Hong-Kong change: la Chine est bien là, les affaires prennent un tour différent et la nouvelle génération de mafieux a peu à voir avec l’ancienne, dans son code d’honneur et ses méthodes. Pour Johnnie To c’est une occasion de revisiter un genre empesé de clichés en tout genre, et on peut dire que l’un des mérite de ce diptyque, même s’il n’a rien en soit de révolutionnaire, est d’apporter une certaine fraicheur de traitement. Les scènes violentes sont traités souvent en hors champs et avec distance tandis qu’une sobriété surprenante règne, loin d’ excès lyriques ou opératiques. Election mérite bien son titre international puisque les conciliabules et la politique y règnent, un monde d’à côté que le cinéaste filme dans l’obscurité, fait de recoins et d’espaces en forêts perdus. Les personnages d’abord archétypaux se révèlent caméléons, avec des facettes supplémentaires inédites tout du long dans leur confrontation avec le pouvoir. Personnage clé de ces deux (premieres ?) parties, Lok interprété par le charismatique Simon Yam en est le meilleur exemple, sa séduction et sa bonhomie initiale cachant bien des surprises.
Le premier opus lance une course à la succession qui oppose deux grands acteurs du cinéma HK, soit Tony Leung Ka Fai alias Big D, qui se plait à en faire des caisses mais se révèle assez réjouissant, et donc Simon Yam/Yok plus dans les petits papiers des papys qui, votant pour le délégué de la triade, suivent une tradition qui remonte à des anciens clans de moines guerriers et exilés. Le choc des deux mondes est orchestré avec beaucoup de tact, par le soin qu’apporte To à filmer les corps de ces anciens, leur environnement figé dans le temps et surtout en contraste les mauvaises manières des chiens fous n’hésitant pas à les malmener. En fil rouge, une poursuite sous forme de course de relais pour la possession d’un sceptre sur les terres chinoises montre les nouvelles porosités et inter/relations avec Hong Kong, un aspect qui sera développé dans la seconde partie. C’est matière à Johnnie To de nous offrir une épure admirable dans les scènes de poursuite et d’action, avec des hommes de mains lancés comme de vrais abstractions à corps perdus. Pendant ce temps, les stars du film sont, elles, en prison! Une série de fausses fins va leur donner le loisir de rattraper le temps perdu. Le rythme assez posé devient alors plus haché, mais pourtant force est d’admirer que toute ces dernières séquences sont implacables et excellentes, presque comme des segments autonomes, à la fois un défaut et une qualité donc. Le final plus aéré surprend ainsi beaucoup.
Election 2 casse définitivement la petite musique du premier film. Cette fois l’univers décrit semble en plein délitement, et la chute de l’un des protagonistes s’avère particulièrement forte et prenante. Le film est plus facile d’accès par son rythme, mais peut s’avérer froid et assez banal dans ses rebondissements. Louis Koo n’est pas il faut dire un acteur très attrayant, son personnage représentant d’autre part la totale fin du caractère mythique du gangster, ici résumé à un homme d’affaire lambda et bien sapé: la violence sauvage qui se révèle chez cet homme ne parvient jamais à vraiment convaincre… Le propos acerbe et le regard sans concessions sur cette nouvelle criminalité est plus visible directement, mais le film en perd en densité, malgré des éclats de violence qui se voudraient plus poussés mais n’atteignent pas le final du premier film. La petite note sur le rôle de la police chinoise et des affaires se déroulant dans le coin a son effet, mais cette sécheresse et dédramatisation finale prend un caractère moins entier, le film manquant un peu de frissons et d’unité à ce niveau: il ressemblerait presque parfois à une saga télé réduite à un format long métrage. To rejoue d’ailleurs une scène de pêche forte du premier film sur un mode plus minimaliste, presque vidé de sens, tout comme la course au sceptre qui n’aura en fin de compte pas lieu. Reste une très belle poursuite à pieds et là aussi une superbe fin, qui ouvre d’ailleurs sur la possibilité d’un troisième film. To pourrait alors signer une drôle d’œuvre funèbre et crépusculaire sur ce genre, et l’ensemble prendre une certaine dimension. Mais « wait and see ».
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