Après avoir distribué au mois de juin trois films noirs argentins des années cinquante, Les Films du Camélia propose en cette rentrée quatre films américains du même genre, mais cette fois des années trente et quarante. Ce sont L’Emprise de John Cromwell (Of Human Bondage, 1934), La Rue rouge de Fritz Lang (Scarlett Street, 1945), L’Évadée d’Arthur Ripley (The Chase, 1946) et Sanglante aventure d’André De Toth (Pitfall, 1948).
André De Toth (1912-2002) est un metteur en scène d’origine austro-hongroise. Il a tourné 5 films en Hongrie en 1939, avant de s’installer à Hollywood et d’y réaliser la majeure partie de ses œuvres, entre 1942 et 1987. En 1960, il a l’occasion de tourner quelques films en Europe.
Il a multiplié les casquettes en étant également scénariste, producteur et même acteur. Maverick dans l’âme, il a toujours souhaité travailler en indépendant.
Ses réalisations couvrent plusieurs genres : films d’aventure, films policiers, films de guerre, westerns…
De son film Pitfall, on retiendra, entre autres, la présence de deux acteurs très singuliers : Raymond Burr, le futur Homme de fer, dont le costume met incroyablement en avant les larges épaules, l’imposante carrure, et qui incarne un détective privé – notamment de tout scrupule -, et nommé MacDonald ; et, surtout, la séduisante Lizabeth Scott dans le rôle de Mona Stevens, travaillant comme mannequin dans un magasin.
Quoiqu’aujourd’hui oubliée, Lizabeth Scott est, durant la seconde moitié des années quarante et dans les années cinquante, l’une des plus célèbres actrices hollywoodiennes incarnant de façon récurrente des femmes fatales. Impressionnent ses épais sourcils noirs donnant du piquant à sa blondeur, ses yeux perçants et son regard parfois brûlant, sa voix rauque – l’expression de « smoky voice » est utilisée pour la décrire. Elle a été surnommée « The Threat » (« La Menace ») et a souvent été comparée à Lauren Bacall.
Le personnage central de Pitfall est un agent d’assurances résidant à Los Angeles, John Forbes (Dick Powell). Au début du film, il se plaint de sa condition d’Américain moyen menant une existence des plus routinières. Les circonstances vont lui permettre de vivre, l’obliger à vivre une aventure excitante, au début, mais qui va s’avérer dangereuse pour sa vie et celle de ses proches, et effectivement sanglante, au point qu’il va regretter le confort tranquille qu’il connaissait. Infidèle à son épouse Sue, il se retrouve piégé, entraîné dans une spirale de mensonges aux conséquences graves. À noter que John semble rarement maîtriser les situations, sa vie : on ne le voit pratiquement jamais conduire – sa femme est toujours au volant de la voiture familiale, Mona conduit un bateau.
Son aventure va au bout du compte être pour lui une amère leçon.
Forbes fait la connaissance de Mona en essayant de régler une affaire d’argent la concernant. Il s’en éprend fortement tandis qu’elle est charmée par sa prévenance. Mais un détective – Mac Donald, le personnage susmentionné -, avec qui il travaille, est lui aussi tombé amoureux de la belle créature et se montre un rival violent. Un autre homme devient une très sérieuse menace : Bill Smiley, l’amant de Mona, emprisonné pour escroquerie puis libéré, terriblement jaloux. John en arrive à le tuer. Le procureur laisse l’agent d’assurances en liberté puisqu’il a des circonstances atténuantes, mais en lui assurant qu’il devra apprendre à vivre toute sa vie avec le souvenir de l’homicide qu’il a commis.
Si Forbes représente l’American Way Of Life, on peut considérer que De Toth juge implicitement celle-ci viciée, reposant sur des comportements moralement condamnables, et qui, théoriquement, devraient donner mauvaise conscience.
Non seulement, par les actes qu’il a concrètement commis, Smiley ne méritait pas la mort, laquelle aurait probablement pu être évitée, mais Mona se révèle être une victime (1). Elle est emprisonnée, risque peut-être la peine de mort, car elle a tiré sur le perfide MacDonald quand il est en passe de prendre littéralement possession d’elle contre son gré. Elle n’est pas simplement une femme pour laquelle des hommes succombent, meurent, s’entretuent. Lorsqu’elle apprend que John est marié, elle choisit de s’effacer sans faire d’histoires, pour ne pas lui nuire, pour ne pas mettre en péril la famille qu’il forme avec sa femme Sue et son jeune fils. En ce sens, De Toth détourne quelque peu les codes attendus du genre. Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier ont d’ailleurs écrit à propos de Pitfall qu’il « mérite de figurer parmi les chefs- d’oeuvre d’un genre dont il subvertit par ailleurs les règles, la morale et l’habituelle misogynie » (2).
On pourra regretter quelques invraisemblances ou oublis scénaristiques étonnants. Le fait que Mona n’a pas imaginé ou ne s’est pas aperçue rapidement que John est marié. Le fait que, après avoir rappelé à sa femme les horaires immuables de son emploi du temps de fin de journée – « Je quitte le bureau à 17h05. En 6 minutes, je rejoins l’angle où Charlie me prend à 17h15 (…) Je t’embrasse sur la joue à 17h50 » -, John se permette, lorsqu’il se met à fréquenter Mona, de rentrer tard le soir, sans que, apparemment Sue ne lui pose de questions, ne crée de problèmes.
Ils ne nuisent pas cependant à l’efficacité du drame que construit, filmiquement, De Toth ; au niveau de la mise en scène, des dialogues…
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Notes :
1) Dans la scène où Mona vient voir Smiley en prison, la caméra filme – à travers une série de champs-contrechamps – le détenu derrière une grille et des barreaux, mais également, de la même façon, la jeune femme censée être en liberté.
2) 50 ans de cinéma américain, Éditions Nathan, Paris, 1995, p.424.
Pour info :
Le récit est adapté du roman de Jay Dratler : Pitfall (1947). Le scénario a été écrit par Karl Kamb – crédité seul au générique -, William Bowers et André De Toth.
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