Scherzo Diabolico de Adrián García Bogliano (États-Unis, Mexique, 2015)
Le cinéma mexicain nous a offert cette année de belles surprises. Bien évidemment avec le superbe Incident de Isaac Ezban (chroniqué dans un article précédent), mais aussi avec ce film étrange et à l’ambiance plus que dérangeante qu’est Scherzo Diabolico. Adrián García Bogliano nous y invite à suivre Aram, personnage assez médiocre aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle, qui décide, sans que l’on ne sache très bien pourquoi, d’enlever, de séquestrer et de torturer une jeune fille. Est-il simplement un dangereux psychopathe ou bien suit-il un plan douteux ? Un film au démarrage lent, à la mise en place scrupuleuse et appliquée (suivant en cela la préparation incroyablement précise d’Aram), qui prend son rythme de croisière entre le bureau d’Aram, son foyer et son lieu de torture, avec quelques scènes esthétiquement très intéressantes. Et puis, le film bascule dans autre chose, de manière assez sidérante, donnant à l’ensemble une cohérence et une justesse (hormis les quelques scènes grand guignol de la fin du film, dont Adrián García Bogliano aurait sincèrement mieux fait de se passer) étonnante. Au final, Scherzo Diabolico nous interroge sur les choix que nous sommes amenés à faire, des chemins que nous décidons de prendre lorsqu’une situation nous en propose plusieurs. Le choix d’Aram aurait pu fonctionner, même s’il relève de la psychopathie, mais le retournement du film aurait tendance à nous faire penser que non. Est-ce qu’ Adrián García Bogliano penche vers un discours quelque peu moralisateur, sur le bien et le mal ? Rien n’est moins sûr. Ce qui est certain par contre, c’est bien les nombreuses qualités que recèlent ce film, d’une photographie impeccable à une ambiance glaciale en passant par des acteurs époustouflants.
Norway of Life de Jens Lien (Norvège, Islande, 2006)
Présenté dans le cadre de la carte blanche de Benoît Délepine, Norway of Life explore le fonctionnement de la société norvégienne à travers le prisme d’un conte dépressif. Andréas, un type peu en forme, se suicide en se jetant sous une rame de métro. Malheureusement pour lui, il se réveille dans un bus qui le dépose au milieu de nulle part. Accueilli par un homme plutôt sympathique, il est amené dans une ville où l’attendent un travail et un appartement. Une nouvelle vie commence alors pour lui, une sorte de seconde chance. Mais cette nouvelle vie est pour le moins aseptisée, totalement déshumanisée, profondément désincarnée. Andréas ne tarde pas à chercher autre chose, un peu de chaleur humaine qu’il n’arrive pas à trouver auprès de sa nouvelle femme, de sa nouvelle maîtresse ou de ses nouveaux « amis ». La surface lisse des êtres qui cohabitent dans cette étrange société est renforcée ici par le choix fait par Jens Lien d’utiliser des images grises et pâles, de tant ralentir le rythme du film qu’on peut avoir l’impression qu’il s’est arrêté, de choisir une esthétique la plus neutre possible. L’absurdité de ce bonheur contraint amène Andréas à s’enfermer dans la quête d’une sortie, qui passe en partie par le creusement d’un tunnel vers un vague bruit de cris d’enfants, après la constatation terrible que, dans ce monde, la mort n’est pas une solution. On en conclut que si, dans les yeux de Jens Lien, ce film tient de la parabole de la société norvégienne, on n’est pas super pressé d’aller y faire un tour.
Chasuke’s Journey de Sabu (Japon, 2015)
Il y a deux ans de cela, Sabu (Hiroyuki Tanaka) avait fait sensation à l’Étrange Festival avec son Miss Zombie. Le revoici cette année avec les aventures du jeune Chasuke, serveur de thé au Paradis, qui va devoir descendre sur Terre afin de sauver Yuki, une jeune fille dont il s’est épris et qui devrait mourir dans un accident de voiture. Ceci constitue la trame de Chasuke’s Journey. Après, naturellement, Sabu enrichit cette histoire de rencontres improbables et des personnages touchants, d’images somptueuses servant une mise en scène impeccable et d’un de brin de folie qui hante tout le film. Mais, cela ne fonctionne guère. On voudrait bien se laisser prendre à cette poésie qui penche du côté d’un Sono Sion, de cette folie qui cherche à retrouver les grandes heures de Takashi Miike, mais on n’y arrive pas, le truc ne prend pas. Si bien que l’on reste, tout au long du film, un peu à l’extérieur de ce conte qui voudrait nous inciter à bien peser nos décisions et nos actions, à bien prendre en compte les conséquences qu’elles peuvent avoir envers autrui. Reste seulement de très belles images. C’est finalement assez frustrant.
La chambre interdite de Guy Maddin (Canada, 2015)
Guy Maddin est sans conteste l’une des stars de l’Étrange Festival. Il venait cette année avec son dernier film, La chambre interdite, et quelques petits trésors dans le cadre de sa carte blanche. À l’image de ses films précédents (La chambre interdite est le onzième), ou peut-être plus encore cette fois, Guy Maddin nous invite à lâcher prise et à nous laisser entraîner dans son univers un peu timbré et passablement incompréhensible. Il est bien difficile de dire de quoi il retourne. On trouve dans ce film un sous-marin dont l’équipage cherche à fuir un chargement encombrant, des bûcherons qui tentent de sauver une jeune femme, un volcan, une moustache, et deux ou trois autres trucs bizarres. Et tout cela avec une distribution assez impressionnante, laissant apparaître Charlotte Rampling, Jacques Nolot, Udo Kier ou encore Mathieu Almaric. Guy Maddin a présenté son film comme un hommage aux films perdus, ces films réalisés dont on a bien entendu parler mais qui sont aujourd’hui totalement perdus. Ou plus simplement, aux films qui n’ont jamais été réalisés, à l’image des quelques scénarios de Jean Vigo mis à la disposition de Guy Maddin par la fille du réalisateur, Luce Vigo, à qui le film est dédié. Et Guy Maddin, à partir de ce matériel, digresse, transforme la matière, déforme l’image, emboîte des récits les uns dans les autres et aboutit à un objet cinématographique envoûtant et onirique, dans lequel chacun d’entre nous trouvera ce qu’il a envie d’y trouver mais qui restera une expérience cinématographique unique.
Cette XXIe édition de l’Étrange Festival s’achève avec un bilan en demi-teinte. Certes, on a pu y découvrir de très chouettes films et qui étaient tout à fait légitimes dans ce festival. Mais, à côté de cela, on peut s’interroger sur la présence de certains films, qu’ils soient réussis ou pas, tant leur thème ou leur traitement semblaient assez éloignés de ce que l’on peut attendre d’un film étrange. À l’image du prix du public (Moonwalkers), on ne peut que constater une volonté des organisateurs d’aller chercher un public plus large, sans doute au détriment d’une certaine exigence qui faisait la grande qualité de leur festival jusqu’à présent.
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).