Blinding Guru, « l’aveuglant gourou » de Johanna Vaude, Laurent Saïet et Mika Pusse
Lien vers le film : Blinding Guru
Clip hypnotique sur l’emprise sectaire
Voici le nouveau clip vidéo coup de poing de l’artiste Johanna Vaude connue pour ses montages et réemplois d’images par variation sur le motif. Monté sur la musique anxiogène de Laurent Saïet et le chant non moins angoissant de Mika Pusse, le clip parcourt de façon percutante l’évolution d’une emprise…vécue comme en caméra subjective ou en Virtual Reality. Consistant, pour Johanna Vaude « à expérimenter l’IA pour évoquer les images utilisées par les groupes spirituels déviants qui utilisent des leviers très communs pour attirer leur proie », la convergence de la musique atmosphérique, du chant et des images produit un envoutement visuel et sonore qui conduit de l’extase à l’horreur. Ce faisant il décode l’hypnotisme du gourou.
© 2024 | Johanna Vaude
Regain d’intérêt pour les sectes
Dans une époque troublée de début de millénaire où le phénomène sectaire ressurgit à travers des idéologies conspirationnistes, des figures de leaders charismatiques et la multiplication des spiritualités alternatives entées sur le consumérisme mercantile, ce clip apporte sa pierre didactique et plastique à la prévention du phénomène. Sean Durkin dans Iron Claw retraçait en janvier 2024 le pouvoir d’une emprise familiale sectaire, après Martha Marcy May Marlene en 2011. Arte propose régulièrement des documentaires sur ce sujet (La Tribu et le gourou : Gaïaland, Adeptes, de l’emprise à la déprise) tout comme Netflix. La série documentaire Le parcours des Gourous, entre autres, est un manuel du gourou qui « promet de gagner l’amour inconditionnel, le dévouement suprême et une emprise totale sur l’esprit, le corps et l’âme des fidèles de votre secte. », en 6 épisodes caustiques qui décodent les mécanismes : « Établissez vos fondations », « Faites croître votre troupeau », « Réformez leur pensée », « Promettez-leur l’éternité », « Maitrisez votre image », « Devenez immortel ».
© 2024 | Johanna Vaude
Manifeste Hyperpop
Si l’on devait classer les créations de Johanna Vaude, saisissants parcours dans des œuvres cinématographiques composés par mash up de citations et bande-originales sur mesure pour l’excellente émission Blow Up, entre autres, ce serait sans doute dans le courant de la Pop Culture. Celle-ci associe de façon plastique dans des couleurs publicitaires des référentiels parfois inconciliables, de la plus élitiste à la plus populaire, pour questionner les motifs, symboles, clichés et mèmes de l’industrie de l’image. Ici, un pas de plus est franchi vers l’Hyperpop dont ce clip pourrait être un manifeste visuel. À l’origine, mouvement de musique électronique originaire du Royaume-Uni né au début des années 2010, l’Hyperpop joue exagérément des représentations communes en les intégrant à la sensibilité pop et avant-gardiste et démontrer leur pouvoir de persuasion. Un des motifs clé, le cœur, est martelé dans ce clip qui démontre le dévoiement de ce symbole par l’iconographie sectaire.
© 2024 | Johanna Vaude
Morphings, surimpressions et symbolisme hyper Kitsch
Ainsi s’enchaînent en surimpression des images de ce business spirituel rappelant autant l’esthétique de Pierre et Gilles que celle de la secte Hare Krishna, trouvées sur internet : couleurs flashy, clichés éculés (auréoles, cercles de feu, serpent, agneau, œil, cœur). Remontant vaguement à l’iconographie religieuse de la peinture baroque, le kitsch de ces images, leur enchaînement et leur répétition produit une forme d’écœurement, situé quelque part entre la conscience de la vacuité des signes et de l’intensité du bourrage de crâne, mode de martèlement lié à la surconsommation de la société moderne, mis à nu.
Ainsi, le clip débute par un plan de l’univers sur lequel se surimpressionne cette imagerie d’Épinal. Allant du flou au net, et du net au flou, les images de patriarches à l’air paterne aussi barbus que blanchissants s’enchaînent en fondus entrants et sortants. Ce morphing de visages bienveillants et vacillants, perturbant la mise au point rétinienne, crée une hypnotique sensation d’hallucination visuelle. Nous voilà littéralement dans le regard de la victime impuissante, un peu comme dans la tête de Kate Winslet dans Holy Smoke de Jane Campion (1999). L’icône patriarcale se renverse par un travelling circulaire vers le bas, statue votive contemplée en contreplongée, ravivant les lointains souvenirs d’enfance. La perturbation des repères spatiaux et temporels ainsi que cette régression finissent par perdre le spectateur déjà mis sur orbite par les sonorités basses et l’iconographie mystico-spatiale.
C’est à ce moment précis qu’un gourou nous ouvre les bras, accompagné des paroles « Come to me » sur une nappe musicale particulièrement enveloppante. Les images se fondent les unes dans les autres pour montrer maintenant divers visages de postulantes idéales : jeunes femmes blondes aux yeux bleus, aux visages angéliques et aux allures alanguies ou endormies. Alors le défilement de l’imagerie kitsch accélère et s’intensifie. Le symbolisme du sacrifice affleure subrepticement sans que l’on soit sûr d’abord : a-t-on bien vu au milieu de cette geste d’amour le présage sanglant ? Yeux, serpents, cœurs auréolés d’éclairs, vierge à l’agneau, serpents, sphères de feu, cœur humain dégoulinant de liquide d’or, mains, cœur plein d’amour, visage du patriarche bienveillant, douce étreinte… défilent dans le kaléidoscope doucereux évoquant encore la conclusion de la fable de Charles Perrault Le petit Chaperon Rouge : « qui ne sait que ces Loups doucereux, De tous les Loups sont les plus dangereux ». Le sacrifice est suggéré en même temps que la promesse d’un acte sexuel avec le Gourou, d’un amour infini et d’une promesse d’éternité… Le pervertissement du symbolisme fait monter la sensation d’angoisse. Le réseau des signes iconiques nous renvoie à la mémoire cinématographique du sacrifice emblématique de Sharon Tate par Charles Manson et ses émules dans la nuit du 8 au 9 août 1969 et de tous les meurtres sectaires du cinéma advenus depuis.
© 2024 | Johanna Vaude
De l’érotisme au film d’horreur
Le clip, tel un bain amniotique visuel et sonore joue sur les sentiments d’attraction-répulsion. L’envoûtement trop sensible des notes graves de la musique et de la voix, le caractère répétitif des apparitions produisant un mouvement centrifuge, les formes circulaires une hypnose, aspirent le spectateur dans l’image, l’invitant à fusionner avec le Père infini ou à se fondre dans le visage immaculé de la jeune vierge. Ce travelling avant imposé au spectateur impliquant la fusion avec l’objet produit le malaise, la volonté de se débattre et de quitter le film. Le spectateur hypnotisé, découvre le destin tragique de celle qui succombe à cette emprise. Le clip glisse ainsi grâce à une iconographie kitsch et des sonorités hypnotiques approchant du bruit blanc d’expérience extatique à l’ horrifique.
© 2024 | Johanna Vaude
Questionnement sur le pouvoir hypnotique des technologies ?
Ce travail sur l’iconographie religieuse retravaillée par IA produit une réflexion sur le statut et le pouvoir de ces images pas tout à fait humaines. La banalité des images apparemment anodines est distordue par leur répétition qui suscite un questionnement sur le média numérique lui-même, force de reproductibilité s’il en est, et de son pouvoir de fascination accru par l’IA. La promesse d’éternité sous-tend l’utopie technologique de l’IA (comme la crainte de son désastre sous-tend sa dimension dystopique) productrice d’images, démiurge et nouveau gourou de ce fascinant kaléidoscope. Sa force de production d’images illimitée finissant par mieux connaître les humains qu’ils ne se connaissent eux-mêmes, en comblant, devançant, suggérant des désirs réduits algorithmiquement renvoie le spectateur à son inertie, laquelle rejoint celle de la victime sacrificielle, l’IA se faisant père et mère fusionnels, interlocuteur privilégié répondant aux besoins dans un vide angoissant.
En traversant l’angoisse existentielle au cœur de l’emprise, en nous faisant ressentir de façon consciente l’ascension et la chute, ce clip met en garde contre la fascination. Plus finement encore, dans ce face à face d’un homme et d’une femme, l’un bourreau et l’autre victime, il interroge l’origine de la fascination dont l’étymologie renvoie au dieu romain Fascinus, incarnation du phallus divin, censé assurer la fécondité, préserver des maléfices et protéger les enfants.
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