Ma femme est un violon pour reprendre le titre d’un film de Pasquale Festa Campanile ou mon violon est une femme, soit Trio, une histoire d’amour entre un homme, Gheorghe sa femme, Sorina, et un violon.
A travers la parole et le regard de Gheorghe et Sorina, 60 ans d’histoire de la Roumanie sont revisités, remémorés, avec, au centre, la chute du communisme et la figure de Ceaucescu, personnage clé d’une contrée qui ne s’est jamais remis de l’après 1989. En témoignent les propos terribles et même intolérables pour nous, Occidentaux, de Gheorghe qui considère avoir été plus heureux sous le règne du dictateur. Ces brefs éclats de noirceur au sein d’un essai cinématographique plein de tendresse et d’humour sonnent comme des contrepoints nécessaires à ce qui demeure un portrait touchant d’un couple comme il en existe tant : complice et pourtant sans arrêt en train de se chamailler.
Ana Dumitrescu tente – et réussi la plupart du temps – de s’imprégner de l’âme slave, de capter des instants intimes qui n’appartiennent qu’à un peuple qui a beaucoup souffert. Elle filme – très bien d’ailleurs – les lieux, que ce soit la maison de Gheorghe et Sorina, les ruelles abandonnées d’une métropole de taille moyenne, le métro ou encore la visite d’un cimetière. Il s’en dégage une atmosphère étrange, à la fois triste et envoûtante qui en dit plus long que bien des discours politiques et/ou sociologiques. Pour cela, elle utilise les moyens du cinéma.
Dans un noir et blanc somptueux, elle promène sa caméra flottante et aérienne au sein de l’intimité du couple. Utilisant à merveille la steadycam, elle se fend de quelques très beaux travelling latéraux, évoquant les premiers films de Jim Jarmush. La cinéaste puise ses références dans des films aux antipodes du sien que ce soit Orange mécanique ou Funny game. Totalement maître de son quatrième long métrage, puisqu’elle tient à la fois le rôle de monteuse, directrice de la photographie et réalisatrice, Ana Dumitrescu pose un regard lucide sur le pays, laisse aussi beaucoup de place au silence et à la musique. Cette musique qui tient Gheorghe en vie, lui redonne de l’espoir et transcende la dureté du quotidien. Trio dépasse le cadre étriqué du documentaire pour infiltrer une part de fiction: il s’agit au fond d’une sorte de voyage poétique et réaliste au cœur d’une partie oubliée de l’Europe.
En dépit d’un rythme parfois alangui, de répétitions nécessaires, mais nuisant au temps ainsi qu’une propension à se laisser aller à quelques ralentis, effets esthétisants qui peuvent agacer, Trio s’avère un beau film articulant intelligemment la grande histoire et la chronique sociale intimiste. Le métrage alterne les séquences éprouvantes comme la mise à mort du cochon, sorte d’allégorie sur la dureté et la violence du pays, et d’autres, bouleversantes, en l’occurrence le moment déchirant où Gheorghe découvre pour la première fois de sa vie la mer.
Rien que pour ces instants, le film mérite d’être découvert et vu en salles.
(FRA/ROU-2019) de Ana Dumitrescu avec Gheorghe Costache, Sorina Costache
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