Il était une fois la Chimérique… En 2022, Blonde est sans doute l’un des films ayant le plus polarisé l’analyse, sauf pour sa partie la plus visible, face immergée de l’iceberg critique (Les Cahiers, Positif). Pour elle, nul doute, Andrew Dominik aurait dénié autant la femme dans ce biopic que l’époque (Jean-Marie Samocki). Le film n’aurait consisté qu’en un étalage de préjugés sur la plus blonde des blondes, Marilyn (Christian Viviani). Un film ? Un délire sadique de plus à l’égard d’une victime féminine, répondent en écho Les Inrockuptibles (Emily Barnett). Andrew Dominik, finalement, consciemment ou non, aurait commis un féminicide de plus, soit ce qu’il reprocherait à Hollywood. Ce discours, s’il a réfléchi quoi que ce soit du film, ce ne fut que dans l’angle strict de sa possibilité d’être répété, époque oblige, peut-être. Un discours d’horloge, au fond. Mais une horloge ne pense pas. Elle réduit l’énigme de l’Amérique que ne cesse pas de filmer Andrew Dominik à travers ses mythes depuis les années 90 à une perpétuelle et monotone délibération. Il était peut-être temps, dès lors, de revenir sur cette mise à nue de l’actrice qui n’est autre que celle des États-Unis, pour un cinéaste qui a élu son mystère afin d’en rameuter le sens dispersé. Le faire, dans un premier temps, en inscrivant cette quête dans la trajectoire des origines, en s’intéressant à la filmographie du réalisateur. La continuer, dans un second temps, en s’attardant sur le cas particulier de son Jesse James, l’une des autres figures mythiques des États-Unis défilmée par Andrew Dominik. Avec tout le respect qu’il leur devait, le cinéaste a décidé un jour de rouvrir le grand livre de l’histoire des États-Unis, la page entre les dents, le sourire à l’encre noire, pour raconter une autre histoire de l’Amérique, celle de ses zombies.
Le cinéma d’Andrew Dominik : une hantologie de l’Amérique.
Andrew Dominik est un cinéaste de l’entre. L’entre des images, l’entre des genres, l’entre des morts et des vivants. Un cinéaste de l’image iconoclaste, un cinéaste des genres dégenrés/dérangés, un cinéaste filmant des morts de leur vivant. Post-moderne, il construit une œuvre par la technique du collage, du mixage et du mélange des genres comme des images pour produire non pas un cinéma de la vignette mais pour en épuiser le régime de signification par la déconstruction, qui n’entend pas anéantir mais libérer le regard. Non pas détruire les images au sens classique de l’iconoclasme, mais les faire voir autrement et distinctement : les déplacer pour les rassembler en une mosaïque, donner un nouveau visage à l’Amérique, celle de ses zombies. Post-moderne, donc, au sens où cette réutilisation de formes préexistantes a pour tâche de mettre fin à deux métarécits nord-américains qui ont fait sa mythologie, le métarécit de l’émancipation de l’individu articulé sur celui de la seconde chance, la possible renaissance d’un peuple nouveau, le peuple Américain, cette histoire étant hantée par les fantômes des États-Unis.
Pour refaire l’Amérique, Andrew Dominik raconte alors de curieuses histoires, des histoires fantômes à propos de fantômes : des histoires impossibles à raconter, qui ne comportent aucun dénouement. Des histoires avortées d’emblée, à travers le récit de personnages empêchés. Cette particularité comme cette volonté de ne pas faire récit ne s’inscrit pas moins dans une tendance cinématographique. Andrew Dominik ferait donc des films sans histoire qui aurait une histoire, dont il s’agirait de saisir toutefois la singularité.
Pour le dire trop vite et de façon trop massive (car il faudrait toujours nuancer), toute forme artistique, en ses débuts, se trouve le plus souvent dès l’abord dans une phase archaïque, où il s’agit de se construire un langage. Ce langage trouvé, les artistes le perfectionneront ensuite en un âge classique (qui consistera en son « âge d’or »). Puis, ce classicisme, à force de se répéter s’épuisant dans ses formes, quelques cinéastes s’efforceront de le dépasser pour ne pas s’être suffisamment questionné sur la manière dont les images étaient créées. Les cinéastes deviendront modernes. Il s’agira pour eux d’être antipodes, se singulariser par la recherche de nouvelles formes inédites, insolites et originales (les nouvelles vagues d’ici et d’ailleurs/le nouvel Hollywood). Mais bientôt cette contre-culture deviendra dominante, l’exception la règle. Cette modernité, réifiée, avalée par le système de production, engagera le cinéma sur une nouvelle voie, non pas pour produire une évolution artistique mais une involution : le post-modernisme. Certains cinéastes commenceront alors à travailler les images du passé, en ressortiront des fragments, qui perdront sans doute leur qualité originelle car détachés de leur matériau d’origine, ce dont les cinéastes feront cependant leur jeu. Se mettra en place un cinéma de la référence, dont l’exemple paradigmatique sera notamment le Scream de Wes Craven, au début des années 90. Un cinéma qui se jouera des codes autant que des connaissances du spectateur de l’histoire du cinéma, du slasher, afin de créer un nouveau dialogue. Ce mouvement connaîtra sans doute son acmé, pour le meilleur, avec Quentin Tarantino, dont le cinéma rend plastique tous les matériaux qu’il utilise, jusqu’à l’exploitation du passé, fantasmant une autre histoire au cours des années 2000. Un mouvement accompli, pour le pire, par les années 2010 avec l’arrivée de films à Hollywood ne cessant pas de se revisiter par l’entremise de franchises, en retravaillant ce qui aurait fait leur gloire passée, promouvant un cinéma de la nostalgie. Un cinéma qui ne raconterait plus d’histoire originale ni ne procéderait de matière ni de manière fécondes. Un cinéma qui n’essaierait plus de provoquer de nouvelles émotions, mais en cultiveraient d’anciennes. Un cinéma échoué. Un cinéma du ressac qui viendrait s’écraser par vagues successives sur la face du spectateur, le noyer.
Dans le cadre de cette histoire des formes cinématographiques, Andrew Dominik émerge, pour sa part, au cours des années 90, avec d’autres cinéastes relativement proches, comme David Gordon Green. À bien des égards, il fait sans doute partie de ce post-modernisme auquel il est souvent reproché de ne pas avoir su se libérer de ses pairs. Un cinéma qui ne pourrait exister qu’en citant, en reprenant des propos, des motifs, des images, et surtout des mythes dans le cas d’Andrew Dominik. Un cinéma citationnel. Un cinéma de la note en bas de page : pour qui aurait une connaissance même surfaite du genre du western, du dernier Ford au Soldat bleu, en passant par Little Big Man, les westerns corbucciens, léoniens, peckinpiens et eastwoodiens, ce « crépuscule », dont il a été si souvent question, par exemple, à propos du Jesse James d’Andrew Dominik, ne produirait au fond qu’un cinéma de la réactivation.
La critique du cinéma d’Andrew Dominik, versant négative, pourrait dès lors se résumer ainsi : son credo, la vision fantasmée ; son objet, comprendre l’histoire américaine à travers ses mythes ; ses intentions : ressaisir une histoire faite par les images, les états-Unis étant un pays constitué en image, les iconisant, un pays jeune construit à partir d’images envoyées aux quatre coins du globe. En somme, et pour ramasser l’essentiel, le « réel » n’intéresserait pas Andrew Dominik. Conclusion de ce syllogisme hâtif : il ne dirait rien de l’Amérique. Au contraire, il se montrerait paradoxalement à ce point réaliste avec les images, qu’à les prendre trop au sérieux il en mépriserait son récit. À faire trop confiance aux images, n’en demeurerait rien de cinématographique : Andrew Dominik n’aurait pas de point de vue, sauf à surinvestir l’esthétique de ses films à proportion de son désinvestissement du récit. Ce désinvestissement ne se traduirait pas par un délaissement, mais par une suréxagération des enjeux, une surdramatisation entée sur une surexplication (typiquement Blonde avec la figure du père absent comme motif récurrent) qui serait la tentative vaine de récupérer ce qui avait été délaissé. Andrew Dominik ne serait donc pas, finalement, un maniériste, au sens où il produirait un art à partir du répertoire cinématographique, il ne ferait pas un cinéma de la manière, mais un cinéma qui ferait des manières.
Cette analyse manque d’apercevoir la singularité d’Andrew Dominik à l’égard de ce post-modernisme. Dès son premier film, Chopper, le cinéaste aborde ses personnages avec beaucoup de mystère, qui nourrit la structuration d’un récit toujours entravé, un empêchement redoublé par le choix d’un personnage de prisonnier, hermétique au possible, un personnage en tôle/taule. Le cinéma d’Andrew Dominik déconstruit ce faisant d’emblée une certaine orthodoxie du récit. Il ne reposera jamais sur un principe d’élucidation que le récit aurait pour tâche de dérouler. Il s’agira plutôt chez lui de redoubler par le récit ce qui était obscur, Jesse James, son deuxième film, en étant symptomatique.
En un double mouvement articulé sur une logique combinatoire contradictoire, Andrew Dominik cherche dans le même temps à démythifier l’image de ces personnages emblématiques mais en même temps utilise ce même matériau – l’image – pour le faire. Or, l’image n’est jamais dans son cinéma que l’image d’une autre image et à l’infini. L’image est toujours trouée. Elle est lacunaire, déchiquetée, parcellaire. Les individus n’ont pas d’identité stable dans ce cinéma. Ils ne sont précisément que des fragments, des images mythifiées qui, lorsqu’on s’efforce de les saisir ne peuvent qu’échapper à toute forme d’appréhension globale, en prenant une forme inédite. Ainsi, Jesse James tout comme Marilyn Monroe sont saisis comme anti-héros héroïques/héros anti-héroïques dans son cinéma. Tout conspire chez eux à la déréliction pour être à la fois mort et vif, une manière de raconter différemment les États-Unis, l’histoire par le mythe, l’actuel par les trépassés.
Hormis, peut-être, dans Blonde, qui n’échappe pas à une forme de psychologisation qu’il faudrait cependant pouvoir encore expliquer, Chopper fonctionne sur un tel principe, qui fera œuvre, quand bien même il se déroule en contexte australien. Andrew Dominik n’essaie jamais d’y saisir l’essence de son personnage mais ce qu’il a d’impalpable, en quoi consiste son intérêt pour l’icônisation. Chez Andrew Dominik, l’iconisation est dans le même temps une adoration qu’une dévoration. Une anthropophagie par les images. Ou comment le mythe détruit l’humain, l’Amérique, dans le même geste, donnant vie à une actrice, tuant la femme ; construisant un hors-la-loi, abattant l’homme.
La suresthétisation qui lui est parfois reprochée par rapport à ce qui est raconté doit dès lors être comprise autrement, comme dans cette scène du meurtre dans Cogan, lorsque le personnage de Brad Pitt, afin d’apaiser le milieu, abat un innocent (Ray Liotta). Cette scène, qui n’est pas si importante dans le film, est pourtant dilatée dans le temps, comportant de nombreux ralentis, des images très léchées par rapport au reste du film. Au regard de son sujet, saisir l’histoire de l’Amérique à travers ses mythes, s’exprime plutôt une mise en scène schizophrénique pour parler d’un pays balafré par son histoire. Une histoire non dite, une histoire interdite, une histoire (de) fantôme(s). Toute la filmographie d’Andrew Dominik est parcourue de ces images fantômes, les flous de Jesse James, la blancheur/la blondeur de Marilyn, qui en font une figure spectrale de son vivant. Une image fantôme qui va être théorisée, paradoxalement, dans son documentaire sur Nick Cave, One more time With Feeling, dans ce film, donc, où Andrew Dominik s’attache sans doute le plus au « réel », lorsque Nick Cave évoque cette image fantôme à propos de sa femme : « Je n’arrive jamais à la capturer, définir ce qu’elle est, une image fantôme alors se crée, fugace, capturée par la rétine comme réifiée, mais lorsqu’elle revient c’est comme si elle avait communié avec les morts, insaisissable mais qui laisse une trace ». Soit, l’expression cinématographique de l’impossible saisie d’un personnage comme d’un pays sauf à investir l’invisible, ses fantômes.
Cette idée est exprimée une nouvelle fois dès Chopper. Dans ce film, qui raconte l’histoire du psychopathe le plus célèbre d’Australie, un plan en prison, dont le ralenti est exacerbé, s’attarde sur le crâne de la première victime de Chopper. Un plan qui se focalise sur son crâne recouvert d’un cirage noir de chaussure. Le cirage donne l’illusion du cheveu perdu, qui détermine l’objectif du film, partir en quête de ce qui a disparu, dont demeurerait des traces insaisissables.
Réciproquement, cette impossible saisie se réfracte sur les intentions du cinéaste. Si Andrew Dominik questionne le statut des images dans son cinéma, dans le même temps il refuse une approche théorique. Se met plutôt en place une esthétique punk où il s’agit de faire revenir des éléments cinématographiques de l’ordre du langage sans créer pour autant de sens prédéfini, où un ordre qui leur donnerait du sens. Typiquement, dans Blonde, s’opère un changement de ratio avec un passage du noir au blanc et inversement sans jamais avoir la possibilité de parvenir, pour le spectateur, à une conclusion ordonnée selon laquelle la couleur exprimerait le fantasme, le noir et blanc le réel. Le fantasme semble bien plutôt partout présent pour raconter l’histoire de l’Amérique. La colorimétrie s’y perd autant que les repères temporels pour le spectateur. Andrew Dominik cherche davantage à rendre palpable l’impalpable au détour d’une émotion plutôt que par l’entremise d’un système de synthèse du récit qu’il tâche de raconter impossiblement. L’objectif est tenu : déconstruire les méta-récits qui ont fait l’Amérique.
Cela signifierait-il que tout le cinéma d’Andrew Dominik soit contenue dans une seule note, déclinée dans des situations différentes ? Plutôt, cette note est une note continuée, du même message, des mêmes émotions, dont l’objet est non pas de produire une saturation qui épuiserait le spectateur mais le récit comme l’image d’une certaine Amérique. Il ne s’agit donc pas de nuancer, mais d’insister sur cette note, de la forcer au point de désimager l’image comme Marilyn est déshabillée de sa Norma Jean. Cumul d’une même note en sensation et émotion à propos de personnages tous enfermés, sous épée de Damoclès, une morne fatalité se répétant, un destin, celui de l’Amérique, se dessinant.
Chopper commence et termine ainsi par la même scène pour signifier cet enfermement, idem dans Blonde, quand Jesse James est déjà mort avant même que le film débute, le titre du long-métrage l’annonçant : L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Au départ du film comme à la fin, nul n’aura finalement parcouru de chemin. Ils ne seront pas tant revenus à la case départ. Ils n’en seront jamais sortis comme Marilyn ne s’est jamais échappé du cadre/de l’encadrement de la photographie de son père qui ouvre Blonde. Le départ, au pays du self made man, est écrasé sur la ligne d’arrivée. Se met en place un cinéma de personnages au pays de l’individualisme mais dont la liberté de mouvement est enrayée. La fatalité au pays de la libre entreprise de soi produit ainsi un étouffement, que ce soit lors des scènes de feu dans Blonde ou du tunnel qui ouvre Cogan. Et quand un décalage se crée, dans Cogan, où Brad Pitt, personnage moteur du film, est l’épée de Damoclès de tous les autres types du film, lui-même sait combien dans cette Amérique « il n’y a pas de bonheur pour qui se trouve sous une menace terrible » (Cicéron). Cette fatalité au pays de la liberté cloisonne le récit dans Cogan. Elle le verrouille. Le pseudo-espoir incarné par l’élection d’Obama est déconstruit dès le début du film par un montage idéologique au cours duquel un discours pour sa seconde élection est coupé et tronqué par le sous-titre du film, Killing Them Softly. Dans une séquence de tunnel, si la lumière point, sans que quiconque sache qui de la mort ou de l’espoir viendra, une fois dehors, à l’Amérique superbe du discours obamien fait place une banlieue dévitalisée. Une banlieue zombifiée. « L’Amérique, c’est pas un pays, c’est qu’un business », dira Brad Pitt, qui compte son argent à la fin de Cogan, l’argent qui seul dans le film donne épaisseur et consistance aux personnages de l’american way of life autant que Marilyn a de valeur pour ses thuriféraires. Un discours populiste ?
Le cinéma d’Andrew Dominik parle images pour défaire l’image des États-Unis. Il passe par sa mythologie pour en refaire l’histoire. Il les multiplie pour signifier combien l’Amérique est, en vérité, en défaut d’images. Aucune d’elles ne lui confèrent de véritable identité. L’Amérique est autant perdue qu’une balle de Jesse, un songe, un voile de robe de Marilyn s’épanchant dans les airs. Un cinéma hautement politique donc, qui insiste sur des figures individuelles déconstruisant la possibilité même d’un Nous américain. « WE, the People of the United States… », ouvre pourtant le préambule de la Constitution nord-américaine de 1787. We the People, sans doute, mais « par la grâce de Dieu » et non des individus. Formule toute énigmatique des Pères fondateurs sur laquelle s’efforce de revenir le cinéma d’Andrew Dominik. Car, quel peuple se trouve, au juste, sous la majuscule ? Un Peuple abstrait ? À venir ? À inventer ? Les États-Unis s’apparentent plutôt à une nation qui semble bâtie de toutes pièces en un jour, « surgit dans l’histoire plus visiblement que d’autres », selon Élise Marienstras (Nous, le Peuple). Tout simplement parce que, plus encore que quelques autres, elle est artificielle tout en cherchant à promouvoir l’idée qu’il existerait quelque chose de naturel en elle : une identité américaine. Précisément, qu’est-ce qu’un Américain en 1776 ? Aucune identité américaine ne précédant la naissance de l’Amérique, cette nation encore dans les limbes ne peut faire autrement que s’annexer ce nom commun, puisque, de nom propre, elle n’en a pas comme Marilyn ignore le nom de son père, les enfants de Jesse James autant. Qu’est-ce qu’un Américain, dès lors ? L’« Amérique » a conservé à ses états unis leur nom colonial, ou les a empruntés à l’onomastique indienne. Où se trouve figurée son identité, ce faisant ?
Les États-Unis, qui ne sont pas encore les États-Unis avant la Déclaration de Philadelphie, en 1776, avant leur indépendance, ne sont simplement que treize colonies d’ex-européens venus agripper le nouveau continent. Elles entendent se défaire du joug britannique (mais français, aussi, dans le même temps et par la suite, et malgré l’aide des français contre le colonisateur anglais). Treize colonies dont Dick Howard, dans sa Naissance de la pensée politique américaine, 1763-1787, montre dans le même temps que la réalité de leurs relations est bien différente de la légende d’un élan irrésistible dans une belle fraternité : treize colonies davantage rivales et concurrentes que solidaires, gagnées, dès le départ, à l’esprit comme à la politique du repli sur soi, n’ayant aucun intérêt commun à se constituer en un seul État, sauf, dans leur cause commune contre la métropole, à se libérer non pas au nom des grands principes, si ce n’est celui de l’intérêt supérieur de la liberté mais purement et simplement sur le terrain économique. Se replier sur soi, encore, lors de cette grande guerre civile dont porte les stigmates Jesse James, Nord rapatrié sur ses principes, Sud sur ses pratiques.
Sur le plan cinématographique, Andrew Dominik montre les coutures de cette fermeture en optant pour des images iconiques. Conséquent, il filme chacun de ces personnages, notamment Jesse James et Marilyn Monroe, iconographiquement, c’est-à-dire à la façon dont les icônes, dans le cas du christianisme, ont été cristallisés dans l’imagerie collective par des vitraux. Or, la recherche de la lumière divine (à l’instar des États-Unis, rendus possibles « par la grâce de Dieu ») y a été pensée de façon diffractée, les icônes étant représentées sous forme de mosaïque de couleurs et d’assemblages ne dissimulant jamais leurs jointures, comme si la lumière divine ne pouvait jamais être accueilli tout à fait dans sa totalité sauf à être aveuglante. Par la composition de ces plans, Andrew Dominik entend laisser passer la lumière qui se dégage de ces images de façon éclatée, sous différents spectres colorisés en ne dissimulant jamais les surjets qui opèrent autant comme liens entre les images que rejets, comme si chacune d’elles exerçait sa loi comme sa souveraineté de force d’attraction et de répulsion. Des images qui expriment à la fois comment les États-Unis suturent et suppurent ; comment chacun de ces personnages iconiques sont des corps américains portant en eux la trace de cette balafre, parce qu’au cinéma, dit Marilyn, c’est « coupez, coupez, coupez, mais ce n’est pas vous qui remettez les pièces en ordre ».
Cinéma de la jointure, post-moderne, l’assemblage de son œuvre se fait également dès lors non pas simplement en investissant un genre, mais en s’essayant entre les genres. On y trouve à la fois un jeu sur les archétypes typiques du cinéma américain, du biopic, du noir/néo-noir, du western, mais en les recollectionnant différemment. En les acculant et en les détournant pour signifier combien ses héros non-héroïques/non-héros héroïques n’incarnent aucune forme de renaissance possible. En post-moderne, pour prendre l’exemple de Cogan, Andrew Dominik remixe sans doute nombre de cinéastes du néo-noir, qui font de son film un ersatz coeno-tarantinien, les Coen de Sang pour sang, le Tarantino des dialogues bavards, mais mollement, l’humour en moins, filmant plutôt, finalement, des zombies pour avoir été consommés par le capi-taclysme, de sorte qu’il n’en reste plus rien de consommable à l’écran pour faire mythe. Des bandits qui sont des commanditaires blasés et des exécutants sans scrupules d’une Amérique qui a toujours tenu leurs ficelles de pantins désarticulés. Un remix mou, comme pour amortir cette violence, non pas pour la diminuer, mais montrer cinématographiquement comment les billets leur font un mol oreiller de gisants. Des personnages mécaniques, à rebours de la mythologie scorsesienne et son lot de bandits hauts en couleurs, bouleversant un casting dont les premiers rôles, hormis Brad Pitt (mais dans un rôle à contre-emploi, tout comme dans Jesse James, qui opère comme tournant dans sa carrière d’acteur), sont tenus par des acteurs méconnus rendus peu présentables, ridiculisant les pointures du genre, Ray Liotta en tête.
Mi-hommage mi-entreprise de démolition, comme le reste de la filmographie d’Andrew Dominik, Cogan est sans doute autant une resucée du Drive de Refn, avec ses personnalités mécaniques, sa froideur distante et ses abandons soudains au geste formel qui déchargent une sensation violente et extatique à la fois. Mais là où Drive insufflait de la vie à ses stéréotypes, Cogan n’échoue pas tant à le faire qu’à s’efforcer de maintenir une ligne cohérente : comment insuffler de la vie à des personnages flingués d’emblée par la cause du roi Dollar quand « Marilyn n’est qu’une carrière » ? Andrew Dominik post-modernise dès lors les post-modernes eux-mêmes en zombifiant ses personnages comme les genres.
Cette zombification était déjà patente dans Chopper. Contrairement à Scorsese, toujours, qui travaille la volte-face et l’ambiguïté relationnelle de ses personnages (Les Affranchis, encore, modèle du genre sur ce plan), Chopper ne charrie aucun signe d’humanité. Il ne provoque ni le dégoût, ni la franche sympathie, juste un état léthargique. Un geste formel continué dans Jesse James et Blonde, personnages portant un masque mortuaire.
Sur ce plan, Blonde devient le négatif cauchemardesque du biopic US, qui est toujours une façon classique de raconter l’Amérique à travers des destins exemplaires et uniques pour mieux en signifier la grandeur. Ballottant lui-même d’un régime d’image à un autre, de la couleur au noir et blanc, Blonde est un film brutal brutalisant les images, autodestructeur ; le contraire d’un biopic plan-plan, genre auquel il emprunte la velléité vampirique pour mieux l’éreinter, la maudire, in fine la détruire. Un film de fin du cinéma, avec la plus funeste de ses stars, exclusivement, dans l’objectif, comme brûle Hollywood dans les premiers instants, le rêve américain échappé en fumée, la mère et la fille prisonnières de leur véhicule, le road-movie devenu impossible, l’horizon interdit.
Filmé en 4/3, cadre resserré, les grands espaces du rêve américain semblent plutôt pris en tenaille par des forceps qui s’efforçant de sortir sa star de son ventre immonde, l’avorte dans et par le même geste de son humanité. Filmer une star, soit une étoile, c’est filmer à la flamme un être des seuils comme des battements. Un spectre, cette lumière blanche de la dernière demi-heure de Blonde. Marilyn qui se croit elle-même morte de son vivant dans le film, ces cercles de lumière des projecteurs, des photos, de l’iris de l’œil, ces cercles adressés à chacun de ses fantômes à qui elle demande de se réfugier à l’intérieur, « emportez-le où que vous alliez », ces cercles qui, dessinant sa sainteté, lui destinent en guise de halo un nœud coulant impossible à desserrer.
Qu’en conclure, finalement, sur la filmographie d’Andrew Dominik, qui sera toujours provisoire ?
Un jour, le point devrait être fait. Tout devrait devenir net. Un jour de septembre 1881 Jesse James a été mort, avant l’heure, une mort qui viendra quelques mois plus tard, en avril 1882. Il est pourtant déjà mort dans le film, annonce son titre. Il est encore là, à l’image. Comment donc signifier cette étrangeté de la mort remisée ? Peut-on se figurer un instant étale, une seconde qui durerait une éternité ? Existe-t-il un temps, une concordance des temps, qui puisse exprimer la mort annoncée d’un homme par le titre du film qui résoudrait d’emblée ce qu’il s’agissait de fictionner, en une mort qui toutefois n’aurait toujours pas eu lieu ? Un temps qui formulerait l’espace de vie d’un sursitaire ? Un intervalle qui pourrait dire, dans le temps même de son énonciation, et la mort et la vie ? Une grammaire de mort-vivant ? Une vie fausse et vraie maintenant ? Une vie frelatée comme un parfum contrefait ? Pourrait-on dire de Jesse James qu’il a été mort ? Qu’il a été mort, qu’il ne l’est plus, ou pas encore puisque lui survivrait son mythe tout comme il est encore présent en ses premiers instants à l’écran ? Le dire dans un langage formulé correctement, au passé composé, pour signifier une action désormais révolue ? Qu’elle l’a fait une fois la mort son travail, que c’est passé, daté, enterré Jesse James le mort ? Ou bien plutôt ne faudrait-il pas inventer une nouvelle règle grammaticale, affirmative et négative dans le même temps : d’être et n’être pas ? Une grammaire zombie. À moins qu’il faille se contenter simplement du futur antérieur, disant qu’il aura été mort ? Se pourrait-il que la conjugaison cinématographique autorise, dès lors, sa résurrection, puisqu’à l’annonce de sa mort par le titre du film, moins d’une année lui restait à vivre, Jesse James mourant le 3 avril 1882 quand le film débute en septembre 1881, une année en miroir (18/81) inversant la droite de sa gauche, le mythe et l’histoire ? En 2007, lors de sa sortie en salle, toujours sur pied, aurait-on le droit de dire que Jesse James avait été mort ? À la forme passive cette fois-ci, la mort, ce grand vent narcotique de l’ombre effaçant son histoire ? Au début du film, Jesse James était donc déjà mort. La résolution du récit avait déjà eu lieu. Pourrait-on dire alors un jour qu’il fut ?, Andrew Dominik ne cessant pas tout le long du film d’annoncer sa mort prochaine en la dilatant dans le temps par l’entremise d’une réalisation optant pour le timelapse lors d’une scène introductive d’exposition durant trois minutes.
Une scène pour condenser toute l’existence d’un individu comme elle fera la matière du film, trois minutes gestatrices comme les premières années d’existence d’un individu lui font son lit. Jesse James va mourir. Marilyn aussi. Cela se produira. Nul ne l’ignore puisque le début du film les mange avant que nous ayons pu voir la mort au travail. Mais Andrew Dominik laissera au chaos la possibilité d’éblouir et de germer sans mémoire. Son obsession, depuis Chopper, saisir l’histoire d’un pays à travers ses mythes, Jesse James, Marilyn & Cie. L’histoire par le mythe, curieuse association pour laquelle il fallait au cinéaste partir à la recherche d’une formule magique – empreinte de ce qui reste, volume de ce qui manque – qui permettrait d’éterniser le temps perdu. Le temps qui ne sera plus. Espérant que pèle la vérité sous sa peau, même s’il faudrait parfois n’avoir plus de mémoire, et, chaque matin, s’éveiller sans souvenirs, jeune comme une feuille verte, (re-)devenir Norma Jean pour Marilyn. Un jour, il faut bien pourtant se plafonner son histoire. Pour Andrew Dominik, celle de la Chimérique comme la petite Norma Jean est interdite par sa mère de toucher le portrait du père fantasmagorique.
Que disent finalement les mythes fondateurs de l’Amérique ? Que la renaissance, dont il est tant question dans Blonde, sera toujours possible pour un pays de colons qui n’en est pas un, qui n’a pas de nom (les États-Unis), tout comme les enfants de Jesse James ignorent celui de leur père, Norma Jean celui de ce père éploré qui n’aura jamais existé. Mythe tenace, qui pourrait en demeurer là, rester à jamais dans la lassitude du quotidien, sous le métal d’un langage immobile qui a fait le mythe des États-Unis. Attendre. Attendre et ne rien dire comme ne disent rien, ou si peu, de leurs secrets, les mythes. C’est sans doute la curiosité qui a poussé un jour Andrew Dominik vers les images avant de se poser la question de savoir comment laisser un témoignage de l’existence de ces mythes. Une perplexité lui demeurait à propos de l’histoire de l’Amérique. Filmer l’histoire de ses mort-vivants. Filmer la disparition d’individus, de leur vivant. Car, qu’est-ce qu’être Américain ? La fameuse formule de Monroe, We the People, voici en quoi consiste l’invu du cinéma d’Andrew Dominik, soit, selon Marie-José Mondzain, ce qui n’a pas encore été mis en débat par les autres discours, que le cinéma expose : l’Amérique est, appartient, aux nouveaux Américains mais aussi à ses fantômes incarnés par des personnages de revenants dans son cinéma.
Refaire le trajet de cette histoire américaine, pour un réalisateur australien, autorisait sans doute un pas de côté (Elvis l’aura été autant par Baz Luhrmann cette année, Peter Weir avec son Truman Show par le passé). C’est que dès le commencement, la marche vers l’Ouest, celle de la renaissance des colons, en cache une autre : l’« emprise », au sens propre qui est militaire, sur un Sud déjà conquis par d’autres qu’en l’annexant ou le dominant l’« Amérique » se flatte de libérer. Comment, ce faisant, toutes proportions gardées et au risque de l’anachronisme, ne pas songer dans le même temps à Hitler, pour qui l’Allemagne, c’est l’Europe, l’Amérique pour qui, ses Indiens, ses Nègres, sont à liquider ou à exploiter ? En Amérique, le paradoxe, c’est que la plus vaste, puissante, victorieuse entreprise coloniale fut l’œuvre de colons assujettis, qui ne s’affranchiront qu’à seule fin d’établir un empire, logique impériale continuée par son capitalisme triomphant.
S’il ne se racontait pas à lui-même cette histoire, qui est l’histoire de l’Amérique, Andrew Dominik n’en comprendrait jamais le sens. Il laisserait du coup se perdre sans retour ce secret. Dans le cinéma d’Andrew Dominik, il faut dès lors laisser ce secret être : non pas le lever, mais le laisser être dans et par l’écriture filmique. La raison est simple, il y a un sujet buvard dans toutes les familles, autant dire d’un pays, qui se trouve dans le système même de ce pays, une peau qui prendrait tout. Il y a quelque chose en elle qui fait mal. Cette chose ne peut jamais sortir ; l’extraire, c’est la faire rentrer par d’autres pores. Chaque jour est l’apprentissage de cette chose, chaque jour est l’éducation de cette chose. Encore faudrait-il trouver une parole pour la dire. Dans un ordre imagier qui ignorerait sa combinaison.
À faire jouer dans son esprit ces raisonnements, les images se mettent dès lors en mouvement chez Andrew Dominik, lancent un invisible balancier par où le langage cinématographique tout entier commence à fonctionner de lui-même. Une première image vient, qui n’est pas toujours comprise. Une deuxième qui n’éclaircit rien. Mais l’ensemble achevé, l’enchaînement des images prend sens à sa façon. Le plan obtenu compose un secret miniature appelant à sa suite, dans la série ouverte, d’autres secrets identiques : un témoignage. Cette parole pour dire la disparition de leur vivant d’individus comme l’histoire de l’Amérique, Andrew Dominik l’a trouvé. Ce sera un témoignage. Voilà en quoi consistera sa tâche, d’inventer des présences, d’ajouter de la présence à tout ce qui manquerait à cette histoire de l’Amérique. Et dans cette recherche, le voir descendre jusqu’à l’ignorance de ce récit. Abordant cette histoire avec la lampe légère dans la main à l’instant de dissoudre les monstres de la vérité, cet impossible encore chargé d’épines. Comme s’il composait avec ses images une somme de petites charades insolubles faisant exister sur la toile quelque chose qui aurait précisément partie liée avec la vérité, la vérité étant toujours pleine de trous comme le sont tous les témoignages : témoigner est un mouvement vers l’absence. Dans son vide, sa parole s’en rapporte au silence des significations. Ainsi parle sa lettre. Il parle au vide bouche à bouche. Ce qu’il dit de dos est perdu. Ce que dit sa face n’est pas divulgué. En poussière tombe ses images, rencontrant l’aride. Tourment du témoignage qui ne peut ni parler ni se taire. Dire ? Vraiment dire l’histoire de l’Amérique ? Mais que peut dire la cendre exilée de son feu ? L’histoire d’un pays, à propos duquel il s’agirait par le témoignage de l’une de ses légendes d’en fixer le cadre et le contenu, est un problème sans nœud propre, un enchevêtrement dépourvu de centre.
Pourtant, même si le film ne restituera rien (aucun film ne remplacera un corps), chaque image semble acquérir sa dimension d’énigme par la somme en elle des sensations chiffrées (tel paysage, tel visage, tel instant). Les images mentent. Mais, ce faisant, elles arrachent le passé à son immobilité morte. Sans doute, le film ne fera pas revivre Jesse James ou Marilyn. Le film est une mise à mort. Ce qui est vivant, il le détruit, l’iconographie étant réversible. Mais, dans le même temps, semble exister également chez Andrew Dominik un chemin à l’envers par lequel la mort se niera elle-même. Et si finalement il ne peut pas s’abriter de la fiction honteuse de croire que filmer puisse adoucir quoi que ce soit de l’horreur passée ou à venir, lui reste à se laisser aller dans le narcotique des images. Passer dans le camp des images. « Faire des haltères avec sa tristesse », disait Jules Renard, celle de l’Amérique pour Andrew Dominik.
Filmer, pour Andrew Dominik, pourrait passer ainsi pour une sorte de suicide par où chacun serait réuni définitivement. Jesse James, Marilyn. Quelque part, les doubles d’images des protagonistes de ces histoires continueraient à exister ensemble. Ce quelque part aurait les apparences d’un autre tombeau où ils se coucheraient, comme Marilyn en fin de film, étendue dans son lit, bornée désormais par les étoiles. Il faudrait cette annulation dernière de tout ce qui aurait été pour que, du désastre qui s’est produit un jour dans leur existence, puisse naître quelque chose par quoi leur histoire leur reviendrait comme celle des États-Unis.
Le cinéma advient ainsi quand les yeux ne peuvent plus voir. Le cinéma est fait pour regarder en face ce que l’on ne peut pas regarder avec les yeux comme la mort et le soleil (Georges Bataille). Quand il est impossible de dire, tout commence. Il faut alors inventer une parole pour dire l’impossible. Filmer c’est voir ce qui manque. Mais filmer c’est aussi aller au-delà de ses forces. D’où le mensonge et les arrangements avec la mémoire des images. Andrew Dominik ne saurait filmer sans dépoitrailler leurs possibilités, leurs limites. Le plus évident est l’oubli, d’où le mythe, voire la mystification. Chaque jour il faut alors refaire le trajet qui conduit à ces limites pour Andrew Dominik. Ses films seront toujours hantés par ce(ux) qui ne s’y trouve(nt) pas, les fantômes de l’Amérique, qui se spectralisent dans son cinéma pour en faire une hantologie. Andrew Dominik substitue ainsi une quasi-logique du fantôme à une logique de la présence. Cette hantologie ne se donne pas cependant pour but d’élucider un mystère qui serait en quelque sorte extérieur au récit de l’Amérique, mais bien d’élucider ce qui en est de l’Amérique.
Cette mise au jour de la dimension spectrale de l’Amérique, cette imputation d’une visibilité à un invisible qui est là, cette invagination partout présente dans Blonde lors des scènes d’avortement, s’efforce de dire l’Amérique comme présent en son esquive. Andrew Dominik filme ce qui de soi n’apparaît pas. Mais ce qui n’apparaît pas en ce qui apparaît, l’invisible étant en le visible, l’inconnu en le connu, l’absence en la présence (Merleau-Ponty). L’invisible n’est pas un autre ordre que le visible chez le cinéaste : le spectateur a affaire, au contraire, à un monde qui n’est ni entièrement visible ni totalement invisible ; au lieu d’une ségrégation des deux règnes, il y a ambiguïté, c’est-à-dire passage de l’un à l’autre, mouvement, entrecroisement, empiétement, réversibilité aussi. La filmographie d’Andrew Dominik relève finalement d’une logique de la hantise, c’est-à-dire d’un désir d’échapper aux dénégations assourdissantes des récurrences fantômales de l’Amérique. Andrew Dominik est, au premier chef, préoccupée d’ « inapparence » – ou d’ « aparance » (Derrida) – en ce qu’il vise ce qui se trouve dissimulé ou refoulé en regard de ce qui apparaît. Parce que l’Amérique, finalement, « ça spectre » de partout, Andrew Dominik redonne son territoire à ce no man’s land sur lequel elle s’est construite. Le filmer, c’est alors rentrer dans une région de nostalgie inhabitable pour rendre à ses fantômes leur véritable visage. Filmer en moins. Faire voir avec la chose de l’absence, le hurlement de l’invisible.
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