjona fera date, Linklater renoue avec un plaisir de cinéma populaire tout en proposant une subtile réflexion philosophique sur notre identité, et nous donne la parfaite définition d’un crowd-pleaser, où les réactions absolument enthousiastes se font bien sentir pendant la projection. Un véritable coup de cœur, brillamment écrit et absolument irrésistible, dont on regrette fort qu’il n’ait pas été en compétition. Linklater aurait bien mérité un Lion d’Or.
« – Are you enjoying your pie ?
– All pie is good pie. »
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