Retour sur la 23 ème édition du festival Music & Cinéma consacré à la composition à l’image dont le grand prix fut remis au compositeur Ruben de Gheselle, pour la musique du conte naturaliste et sensuel Clara Sola, premier long-métrage de Nathalie Álvarez Mesén, à voir en salle dès le 1 er juin !
Dix long-métrages et soixante-trois courts concouraient chacun dans leur catégorie, pour un grand prix de la BO. Et c’est Marc Bret-Vittoz qui en fut couronné dans la catégorie « court », donnant le la de l’improbable rencontre amoureuse d’un chauffeur de poids-lourd et d’un.e drag-queen, Paloma, réalisé par le « talent tueur » Hugo Bardin, scénariste, plasticien, scénographe, danseur, …Et quel interprète ! Des prix il y en eu beaucoup d’autres, mais ce n’est pas tant ce qui compte pour Gaëlle Rodeville, déléguée générale du festival, et Jacques Sapiega président de l’association ALCIME qui le porte en synergie avec le département SATIS de l’université d’Aix Marseille à Aubagne, mais plutôt le lien entre la réalisation et la composition musicale qui fonde le 7 ème art.
Ainsi du 4 au 9 avril 2022 s’est produit à Marseille un événement international qui mit les images en écoute et les émotions à fleur de peau : le festival Music & Cinéma (Le FIFA), créé à Aubagne il y a près de 25 ans dans le giron du Satis, rare école à délivrer un master de composition musicale à l’image – prenait ses marques sur la Canebière, s’extirpant d’un entre-soi certes professionnel, qualitatif et studieux, pour créer de surcroit, une belle effervescence entre un public plus large et ses inconditionnels festivaliers.
L’envoutante chanteuse Imany, compositrice du tube don’t be so shy, du film d’Audrey Dana, Sous les jupes des filles et Nainita Desai, l’oreille inspirée d’Herzog et Bertolucci, conceptrice sonore d’une immersion acoustique dans le monde de l’autisme avec la BO de The reason to jump de Jerry Rothwell (grand prix du Sundance 2020 et diffusé à Marseille) y étaient accueillies en invitées d’honneur aux côtés de l’actrice Dominique Blanc – relevant le temps du festival, la parité homme-femme au cinéma qui ne compterait que de 6 à 8% de compositrices. Les Pénélopes et leur flegmatique élégance londonienne ont bien tenté de brouiller les pistes avec deux BO à l’affiche – Space boy un long-métrage d’Olivier Pairoux, dont l’utopie spatiale belge « made in 80’s » met en scène une étudiante condamnée par la maladie, qu’une collaboration idyllique avec un apprenti spationaute propulse dans les airs, tandis – qu’Homme sage de Juliette Denis convoque pendant 18’, le bizutage terre à terre d’un jeune homme appelé à devenir sage-femme. Dans les clubs comme au cinéma, sous leur facétieux nom de groupe, Les Pénélopes, tracent leur route au tempo d’une électro-pop voilée de cold-wave, et reviennent – ex lauréats d’une résidence Sacem – fidèles au MCM. Mais ils n’en demeurent pas moins un duo de deux musiciens chanteurs compositeurs : Axel Basquiat et Vincent Tremel, inséparables depuis leur rencontre sur les bancs d’une école maternelle de la banlieue française. Ce ne sont pas non plus les frères Galpérine, Sacha et Evgueni compositeurs des BO du film d’ouverture, Murina, de la jeune croate Antoneta Alamat Kusijanovic (caméra d’or à Cannes 2021) mais aussi du long-métrage d’animation, Ma famille Afghane par la dessinatrice tchèque Michaela Pavlatova (Prix du jury d’Annecy 2021) à l’affiche depuis le 27 avril 2022 qui vont changer la donne en matière de statistiques. Pourtant le festival a quasiment doublé les quotas nationaux en la matière et frôlé la parité avec près de 46 % de réalisatrices conviées au MCM. D’ailleurs les belles complicités qui s’échangeaient avec les réalisatrices des films dont les compositeurs révélèrent les secrets de fabrication sonore, lors d’échanges avec le public, firent partie des moments forts du festival, animés avec maestria par notre confrère de Cinezik, Benoît Basirico.
Masters’ class !
Pour Michaela Pavlatova, la musique est primordiale :
Dès le début, j’en ai besoin pour dessiner, pour créer l’animatique du film, dit-elle. Chez moi, J’ai une collection de BO avec différentes émotions que j’utilise pour démarrer un projet, ça fait partie de mon processus de création. Le producteur de Ma famille afghane, Ron Dayan (Sacrebleu production) m’a proposé très tôt de travailler avec les frères Galpérine qui m’ont envoyé tout un catalogue de leurs compositions correspondant bien à l’univers de mon film et ses palettes d’émotions.
On avait déjà vécu l’expérience de se confronter à des scripts sans voir aucune image et même si cela parait difficile et abstrait, on se laisse guider par notre imaginaire à partir du scénario et des grandes idées qui sont dans le texte
poursuit Evgueni Galpérine.
Le film est une adaptation d’un livre écrit par la reporter de guerre tchèque Petra Prochazkova : Le film met en images la relation entre deux personnes qui ne se ressemblent pas du tout mais apprennent à s’aimer, malgré l’espace dans lequel s’immisce le pouvoir politique. Herra est une jeune femme tchèque, elle rencontre Nazir sur les bancs de la fac en Pologne et le suit à Kaboul dans son pays d’origine.
Il y a beaucoup de musiques dans ce film car c’est un dessin animé qui n’a au départ aucun son, reprend la réalisatrice chevronnée, diplômée de l’Ecole des Arts Appliqués de Prague où elle enseigne. C’est pourquoi la BO est encore plus importante que dans la fiction où le jeu des acteurs, les mouvements plus nuancés de la caméra, concourent à l’émotion ; ici la musique doit en dire un peu plus.
Mais pour les frères Galpérine ce qui compte c’est la clef musicale : « il ne s’agit pas seulement de la couleur du film mais aussi ce que l’on peut dire ou pas. Or ici l’approche dramaturgique était très construite, presque similaire à un film de fiction, explique Evgueni, le travail a été très fluide. Il s’agissait parfois au contraire de gérer le silence qui est aussi un choix musical », renchérit Sacha. Nés d’une mère ukrainienne et d’un père russe, les frères Galpérine ont été amenés en France par leurs parents en 1990 au moment même où l’armée russe sortait d’Afghanistan. Les deux compositeurs ne sont donc jamais allés dans le pays. « Mais ne prend-on pas ici, le risque de produire une musique qui puisse paraître trop folklorique », leur demande Basirico ? « Il ne s’agissait pas d’imiter la musique afghane mais d’en rendre des échos » répondent les Galpérine.
C’est un film proche de notre sensibilité qui parle de l’exil : nous voulions rester fidèles à l’idée qu’on se fait de la musique du Moyen Orient, car l’héroïne du film y est elle-même étrangère, c’est une européenne qui ne connait pas du tout cette culture ni ses fondements, il fallait trouver une couleur à sa vision un peu comme si cela était la nôtre en attrapant des éléments à droite et à gauche et en y injectant des choses qui nous appartiennent avec des instruments du pays. Nous y serions allés s’il avait fallu produire une musique authentique afghane mais ce n’était pas le propos. Nous nous ne sommes donc pas sortis plus loin que la boulangerie
conclut Evgueni tout sourire, avec une pointe de provocation.
Et si l’on se demande, pourquoi nous avons mis une chanson indienne au générique de fin, c’est parce que nous n’avons pas pu avoir les droits d’une chanson pop afghane mais aussi parce que les afghans regardent beaucoup de films bollywoodiens et écoutent beaucoup de pop indienne !
termine Michaela. CQFD
Ah, la force des Indiens et la musique à l’image ! Les gens qu’on dit « du voyage » ne viendraient-il pas de ce continent lointain ? Et puis l’imaginaire musical n’est-il pas plus crédible qu’une hypothétique légitimité territoriale ?
Quel son de la Camargue Tony Gatlif, nous transmet-il avec Tom Médina, son dernier film, sorti en aout 2021, dont l’acteur David Murgia incarne peu ou prou les chimères de son enfance ? Toujours est-il qu’il circulait en ce samedi matin du 9 avril, une chaleur partagée presque familiale au sein de la « master class », délivrée par le réalisateur-compositeur né d’un père Kabyle et d’une mère gitane, fasciné par l’univers sonore et musical des Roms du monde entier, qu’il perçoit, comme « une communauté musicale en mouvement ! » A ses côtés, tel le souffle musical qui porte la narration en cours, Delphine Mantoulet, sa fidèle compositrice – par deux fois nominée aux Césars pour les BO d’Exils en 2004 et Liberté en 2010, souriait d’une oreille complice lorsque pour le plaisir de la salle, Tony avec beaucoup d’humour envers lui-même, évoqua sa rencontre improbable dans la « noirceur » post indus du 6b à Saint Denis avec Karoline Rose Sun, l’héroïne du film qui fascine et terrorise quelque peu le pauvre Tom médusé lorsque celle-ci chanteuse-guitariste de « brutale pop » la nuit, fait hurler sa musique métallique et sauvage. Et si Gatlif a dû composer la chanson qui unit Tom et sa bienaimée Suzanne (une jeune femme libre moins rock mais plus écolo) lorsque les jeunes acteurs refusèrent de jouer des dialogues qu’ils jugèrent trop fleur bleue, c’est le chanteur de Flamenco Manero qui en composa la musique ; Nicolas Reyes, des Gipsy Kings signa le générique, tandis que Delphine Mantoulet composait et harmonisait tout ce qui s’apparente au « score instrumental » en l’occurrence, le son personnifié de la nature camarguaise dans laquelle se fait entendre toute la puissance jubilatoire des chevaux ou encore, les coups de bâtons que Tom Medina inflige à cette mer méditerranée qui engloutit les migrants et leurs espoirs de liberté.
Marseille à la clef
Pendant ce temps-là, dans la lumière filtrée par les hautes fenêtres du conservatoire de musique de Marseille, plusieurs orchestres « improvisés » violon en main, contrebasse, clavier ou saxophone .., répétaient, les compositions originales de trois ciné-concerts livrés au public au cours du festival. Dix jours durant, les élèves de 3 écoles européennes, l’ESMAE du Portugal, l’ArtEZ des Pays-Bas et Aristotle University of Thessaloniki en Grèce se sont accordés avec les étudiants du Satis d’Aubagne tandis que dans la pénombre boisée d’une pièce voisine, une pépinière de jeunes compositeurs-trices ayant préalablement répondu à l’appel de la Sacem, présentait aux producteurs et réalisateurs de films en devenir, leurs maquettes concoctées à partir du scénario.
C’est peut-être une bonne chose au fond que la municipalité quelque peu ingrate d’Aubagne ait délaissé son fleuron culturel en réduisant subitement de 50% la subvention qui lui était allouée tout en dépossédant le festival de ses locaux historiques : non seulement pour nous public, mais pour le festival lui-même, pour ses compositeurs et ses partenaires qui se sont dotés avec cette dernière édition d’une visibilité internationale plus accessible, tout en invitant la population marseillaise cinéphile (ou pas) à s’approprier de nouveaux espaces culturels tels que l’Artplexe ou bien les silos Cepac où eut lieu la soirée de clôture.
Le QG de la manifestation s’est donc installé au 123 Canebière, dépliant transats et petites tables amovibles entre le cinéma des Variétés et le nouveau complexe marseillais flambant neuf dédié au son et à l’image : doté de 7 salles et de deux restaurants – l’un en toit-terrasse, l’autre au rez-de-Chaussée – l’Artplexe dont l’architecture remodelée recouvre celle de l’ancienne mairie désamiantée, rivalise désormais par sa couleur blanche immaculée, avec l’église des Réformés, entièrement rénovée entre la gare et le port, créant un pôle culturel attractif, que les marseillais purs et durs pourront toujours désigner comme « hangar à cultureux ». Toujours est-il que pendant la durée du festival toutes les séances étaient à 5 euros (ou à prix plus réduits selon les statuts sociaux) tandis que les enfants des écoles et des collèges pouvaient dès 10 H 30 assister aux programmes de courts métrages, concoctés pour leur âge.
C’est à l’heure matinale d’une Canebière encore fraiche et déjà baignée de soleil que l’auteur-réalisateur Philippe Pujol – prix Albert Londres sollicité sur plusieurs productions en cours – a naturellement accepté de converser avec nous pendant plus d’une heure autour d’un café. La veille, son film Péril sur ma ville (actuellement en streaming sur arte.tv) venait d’être performé pour la première fois en ciné-concert par le saxophoniste Raphaël Imbert, compositeur de la BO et sa formation jazz. D’ailleurs le film est construit comme une impro de jazz avec des moments free ou bavards presque cacophoniques où les protagonistes tchatchent en même temps et des moments qui glissent comme dans le plan zénital de drone sur la ville dont Pujol (par esprit de contradiction ne voulait pas au départ) mais qui nous offre une belle séquence finale, avec « le petit Daniel » (présent au ciné-concert) qui rappe en solo sur le générique.
Sur scène un batteur, un guitariste, un contrebassiste et Imbert au saxo ou à la clarinette. Une autre projection doit avoir lieu en juin, sur la butte Bellevue à Marseille.
Le cinéconcert est un autre film, et j’aime bien ça, c’est là qu’on se rend compte combien la musique est importante dans la grammaire d’un film, en tout cas le jazz permet cela avec toute sa gamme émotionnelle !
amorce Pujol.
Le film n’est pas une comédie musicale car ce n’est pas une comédie mais c’est une aventure, un voyage dans le quartier de Saint Mauron à Marseille l’un des plus pauvres de France et ce n’est pas triste ! L’écrivain lui-même issu d’une famille de la classe populaire y déplore le manque de transmission culturelle autrefois portée par le parti communiste lorsque le quartier était encore « ouvrier » et « non squatté ». Les cigarettes « bleues » de la Seita, à l’effigie de la belle Gitane y étaient fabriquées ; Saint Mauron vivait du stockage en « arrière-boutique » des importations de l’exploitation maraichère coloniale. Aujourd’hui les jeunes qui parlent pourtant le français, l’arabe et l’espagnol n’ont plus de job et leurs rêves de s’en sortir se heurtent à l’endettement lié au trafic, à l’enclavement culturel. Le regard que porte Pujol sur les protagonistes de son film n’est ni bien-pensant ni empathique, il essaie d’être le plus juste possible en laissant « ses acteurs » s’exprimer librement devant le micro, laissant parler leurs doutes, leurs failles, leurs désirs, leurs manques, leur humilité, leur gouaille …tandis que la poésie opère par des plans de coupe ou avec la musique de Raphaël Imbert dont le saxo déambule d’un trottoir à l’autre, dans la lumière de l’été.
Pujol explique :
C’est la musique qui nous met dans la bonne époque : les petites filles chantent devant l’école Révolution (un hommage ici à la commune marseillaise de 1870) et derrière elles, on aperçoit l’ancien bar du belge, le bandit marseillais, poursuit l’auteur du doc, mais si elles chantent le chant révolutionnaire Bella Ciao, c’est parce qu’elles l’ont entendu dans la série « la Casa de papel » (pas dans les chants de cotons italiens ndlr). J’aimais bien avoir symboliquement ces deux références, pour lesquels il a juste suffi de déplacer vite fait la camera, poursuit le réalisateur. Rien n’est d’ailleurs vraiment mis en scène dans le film, les gens du quartier ont un sens du théâtre phénoménal. On a une femme qui sort sa radio et qui n’a d’ailleurs pas envie de nous parler mais écoute sa musique pour elle-même, Papegiari (un des quatre chanteurs du groupe Massilia Sound System ndlr) qui envoie un Raga, un gitan, un flamenco … Je voulais faire passer l’identité multiple du lieu avec des sonorités méditerranéennes tantôt italienne ou arabo-africaine et pour lier tout cela je ne voyais que le jazz ! J’ai beaucoup discuté avec Raphaël Imbert pour le convaincre, reprend l’auteur dont l’idée de départ s’inspirait du film de Spike Lee « Do the right thing » réalisé en 1989.
L’enregistrement de la BO fut fait en une session live au conservatoire de Marseille dont Raphaël Imbert est l’actuel directeur. Le compositeur n’a pas travaillé à partir des rushs mais comme beaucoup à partir du scénario, et des discussions avec le réalisateur … C’est une des constantes que l’on découvre lors du MCM : la plupart travaillent sans voir d’images !
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La BO, OST en anglais, ses bruitages, ses musiques additionnelles ou diégétiques (intrinsèques à l’univers du film mais provenant d’une source extérieure telle qu’une radio) sont depuis les pantomimes lumineuses d’Emile Reynaud en 1892 à la synchronisation du son sur pellicule par les frères Warner – admise comme norme en 1930 – un tissage d’auteur(es) qui se conçoit dès le scénario et s’échafaude désormais du tournage au mixage.
L’intime en contrepoint
La plupart des films sélectionnés pour le festival étaient empreints d’une grande intensité traitant avec justesse et sans concession, de sujets universaux par l’intime, avec somme toute, une bonne dose d’humour et des échappées fulgurantes portée par une bande son puissante.
De son vivant (sorti en 2021) Le film d’Emmanuelle Bercot accompagnée de son compositeur, Eric Neveux nous a – faut-il, l’admettre – saigné le palpitant à blanc dès 19 H 30 le vendredi soir : c’est une veillée funèbre de deux heures, cadrée en plan serré, qui s‘achève sur la reprise par Soap&skin, du « Voyage voyage » de Desirless. Une tuerie. Une splendide leçon de vie à l’aune de la singularité ! Mais quelle tonalité, quel choix subtil opérer quand la caméra suit maintenant au loin Catherine Deneuve quittant l’hôpital, alors qu’elle vient d’apprendre que son fils, Benoit Magimel, est atteint d’un cancer du pancréas ? Lors de l’échange avec le public, la réalisatrice assumant avec brio « le mélo » révéla les processus qui la lie à son compositeur pour nous faire passer du sourire aux larmes sans totalement sombrer dans le pathos. Le travail sur la BO est une opération qui s’articule d’ailleurs en trio « avec le monteur ou la monteuse du film qui vient couper ou piocher, dans les « scores » fournis à partir de la lecture du scénario, précisa Neveux qui privilégiera, in fine, une interprétation instrumentale temporaire à la technicité un peu froide d’un enregistrement d’expert en studio. On apprit d’ailleurs au détour d’une question du public, que le « super héros » du film, le cancérologue Gabriel Sara, n’était autre que l’oncologue de renom dirigeant l’unité de chimiothérapie de l’hôpital Mont-Sinaï de New York où il fait chanter son équipe soignante et ses patients comme partie intégrante du soin et de la cohésion de son service.
Concourant parmi les dix fictions en compétition, le film canadien My darling de Phil Connell sur la très électrique BO du compositeur Harry Knazan nous propose une sortie de secours plutôt jubilatoire comme alternative à l’Ehpad : une drag queen en rupture et sa grand-mère en plein déclin se retrouvent à la campagne, livrés à eux-mêmes à une période charnière de leur vie, ils œuvrent de concert pour éviter la maison de retraite… Concourait également La Ruche de Christophe Hermans, un huis clos sur la musique originale de Fabian Fiorin que nous n’avons malheureusement pu voir, où Ludivine Sagnier, qui gratifia le MCM de sa juvénile présence, incarne pourtant à l’écran, le rôle tragique d’une mère bipolaire entourée de ses trois filles – la sienne Bonnie Duvauchelle, en tant que protagoniste du film, aux côtés des deux autres espoirs féminins Sophie Breyer et Mara Taquin reprenant un peu de souffle et quelques bières à la terrasse du Blum à l’issue de la projection.
Or la déliquescence de la raison s’exprimant en ode polyphonique, en ce fameux vendredi soir était également présenté hors compétition, le trop inaperçu long métrage d’Anne Sirot et Raphaël Balboni, Une vie démente : brillante symphonie tragicomique sur la maladie d’Alzheimer projetée en présence de l’actrice Lucie Debay décidément démente, aussi drôle que juste dans ses rôles à la marge, crevant la toile jusqu’« A la folie », dans le dernier opus d’Audrey Estrougo, l’invincible : Done ! La réalisatrice de Taularde, Regarde-moi, Toi, moi, les autres, décida de rompre le tabou d’une douleur familiale en posant sur la toile, le temps d’un week-end, la question d’une schizophrénie « banalisée » qui finit par ronger tous les membres d’une famille plus ou moins dans le déni. Tourné en un temps record cette année, A la folie ! fut projeté en avant-première le 6 avril au moment de sa sortie en salle et en présence à Marseille du compositeur de la BO, James BKS. Quoi de plus naturel pour le DJ producteur ayant servi dans l’ombre des stars de hip hop internationales, d’accompagner ici la réalisatrice de Suprêmes, membre du jury long-métrage cette année, aux côtés de la productrice Delphine Schmit (Nuestras Madres, Les Révoltés, Les Meilleures), du réalisateur et journaliste Thierry Jousse (Je suis un No Man’s Land, Les Invisibles) et de la compositrice Delphine Mantoulet.
Un biopic politique
Bien entourée, Audrey Estrougo l’était également par la présence au festival des jeunes acteurs de son biopic, Suprêmes sur les débuts (1988-1992) du groupe de rap mythique à la jactance sulfureuse, NTM. La salle davantage composée de seniors éveillés que d’adolescents marseillais était au climax samedi après-midi à l’issue de la projection, quand la réalisatrice nous expliqua, comment avec la pugnacité du compositeur et DJ Cut Killer elle put reconstituer les premières tracks de Kool Shen et Joey Starr alors qu’eux-mêmes n’en ont pas gardé de trace et que depuis la séparation du groupe, dans les années 90, plus personne ne se parle, pas même DJ S qui depuis s’est spécialisé dans la vente de plaques à induction. Comment alors faire répéter à distance en plein covid à partir d’enregistrements medias, de livres et documents politiques de l’époque, des comédiens plus vrais que nature à l’écran : Sendor Funtek dans le rôle de Kool Shen et Théo Christine dans la peau de Joey, qui confia à la salle « être surfer à la base et n’être pas spécialement fan de rap ». Un gros bosseur donc ! Le film qui fut présenté hors compétition à Cannes en Juillet résiste encore à l’affiche. A tou.te.s ceux et celles qui par hasard, par intuition ou par chance ont assisté à la fameuse soirée de lancement du groupe NTM au Globo boulevard de Strasbourg, nous conseillons la projection – l’effet madeleine est aussi moelleux qu’énergisant – les autres ont tout intérêt à le voir aussi ! Et si Joey désormais « vous saoule », Théo Christine vous réconciliera avec son passé ! Véritable bombe d’énergie et de talents concentrés, Suprêmes est bien plus qu’un biopic musical, c’est une synthèse sociétale engagée qui rembobine à l’aune des années 80, les espoirs de ceux et celles qui grandirent en cité, délaissés, étouffés, aujourd’hui méprisés par les politiques. Le film donne quelques clefs de compréhension pour les abstentions et la colère qui gronde et pas seulement en banlieue ; sans concession non plus pour les valeurs qui gangrénèrent le groupe en son époque – par mimétisme, par absence de modèles ou d’autre idéal que la reconnaissance de l’égo et le désir de « faire du fric » ?
Les premiers prix de composition
Lors d’une longue soirée aux silos Cepac réaménagés en salle de spectacle face à la joliette, le jeune compositeur Ruben De Gheselle (30 ans enseignant et déjà gratifié de plusieurs prix dont le Georges Delerue Award au Film Fest de Gand) reçut le Grand prix du jury MCM 2022 pour avoir exacerbé l’hypersensibilité troublante de Clara Sola dans le long métrage de la réalisatrice Nathalie Álvarez Mesén qui sortira en salles le 1er juin prochain. En quelques mots : Clara est une jeune femme de 40 ans à la colonne vertébrale tordue, assujettie par sa vieille mère à l’accomplissement de miracles dans un village reculé du Costa Rica. Sa sensualité s’exprime à travers la nature. Par à-coups d’archets en crescendo diffus le son du violon incarne le désir charnel qui infuse dans ses sangs, s’immisçant dans le bruissement du vent, ou le crépitement des insectes affairés à retourner la terre d’une exubérante nature à laquelle Clara se rend. Alors qu’elle est timidement farouche, des échanges tendres et poétiques avec le jeune amant de sa nièce qu’elle épie dans leurs ébats amoureux, exalte sa sexualité refoulée par les tabous religieux.
Changer le cours de son destin, faire acte de résilience (le mot est lâché) ou « pratiquer l’art de rebondir à tout âge » dirait Boris Cyrulnick… – En dépit de son pays de résidence et des tabous qu’il perpétue – est le sujet de la vivifiante fiction documentaire, HIVE (sorti en octobre 2021), le premier long métrage de la réalisatrice Blerta Basholli. « Multiprimé » au Sundance festival, le film s’est vu distinguer cette fois, d’un prix (spécial) du jury décerné au compositeur Julien Painot pour sa BO dont le chœur kosovar et le piano haletant en mode crescendo, accompagnent la tension dramatique sous tendue par l’histoire vraie de Fahrije Hoti : de retour dans son village en 1999, alors que son mari est porté disparu depuis la guerre au Kosovo, Fahrije Hoti fait partie de ces femmes énergiques et déterminées, dont l’obtention d’un permis de conduire a vite fait de contrarier l’ordre patriarcal. Devant subvenir aux besoins de sa famille, les ruches de son mari ne donnant plus assez de miel, Hoti incarnée par l’actrice Yllka Gashi, décide de fabriquer l’ajvar, un condiment à base de poivrons rouges. Peu à peu elle gagne à sa cause d’autres femmes luttant pour leur émancipation autant que pour leur survie. HIVE qui veut dire « ruche » en français résonne cruellement avec l’actualité qui nous apparaît aujourd’hui comme le remake d’un mauvais film.
Plongé.e.s dans l’obscurité rassurante du Cépac silo, bercé.e.s par le rire et la nostalgie pour quelques heures, le ciné-concert de la Master class de composition musicale pour l’image 2022 qui coiffait la soirée de clôture mit tout le monde au diapason quand l’orchestre dirigé par la compositrice et cheffe d’orchestre française Marie-Jeanne Séréro interpréta sur scène les mésaventures animées du clown Coco en vacances ou celles d’un pauvre violoncelliste assailli par un bombardement d’objets ménagés, projetées à partir de vieilles bobines muettes des cinémas Pathé.
Epilogue
Le MCM ne serait-ce que dans son acronyme détient tout l’ADN d’un festival international emblématique du 7 ème art, et la seule crainte que peuvent avoir les habitants du quartier l’année prochaine c’est de voir déambuler sur la Canebière, Hans Zimmer en pyjama, un oscar dans chacune des poches de son peignoir – l’un reçu pour la musique de Dune en 2021 l’autre pour celle du roi Lion en 1994 – un big band à sa suite ! Considéré comme l’un des plus grands compositeurs de musique de film au monde, celui qui apparait au clavier dans le fameux clip des Buggles Video Killed the Radio Star pourrait bien d’ailleurs nous interpréter en mode « remake phocéen » MCM raised a new duo star ! L’étoile étant ici la relation qui se joue au hertz près entre l’image et le son !
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