Quelques minutes. Seulement. Et pourtant. Quelques minutes qui ouvrent Le Syndrome de Stendhal de Dario Argento. On y voit sa fille, Asia Argento, sur une musique d’Ennio Morricone, pénétrer aux Offices et scruter avec attention des tableaux de Botticelli, Caravage, Raphaël, avant de sombrer et d’être aspirée par la peinture. (Le Syndrome de Stendhal étant le phénomène d’hyperréactivité face à une oeuvre d’art étudié par une psychiatre italienne, Gabriella Margherini.) Les minutes d’ouverture du Syndrome de Stendhal pose de multiples questions : qui sommes-nous devant les peintures ? Pourquoi nous arrêtent-elles ? Ne serait-ce pas le détail qui aurait cette fonction attractive ? En effet, dans ces quelques minutes on ne peut que remarquer la mise en valeur excessive du détail : une sorte de pellicule photographique défile sur le côté droit de l’écran dont chaque vue montre le détail d’une peinture. Le détail ; la notion de détail appelle immédiatement Daniel Arasse (Le détail : pour une histoire rapprochée de la peinture, 1992). Arasse souligne d’abord que la langue italienne fait preuve de plus de nuances que la française, puisqu’elle distingue le particolare du dettaglio. Il y a en effet le détail qui fait partie d’un ensemble et le détail qui fait bande à part au point de devenir lui-même l’unique objet de la contemplation. Or ces détails, poursuit Arasse, produisent une double « dislocation » du tableau : – Comme particolare, le détail peut tendre à sortir de sa place ; il est en effet, pour reprendre le mot d’Ingres, un « petit important » qui résiste à la « raison », qui fait écart et, loin de se soumettre à l’unité du tour, la disloque pour susciter ce que Baudelaire appelle une « émeute des détails », ce qu’Alberti appelait déjà d’un terme aux connotations alors politiques, un « tumulte ». – Comme dettaglio, le détail disloque aussi le tableau, non seulement en ce qu’il en isole un élément où se noie le tout, mais surtout en ce qu’il défait le dispositif spatial réglé qui doit, tout au long de l’histoire de la mimésis en peinture, gérer la relation physique du spectateur au tableau, de façon que ce dernier fasse tout son « effet » de la distance convenable. (page 225, édition 1996). Le détail disloque ; il disloque le tableau, et, dans le film d’Argento, il disloque le réel. Dislocation du réel : les différents fragments ne s’accordent plus, et le film, justement, repose sur l’instabilité schizophrène du personnage joué par Asia Argento. Le prénom du personnage, d’abord, Anna, prénom palindrome, est un premier indice : il peut se lire à l’endroit, à l’envers, deux facettes d’une même médaille. Jean-Baptiste Thoret ajoute : « Dans le Syndrome de Stendhal le pli n’est plus extérieur au personnage principal mais court en lui. Anna Manni, après avoir intériorisé l’esprit du tueur, devient un personnage double, clivé, aussi bien en profondeur (la schizophrénie) qu’en surface (de la cicatrice qui apparaît sur son visage à sa métamorphose physique totale). Anna est traversée de nombreux plis (masculin / féminin, normalité / pathologie, blonde / brune, réalité / illusion…) ».
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