Il n’y a pas si longtemps, on craignait une Mostra fortement affaiblie par la grève SAG-AFTRA, que semblait préfigurer l’annulation du film d’ouverture initialement annoncé, CHALLENGERS de Luca Guadagnino, dont la sortie est reportée à 2024. Mais au final, Alberto Barbera peut souffler : certains gros films américains très attendus étaient finalement bien là, même si les grandes stars n’ont pas foulé le tapis rouge (à l’exception d’Adam Driver et Jessica Chastain qui ont eu droit à une dérogation pour venir défendre leurs films). La Mostra a aussi suscité une controverse inévitable avec la présence des films de Roman Polanski, Woody Allen et Luc Besson (seul ce dernier ayant eu les honneurs de la compétition). Mais venons-en à la sélection de cette année, particulièrement riche et emballante, même si évidemment, rien n’était parfait. Votre chroniqueur a surtout privilégié dans son planning déjà bien serré les films qu’il était le plus susceptible d’aimer, ce qui peut donner un aspect trompeur à un compte-rendu majoritairement enthousiaste sur une partie de la sélection et non dans son ensemble.
JOUR 1
On commence en douceur avec COMMANDANTE d’Edoardo de Angelis, film d’ouverture en remplacement de celui de Guadagnino, film de guerre plutôt honorable qui rend un hommage élogieux à un commandant de la Marine royale italienne pour un acte de bravoure en 1940. Après avoir fait couler un navire ennemi avec son sous-marin, celui-ci a décidé de sauver de la noyade les survivants de l’équipage belge, au mépris des instructions de ses propres supérieurs. Le message humaniste est bien là, livré avec une certaine emphase, mais Pierfrancesco Favino impressionne une fois de plus. Il est décidément l’acteur italien incontournable du moment, également présent dans ADAGIO, le film noir de Stefano Sollima (où il arbore un look assez méconnaissable avec son crâne rasé) mais que je n’ai pas pu voir.
Le même jour a aussi été présenté L’ORDRE DU TEMPS, le dernier film de Liliana Cavani, qui a reçu pour l’occasion un Lion d’honneur à l’âge de 90 ans. Tiré de l’essai philosophique du physicien Carlo Rovelli, le film suit un groupe d’amis qui se retrouve dans une villa en bord de mer et capte leurs réactions face à la menace d’un astéroïde qui pourrait détruire la Terre dans les heures à venir, rien que ça. Avec ce mélange improbable de MELANCHOLIA et des PETITS MOUCHOIRS, Liliana Cavani livre un charmant film choral, certes assez superficiel, qui ne cherche jamais à atteindre la force transgressive de ses films les plus connus comme PORTIER DE NUIT, mais qui reste étonnamment léger et apaisé avec un postulat aussi catastrophiste.
Avec EL CONDE (LE COMTE), déjà disponible sur Netflix, Pablo Larrain continue de prendre à revers le biopic de personnage historique en s’attaquant cette fois à la figure d’Auguste Pinochet qu’il imagine dans la peau d’un vampire de 250 ans ayant simulé sa mort et se méfiant de ses héritiers opportunistes. Si le ton change aussi par rapport à ses autres faux biopics, se situant cette fois entre la farce allégorique et le film d’épouvante, il fait toujours preuve d’audace et d’originalité dans sa liberté narrative, même si EL CONDE se révèle peut-être finalement moins émouvant et sensoriel que les beaux portraits féminins qu’étaient SPENCER ou JACKIE . On peut aussi regretter la texture un peu trop numérique de la photo d’Edward Lachman. Peut-être un Larrain mineur mais un drôle de film baroque en tout cas.
Présenté a la Giornate Degli Autori, SIDONIE AU JAPON d’Elise Girard est une petite merveille de douceur et de modestie. Isabelle Huppert se révèle une fois de plus irrésistible dans le rôle d’une écrivaine endeuillée qui découvre le Japon pour la toute première fois et retrouve le fantôme de son mari (August Diehl), tout en faisant connaissance avec un éditeur japonais. Un vrai film de voyage tout simple, parfois drôle, avec un sens du décalage bien senti (on sent l’apport de la regrettée Sophie Filières, ici co-scénariste), lumineux et attachant sur la renaissance de soi, le lien entre passe et présent, et surtout une déclaration d’amour au Japon, pleine de tendresse.
JOUR 2
Le très attendu FERRARI de Michael Mann, marquant le retour à un classicisme assumé plutôt qu’à ses expérimentations formelles, se révèle à la fois magnifique et étrangement un peu décevant, comme s’il manquait quelque chose d’insaisissable, qui s’éclairera peut-être lors d’une seconde vision. En racontant seulement quatre mois de l’été 1957 dans la vie d’Enzo Ferrari, mais en y concentrant tous les drames personnels (son entreprise fait faillite, sa femme découvre son adultère), Michael Mann livre un mélodrame d’une sècheresse et d’une maîtrise irréprochable, avec des spectaculaires scènes de courses et une partition parfaite d’Adam Driver et Penelope Cruz. Mais le lyrisme opératique ne décolle vraiment que lors de son dernier tiers. Il est curieux de voir un projet pourtant tant rêvé, qui semblait profondément intime, déboucher sur un film qui se laisse juste admirer sans vraiment étourdir, ni bouleverser. On cherche en vain une étincelle, une sorte de vertige… Peut-être que Michael Mann s’est tellement passionné pour tous les infimes détails de la vie réelle d’Enzo qu’il a manqué de recul pour la filmer. Peut-être qu’Adam Driver n’était pas le choix de casting idéal, peinant malgré tout à nous attacher à son personnage.
Quelques mois à peine après son épatant ASTEROID CITY, Wes Anderson est déjà de retour en forme avec THE WONDERFUL STORY OF HENRY SUGAR, moyen métrage expérimental de 39 minutes qui inaugure une collection d’adaptations de Roald Dahl (et qui seront tous réunies sur Netflix à la fin du mois). On comprend vite pourquoi Wes Anderson n’a pas voulu réunir les quatre petits films tellement tout fonce à toute vitesse dans un débit mitraillette où tous les comédiens s’adressent à la caméra dans des décors qui peuvent changer dans le même plan. Loin d’être de l’épate, cette radicalité formelle propose en fait un mariage inédit entre littérature et cinéma, inventant presque une nouvelle façon de raconter des histoires, pour mieux capturer l’esprit fantaisiste des nouvelles de Dahl. On est impatient de découvrir les trois autres.
Enfin, Josh Safdie nous a fait la surprise de venir présenter un excellent documentaire qu’il a produit avec son frère Benny, THANK YOU VERY MUCH d’Alex Braverman, centré sur la personnalité d’Andy Kaufman. Evidemment, tous ceux qui ont déjà vu l’excellent MAN ON THE MOON de Milos Forman, avec un Jim Carrey complètement habité, savent déjà tout ou presque sur ce comique aussi fascinant qu’énigmatique dans ses métamorphoses. Mais cela reste passionnant de découvrir autant d’archives du vrai Andy Kaufman et d’être sidéré par ses multiples personnalités sans aucune distinction. Face à un tel phénomène, Braverman ne cherche pas à donner de réponses, mais pose d’intéressantes réflexions sur son influence et son héritage dans la sphère du divertissement et même dans notre politique. Le portrait d’un artiste finalement plus visionnaire qu’on ne l’imagine.
Présenté a la Giornate Degli Autori, la comédie québécoise VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT d’Ariane Louis-Seize peut se vanter d’avoir le titre le plus rigolo, ou en tout cas celui qui résume le mieux son contenu. C’est donc l’histoire d’une jeune vampire trop humaniste pour mordre, mais qui devra bien trouver une proie face à la pression familiale : un suicidaire consentant fera donc l’affaire. Mais c’est finalement à un énième récit d’apprentissage adolescent auquel on aura droit, où il sera question d’assumer son identité, d’accepter sa différence, de surmonter sa dépression… Des thèmes déjà abordés mille fois mais ce teen-movie un peu timide reste assez mignon dans son détournement des codes du film de vampire et se laisse regarder sans déplaisir.
Deuxième partie du compte-rendu à suivre …
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