Peut-on voir dans la filmographie de James Cameron une certaine conception du féminisme ? Bien sûr, il y a dans Titanic (1997) l’idée d’une émancipation féminine mais elle recoupe une critique sociale plus large, où c’est la société de classes britannique, conservatrice et puritaine, qui est visée. Dans Aliens, le retour (1984), dans Terminator (1986), puis surtout Terminator 2 : Le Jugement Dernier (1991), et enfin dans Avatar (2009), les femmes occupent des rôles de choix et incarnent des combattantes face à la menace qui pèse sur l’humanité. Et que ce soit Kate Winslet dans Titanic ou Linda Hamilton dans Terminator, toutes ont vu leur carrière propulsée par les rôles que James Cameron leur avait confiés. Dans ses films, les femmes sont des guerrières, ou a minima, des rebelles. Elles luttent pour leur survie ou celle de l’espèce. Alors est-ce que cela nous autorise à qualifier de tels choix du réalisateur comme féministes ? Pour parler de féminisme, il faudrait que ce soit une démarche consciente et militante du réalisateur. En tout cas, a minima, on peut déceler une visée émancipatrice : les femmes de ses films sont consciemment des figures intelligentes et agissantes.

D’abord, écartons sans ambages l’idée d’une œuvre militante au sens strict du terme. À titre d’exemple, quand Linda Hamilton gagne 1 million de dollars pour Terminator 2, Arnold Schwarzenegger en perçoit 16.  Sans connaître les chiffres pour Kate Winslet, on sait que Leonardo Di Caprio a touché 2,5 millions de dollars pour Titanic (Cameron a refusé de se payer en tant que réalisateur, mais il a empoché des gains en tant que producteur). Il faudrait pouvoir vérifier les cachets de ses actrices et les comparer à ceux de ses acteurs, pour apprécier concrètement leur place économique. Autre constat, les blockbusters de James Cameron ne sont pas inféodés à un message politique, même s’il existe dans ses films. Il n’y a pas de vocation didactique à proprement parler. Ce sont des films de divertissement, des films épiques à gros budget qui visent d’abord le spectacle et la prouesse technique servie par des effets spéciaux : en témoignent les scènes de batailles qui se répètent à l’envi dans ses films et qui constituent des passages obligés voire des morceaux de bravoure où à chaque fois il met le paquet. C’est un univers de science-fiction, pétri de souffle épique et d’ambition technique, où l’homme est invité à se dépasser et à surpasser les éléments naturels ou supra-naturels.

On peut examiner les enjeux politiques de ses films, ou du moins la sensibilité politique qui s’en dégage, ne serait-ce que parce que ses films ont la structure de fables, ce sont des dystopies qui contiennent une critique sociale. La vision de James Cameron est pessimiste et tragique. Dans Avatar, la planète Pandora est animée d’une énergie et d’une mémoire animiste et la question écologique est au cœur du film. Face au peuple Oyoketan, sorte de reviviscence du bon sauvage, on a la destructivité humaine, la cupidité guerrière, avatar des expéditions et de la colonisation des XVet XVIsiècle en Amérique. Dans Terminator 2, quand le petit John dit, en regardant une bagarre de jeunes gens « on ne s’en tirera pas », le Terminator lui répond : « c’est dans votre nature de vous détruire vous-mêmes ».

Cela nous donne le prisme à travers lequel on peut apprécier les œuvres de Cameron, et c’est précisément dans ce contexte de destructivité, de pulsion de mort, de naufrage, voire d’entropie, que les femmes occupent le devant de la scène, à parité avec les hommes. Et là, tout de suite, on voit que la question relève peut-être davantage du fantasme du réalisateur. Comment ces femmes participent-elles du sauvetage de l’humanité, quand celle-ci est menacée ? Quel rôle jouent-elles, quel type de féminité campent-elles ? Cela n’étonnera personne si l’on affirme que ce sont des femmes phalliques, que ce soit du côté de l’intellect ou du physique. Elles sont puissantes. Le tout est de savoir si le fait de rabattre le modèle féminin sur le modèle masculin relève d’une position critique féministe. Pourquoi pas, puisque c’est en tant qu’êtres agissantes qu’elles s’affirment et refusent l’inertie sociale. Et dans ce contexte, il faut se demander si leur position phallique leur permet néanmoins d’exprimer leur singularité face à leurs partenaires masculins.

 

Des combattantes

En quoi peut-on parler de figures émancipées et agissantes ? De manière générale, elles conduisent des vaisseaux spatiaux ou sous-marins, manient les armes militaires, prennent des décisions, dirigent des équipes de recherches scientifiques et sont intégrées dans des bastions de combat.

En mode mineur, on a le modèle femme courageuse qui se rebelle contre l’ordre social. C’est le cas de Rose DeWitt, dans Titanic, qui tente de se suicider pour échapper aux contraintes morales et sociales qui l’assignent à une passivité insupportable. Et elle, la passagère de première classe, va entretenir une liaison sulfureuse avec le passager de troisième classe, Jack. C’est la figure de la femme courageuse, qui refuse le sauvetage facile en canot et qui s’oppose à la figure bourgeoise et lâche de son fiancé. Rose DeWitt, comme l’indique son nom, est pleine d’esprit et est à rattacher à la lignée des femmes agissantes et pensantes. Quand elle veut descendre pour rejoindre Jake, elle lance au Commandant : « je le ferai, avec ou sans votre aide ». En mode majeur, on trouve la tueuse surentraînée de Terminator 2, Sarah Connor, mais aussi Ellen Ripley dans Aliens, le retour.

Dans Terminator 2, Sarah Connor (Linda Hamilton) se rebelle contre l’ordre médical. Elle incarne une position phallique où elle castre symboliquement le pouvoir médical, quand elle demande au Dr Silbermann « Et le genou, ça va ? » et qu’il répond « Elle m’a transpercé le genou avec mon stylo il y a quelques semaines ». De même, quand elle le prend en otage avec une seringue remplie de poison nitrogène, c’est une arme qu’elle tient sur sa tempe. Elle s’empare des armes de domination masculine et est le pendant féminin du Terminator.

Dans Alien, le retour,Sigourney Weaver qui incarne cette fois Ellen Ripley, en impose par sa détermination à éradiquer l’entité envahissante : « Si vous y allez, c’est pour les détruire, pas pour les étudier, ni les ramener, mais pour les éliminer ». A ce titre c’est un rôle en antithèse avec celui du Dr Augustine d’Avatar. On a ici une scientifique belliciste, qui finit par se laisser convaincre d’intégrer une mission de laquelle elle avait été écartée par les militaires ; de l’autre côté, on a une scientifique pacifiste qui se rebelle contre la mission militaire du colonel Miles Quaritch. Dans les deux cas, elle devient une guerrière. James Cameron n’est un pacifiste absolu, du moins ce n’est pas ce qui émane de ses premiers films. C’est assez ambigu. Certes, il ne faut pas tuer, comme le répète le petit John au Terminator qui extermine à tout bout de champ, mais il y a une jouissance à manier les armes et longues sont les scènes de guerre.

De manière générale, les femmes sont des frondeuses habiles à la gâchette. Dans Avatar, dans le sillon du rôle secondaire de Trudy Chacon (Michelle Rodriguez), la rébellion s’organise contre Quaritch. C’est une marine, pilote d’hélicoptère et marine, qui prend la décision de faire demi-tour quand l’assaut est mené contre les Oloyektan : « Je n’ai pas signé pour ça ». Elle est l’alter ego militaire de la scientifique Grace Augustine. Sigourney Weaver joue le rôle d’une intellectuelle déterminée et charismatique, son intérêt est la science ; elle est un rempart contre la bêtise et la cupidité de Quaritch, qui est tout ce que l’Amérique a généré de plus brutal. Et souvent les personnages féminins incarnent les choix morauxqui font rempart à la destructivité.

Donc, on voit que les femmes s’emparent des insignes de la domination masculine pour imposer leurs choix. Physiquement, elles ont des corps surentraînés (on note la transformation physique de Linda Hamilton, de Terminator à Terminator 2, entraînée qu’elle a été par un soldat de l’armée israélienne). Pareil pour la fille qui joue Vasquez, une sorte de Rambo au féminin, dans Aliens, le retour. Elle est très musclée, cheveux courts, bandana rouge. Au marine qui lui dit : « Vasquez on t’a déjà prise pour un mec ? », elle répond : « Non, et toi ? » Grace Augustine, comme Sarah Connor tient sa cigarette au bec d’une manière très masculine. A la fin de Terminator, dans le motel, à Sarah Connor qui demande « Et les femmes de ton époque, comment sont-elles ? », Kyle Reese répond : « Prêtes à se battre. »

On peut supposer que cela relève du fantasme de James Cameron, que les femmes puissent sauver une humanité en déclin. Donc, elles s’inscrivent manifestement dans cette posture phallique qui les désigne comme appartenant à un ordre agissant dont elles épousent les codes linguistiques, vestimentaires et physiques. Mais elles brandissent aussi des qualités traditionnellement attribuées aux femmes, dont celles de la mère n’est pas des moindres.

 

Une fonction maternelle

A cette place, elle occupent la fonction de guide, voire de pygmalion, ou encore de mère nourricière. Elles sont rattachées à la mémoire, au passé, et ont en charge l’avenir. Dans les films de Cameron, les temporalités se télescopent et et les femmes assurent le lien entre le passé et le futur.

Dans Aliens, le retour, la capsule dans laquelle dérive Ellen Ripley permet un saut temporel. La fille d’Ellen est plus âgée qu’elle, quand elle revient de son hypersomnie après 57 ans. Elle trouve en Rebecca, surnommée Newt, une fille qu’elle guérit et qu’elle prend en charge. Elle fait tout pour la sauver.

Dans Avatar, le Dr Augustine, en dépit son ton un peu bourru et ses manières peu délicates, veille à nourrir Jake Sully. Elle lui donne à manger à la cuiller. Quand il est sous avatar, il est confié à Neytiri, qui a en charge son initiation. Tout son apprentissage se fait sous l’égide de cette guerrière. Elle lui demande de choisir une femme, en lui vantant les mérites de ses comparses (dans des activités usuellement considérées comme masculines, telles que la chasse, le combat, la construction). Jake répond : « j’ai déjà choisi, mais cette femme doit me choisir aussi ». Dans Titanic, c’est Rose DeWitt qui initie Jack aux bienséances. On peut mettre ces deux films en parallèle, dans la mesure où se noue une histoire d’amour, ce qui est rare dans les films de Cameron, où il est peu question de sentiments.

La question de la paternité affleure dans Terminator 2, au même titre que celle de la maternité. La femme est dépositaire de la mémoire, du passé, mais aussi garante de l’éducation de John, qui sera le chef de la résistance. Dans Terminator, Kyle Reese apprend à Sarah Connor que c’est elle « qui a tout appris à son fils, qui lui a montré comment se battre. » Le message adressé par son fils est « Il faut que tu survives pour que je puisse naître ».

Oui, on parlera de féminisme, puisque les femmes se libèrent d’un joug, agissent et pensent. Mais elles sont dans des positions très stéréotypées, engendrées par les nécessités scénaristiques, d’ailleurs (univers schématiques). Dans l’idéal de James Cameron, les femmes sont des guerrières au même titre que les hommes, et en plus elles ont en charge l’éducation et l’initiation. Néanmoins il faut garder à l’esprit que l’idée principale est celle d’une humanité menacée par la destruction, où l’amour a peu de place. Illustration des forces d’Eros et de Thanathos, sans cesse à l’œuvre et qui donnent lieu au spectacle. Vision toute personnelle d’un réalisateur, expression de ses angoisses, lui qui a été longtemps marié avec sa co-scénariste Gale Anne Hurd (Alien, Abyss,T2),  qui a été l’époux de Kathryn Bigelow, puis de Linda Hamilton.

Visuel : ©StudioCanal

Note : cet article est le fruit d’une réflexion née de notre contribution à l’émission « Blockbusters », animée par Frédérick Sigrist, sur France Inter, et diffusée le lundi 9 juillet 2018 de 11h à 12h. Remerciements à Frédérick Sigrist et à Marie Mougin pour leur aimable invitation.

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