Beaucoup de choses ont été écrites lors de la mort de Wes Craven, le 30 août 2015, beaucoup de jeux de mots plus ou moins pénibles avec l’idée de ténèbres, le concept de cauchemar ou encore les notions d’horreur et de peur ont été consciencieusement fabriqués, comme si Craven, en tant que réalisateur d’un sous-genre cinématographique, ne méritait pas un peu de sérieux ou, pour le moins, un tantinet de respect. Comme un grand nombre de gens de ma génération, j’ai découvert Wes Craven avec sa créature emblématique, Freddy Krueger, le croquemitaine d’Elm Street. Immense cauchemar poétique, plongée acide dans le monde de l’adolescence et naissance de l’un des plus effroyables bad guy que le cinéma ait connu, A Nightmare on Elm Street (sorti en France en 1984 sous le titre Les griffes de la nuit) n’a pas pris une ride, au contraire de ce que certains prétendent, et reste, encore aujourd’hui, une véritable claque cinématographique.
Mais, naturellement, Wes Craven est né, cinématographiquement, bien avant Freddy. Exactement en 1972, avec l’un de ses meilleurs films, The Last House on The Left. Librement inspiré du film de Bergman intitulé La source, cette première œuvre cravenienne met en place les principes majeurs de tout ce qui fera son cinéma par la suite, à savoir la violence (des hommes ou de la société en tant qu’entité autonome), la vengeance et la parentalité en tant que faillite. Car oui, assez bizarrement, Craven est un type qui réfléchit et qui a deux ou trois trucs à dire. Est-ce dû à ses études de philosophie ? À sa très vaste culture, notamment cinématographique, notamment du cinéma dit « d’auteur » ? Au simple fait qu’il était très curieux de la société qui l’entourait, qu’il faisait partie de cette génération de réalisateurs post-Vietnam (dans une Amérique traumatisée, les Craven, Carpenter, Cronenberg, Boorman, etc vont jouer le rôle de catharsis) qui va utiliser la violence, voire la terreur, pour créer une nouvelle forme de cinéma politique ? Car oui, comme le soulignait très justement Les Cahiers du Cinéma à l’époque de la sortie en France de The People Under the Stairs (Le sous-sol de la peur, sorti en 1991), Wes Craven est avant tout un cinéaste politique. Pas de films d’horreurs avant tout, non, non, non, des films politiques. En l’occurrence, The People Under the Stairs était une attaque au vitriol de l’Amérique de Reagan et du repli sur soi, nouveau leitmoiv d’une Amérique de la peur de l’Autre.
Alors oui, bien sûr, tous les films de Wes Craven ne sa valent pas. Sa farouche volonté de sortir du film de genre ne lui a jamais réellement réussi. Ceci dit, s’il n’avait pas été autant méprisé pour ses choix esthétiques, il n’aurait sans doute pas été si tenté de s’échapper d’un style qu’il maîtrisait aussi bien. Ce n’est pas si grave finalement, il nous reste toujours quelques perles comme The Hills Have Eyes (La colline a des yeux, 1997, où la fine couche de civilisation se dilue dans la plus brutale des sauvageries en cas de besoin), The Serpent and the Rainbow (L’emprise des ténèbres, sorti en France en 1988, s’intéressant aux pratiques vaudou dans un Haïti tiraillé par une dictature sanguinaire) ou encore Shocker (1989, ou les prémisses de la dématérialisation et des flux numériques symbolisées par le voyage dans les tuyaux d’un tueur en série mort sur la chaise électrique). On n’oubliera pas le cycle des Scream. Présentée comme le grand renouveau du genre Slasher (né avec la série des Vendredi 13 initiée par Sean S. Cunningham, le producteur de The Last House on The Left), cette série est surtout intéressante pour la formidable mise en scène de Craven (on se souvient tous de la scène d’ouverture du premier volet de la série, scène d’anthologie dans laquelle Drew Barrymore est pendue au téléphone avec un type qui a très envie de jouer). Le réalisateur a en effet réussi à transcender un scénario assez quelconque (Kevin Williamson n’est pas le génie qu’on a bien voulu annoncer, il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un oeil à sa filmographie) et à opérer une mise en abîme, geste qu’il avait initié dans le magnifique dernier volet de la série des Freddy.
Pas question ici d’égrener toute sa filmographie (un peu plus d’une vingtaine de films), mais bien de mettre l’accent sur le fait que Wes Craven n’est pas seulement un maître de l’horreur, mais avant tout un cinéaste politique n’ayant pas eu peur de montrer la violence de nos sociétés dans toute sa sauvagerie, sa bestialité, son animalité, un type qui a passé sa vie à œuvrer pour une sociologie politique gore. Il faut absolument revoir les films de Craven à l’aune de la sociologie politique car ce ne serait que lui rendre enfin justice et comprendre en quoi le cinéma d’horreur est un formidable vecteur pour une critique de notre société et de son fonctionnement sauvage.
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