Si les spectateurs continuent d’aimer le cinéma en salles, il ne leur aura pas échappé qu’il a subi des changements dont ils font régulièrement les frais.
Premièrement, contrairement aux apparences, qu’un film sorte en France n’est plus synonyme qu’il soit programmé dans la ville où son public potentiel réside, que ce soit en sortie nationale ou en décalé. Ainsi, peu avant les vacances, Sayonara, le dernier film de Kōji Fukada, magnifique, sortit dans une unique salle parisienne avant que son succès n’incite quelques exploitants à l’accueillir à leur tour la semaine suivante. Son distributeur s’en était légitimement insurgé, nous aussi. Il ne s’agit pas de dénoncer le sort réservé à un seul film, mais bien de tout le fonctionnement du circuit d’exploitation : 11 minutes de Skolimovski et Adieu Mandalay de Midi Z avaient subi des sorts comparables, condition préalable d’un échec annoncé pour des œuvres importantes. Des œuvres importantes ? Mais qui pourra donc s’en apercevoir ? « Je n’ai même pas vu que c’était sorti » se plaindront certains. Trop tard. Le cinéma qui ne prend pas les spectateurs pour de simples consommateurs est en danger, voyant sa place rognée d’année en année. Pour qu’il soit amené à disparaître ?
A l’heure où le cinéma de genre est désormais réduit sur Paris à des sorties techniques que le Publicis Champs-Élysées est encore un des rares à prendre en charge, il est légitime de s’interroger sur ce qui meut les exploitants, hors des finalités comptables, lorsque par exemple une œuvre aussi hors norme qu’Évolution de Lucile Hadzihalilovic se voit refuser la plupart des salles avec comme explication, qu’il s’agit d’un film trop « bizarre » ou tout simplement que l’exploitant « n’aime pas le film ». Après avoir mis tant d’années à pouvoir produire son nouveau long-métrage, il semblait légitime de penser que le plus dur était passé. Un tel mépris en dit long sur la fameuse diversité des films en salles. Évolution conservera éternellement son statut de fabuleux film de festival. Si l’on présuppose que le spectateur détestera, qu’il s’y ennuiera, quelle place lui octroie-t-on ? Faut-il qu’on ait si peu de foi en son intelligence, en sa clairvoyance à juger d’une œuvre, à en apprécier toute la singularité pour qu’on ne lui laisse même plus le choix d’aller vérifier par lui-même ? Quel est l’espace laissé à la création si dès qu’une œuvre sort des sentiers battus, elle est repoussée avec dédain ?
Inutile de se voiler la face, les médiums de visualisation d’une œuvre ne cessent de se modifier, de se transformer et quel que soit l’endroit où se pose notre esprit de lutte, le combat semble désormais bien inégal. Le respect pour l’Art, pour la manière dont le créateur a pensé son œuvre semble désormais bien en retrait, lorsque l’on privilégie la facilité de diffusion à sa qualité.
Si regarder un film en salles avec un public n’est pas la même expérience que de le regarder dans son salon, un accès VOD le jour de la sortie nationale, ou même en décalé, pourrait permettre enfin à certains spectateurs n’ayant pas accès au film attendu en salles dans leur région de le voir. A Field in England, le film de Ben Wheatley a bénéficié pour la première fois en Angleterre, d’une sortie sur tous les supports le même jour, le 5 juillet 2013 : en salles, en VHS, en DVD, en Blu-ray, en VOD, et à la télévision. Et ce fut un succès ! En France, la chronologie des médias ne le permet pas.
Les cinéastes eux-mêmes sont appelés à prendre parti et à se positionner vis-à-vis de cette révolution en marche. Comment passer sous silence « la polémique Netflix à Cannes » : Okja de Bong Joon Ho en compétition à Cannes ne pouvait pas sortir en salles, mais a été autorisé pour des projections exceptionnelles non commerciales lors du festival Sofilm Summercamp, pour finalement que deux d’entre elles soient annulées face aux pressions des autres exploitants. En devenant productrice de long-métrage à 100 %, la SVOD change donc elle aussi la donne. Le prochain Scorsese produit par Netflix ne se verra malheureusement donc pas en salles. Avez-vous envie de le découvrir sur votre smartphone ?
Comment réagir ? Quelle attitude adopter, entre la foi aveugle en le progrès et la mélancolie profonde ? Le système que nous avons connu il y a encore vingt ans semble être passé de la norme à la marge alors que les dysfonctionnements se multiplient, et outre les créateurs, qui sont les plus lésés ? Les spectateurs. Plutôt que de se lancer dans le pensum revendicatif ou les pleurs, nous avons pensé que le meilleur moyen d’ouvrir le débat était de laisser la parole à ceux qui en sont les acteurs les plus exposés, de les laisser présenter les aspects négatifs et nuisibles au bon déroulement de leur métier, mais aussi – et surtout – les pistes envisageables pour une amélioration. Chacun – scénariste, acteur, réalisateur, technicien, producteur, distributeur, exploitant, programmateur, projectionniste, conservateur, membre du CNC, du GNCR, de l’AFCAE, l’ACREAMP, enseignant et autres – est le bienvenu pour s’exprimer.
Le dossier « Le cinéma en question » est composé de :
– L’édito, par Carine Trenteun et Olivier Rossignot
– L’entretien avec Guillaume Morel (distribution), Emmanuel Vernières (relations presse) et Damien Truchot (exploitation), par Carine Trenteun et Olivier Rossignot
– L’entretien avec Vincent Paul-Boncour, directeur et co-fondateur de Carlotta Films : les ayants droit, par Pierre-Julien Marest
– L’entretien avec Franck Finance-Madureira, président-fondateur de la Queer Palm du Festival de Cannes : le cinéma LGBT+, par Carine Trenteun
et de la partie “Voyez-vous une évolution de votre métier ?”
– La réponse de Christophe Honoré, par Carine Trenteun
– La réponse d’Álex de la Iglesia et Jorge Guerricaechevarría, par Carine Trenteun
– La réponse de Claire Simon, par Carine Trenteun
– La réponse de Costa-Gavras et Michèle Ray-Gavras par Carine Trenteun
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Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).
Paulhan
Je vous remercie de poser ces questions en tout cas et j’ai été intéressé par les témoignages des exploitants, distributeurs, que vous avez publiés. Il est sûr que la déploration est inutile mais que l’on a besoin de propositions ou d’informations sur le travail qu’effectuent ces professionnels.
Carine Trenteun
AuthorMerci Paulhan pour votre message. Nous essayons en effet, en laissant la parole directement aux personnes concernées, d’informer au mieux sur différentes situations plus que préoccupantes, et aussi d’ouvrir le débat avec des propositions en vue d’amélioration.
Bon we ! et bons films 🙂
Carine Trenteun
AuthorMerci infiniment Vincent d’être intervenu ici.
Votre parole est la bienvenue, et en plus, les arguments et inquiétudes que vous avancez sont malheureusement palpables même en région.
LEBRUN Vincent
Suite à mon échange rapide avec Carine hier soir, je m’aperçois que j’ai très envie d’entrer dans ce débat, dont j’ai pu dire dans mon commentaire qu’il était un peu daté, je veux dire dans les termes, certainement pas dans les enjeux. Il se trouve que je travaille actuellement à un projet de documentaire sur Les spectateurs de cinéma… C’est un sujet qui me tient vraiment à coeur. Et je pense que cela excède les films en eux-mêmes — ce que je reprochais un peu au débat que j’ai lu — et que cela touche à la projection des films en eux-mêmes. On est tous conscients du fait que l’ère où la télévision, la VHS, le DVD ont été une menace pour le cinéma est derrière nous et largement. Les enjeux ont muté totalement. Aujourd’hui, la question est de savoir comment faire revenir le public dans les salles. Il ne s’agit pas de prendre acte d’une désaffection de ce même public pour le cinéma, ce n’est pas vraiment le cas. Encore l’an dernier, on a enregistré des records d’entrée. Sauf qu’on le voit en se rendant dans la première salle venue, le public est vieillissant. Dans quelques années, ces seniors qui emplissent encore les salles ne seront plus de ce monde… Seront-il remplacés par les générations qui les suivent. Peut-être mais cela ne durera pas. Les générations X, Y, Z préfèrent consommer des images sur leurs portables, en solitaire, que collectivement. La démarche d’aller au cinéma implique un effort que de moins en moins de gens (je parle des jeunes générations) auront envie de concéder, ne se rendant pour la plupart pas compte du plaisir qu’il y a à vivre l’expérience d’un film projeté sur grand écran avec d’autres spectateurs. Au même titre que beaucoup de gens ne vont plus dans les musées mais préfèrent regarder des oeuvres sur leur ordinateur ou dans un livre, de nombreuses personnes ne comprendront plus, un jour, l’intérêt d’aller en salles voir des films. Et c’est là précisément que se situe l’enjeu pour demain: dans la réinvention du spectacle cinématographique. Les films en eux-mêmes ne sont pas en cause, c’est le plaisir qu’il y a à les découvrir dans un cinéma qui est en jeu… Je m’arrêterais là pour le moment parce que je n’ai aucune proposition, aucune solution, juste cette interrogation qui me semble essentielle : comment redonner un certain lustre à l’acte d’aller voir un film en salles? Pour ma part, je sais par exemple que lorsque je vais voir un film au Max Linder, qui est une salle que j’adore, je ne vais pas au cinéma, je vais au Max Linder. Et j’ai beau avoir vu récemment l’un des pires films que j’ai vu depuis longtemps, « Mother! », j’étais heureux d’y être allé… Voir un mauvais film sur son portable ou à la télé, c’est déprimant, on a l’impression d’avoir perdu son temps. Voir au mauvais film au cinéma, c’est au moins avoir éprouvé le plaisir d’être sorti de sa tanière… Alors si, en plus, le film est bon…