57 ans après sa réalisation, I maestro di Vigevano, risque de paraître non pas daté, mais quelque peu anachronique, assez loin des préoccupations contemporaines que peut rencontrer un instituteur, – pardon, un professeur des écoles- , même en milieu rural.
Pour apprécier pleinement le film de Elio Petri, il suffit de se replonger dans le contexte de l’Italie du début des années 60, alors en plein boom économique. Les valeurs morales et sociales ne font plus le poids face au consumérisme ambiant. La société de consommation explose dans un pays qui tente d’oublier une histoire récente encore marquée par le fascisme. Au sein de cette situation que vaut la petite vie d’un instituteur, Antonio d’une petite bourgade lombarde, Vigevano, spécialisée dans la fabrique de chaussure Il ne possède plus l’aura de jadis, son savoir n’intéresse plus personne. Son salaire médiocre désole sa femme qui rêve d’une existence plus opulente peuplée de belles robes et de bijoux, à l’image de celles qui ont su profiter de l’explosion industriel à Vigevano.
Antonio refuse de capituler et de quitter son emploi, pourtant – et c’est vrai – moins payer qu’un simple ouvrier d’usine. Mais un jour, sa femme trouve une place d’employé dans l’usine. Il le vit comme un affront et une honte. Son système de valeur s’effondre. Pour surmonter ce choc, il va devoir se remettre en question.
D’un strict point de vue historique, le film met en lumière à quel point le métier d’enseignant fut dévalorisé pendant les années 60. Ce n’est pas le seul intérêt de cette adaptation d’un roman populaire de Lucio Mastronardi qui possède un ton hybride, brocardant à la fois l’arrogance et l’intolérance d’un lettré issu de la veille école, soumis à une pensée figée et aussi la modernité économique comme salut d’un pays en plein développement dont la nouvelle religion serait l’argent.
Après L’assassin et Les jours comptés, Elio Petri change de registre, laisse de côté les drames existentiels pour s’aventurer du côté de la comédie satirique, de la farce, dans la lignée des films de Dino Risi et Mario Monicelli. La présence du génial Alberto Sordi, l’un des plus grands acteurs italiens, oriente naturellement le film du côté de la bouffonnerie, du burlesque excentrique mais paradoxalement Elio Petri s’avère mal à l’aise avec le genre pur, lui qui a toujours disséminé dans ses œuvres les plus sombres un humour noir jubilatoire. Il ne peut se défaire de ses obsessions, de son regard caustique sur le monde et particulièrement l’Italie. Le nihilisme rageur du cinéaste, son pessimisme politique ne s’accordent pas toujours avec les ambitions de légèreté. Il en résulte l’impression de voir deux films en un, l’un traversé de fulgurances tragiques et l’autre de longues plages pittoresques souvent drôles. Isolément, toutes les séquences sont réussie mais il manque une ossature, une dramaturgie solide à l’ensemble d’où naitrait une émotion, une empathie envers la galerie de bouffon qui défile à l’écran, notamment lorsque le film vire au mélodrame dans le dernier tiers. On sort un peu frustré de cette satire au vitriol dotée de dialogues brillants et bénéficiant d’une distribution parfaite jusque dans les moindres seconds rôles. On retiendra aussi une délirante séquence de rêve entre Adam et Eve, totalement absurde et décalée, qui rappelle fugacement l’appétence de Petri pour l’onirisme et le surréalisme.
Elio Petri affine pourtant son esthétique avec son noir et blanc somptueux, ses brusques mouvements de caméra balayant l’espace avec une aisance confondante, ses plans larges superbes alternant avec une série de cadrages inventifs. Dès son troisième long métrage, il continue ses expérimentations visuelles -à l’état embryonnaire toutefois -, ses inclinaisons passionnantes vers un maniérisme assumé anticipant l’arrivée de la jeune génération de la fin des années 60- début 70, en l’occurrence Bernardo Bertolucci, Dario Argento, Marco Bellocchio ou encore Giulio Questi. Et cerise sur le gâteau, la musique de Nino Rota, anticipant quelques thèmes présents dans le Parrain et 8 1/2 est magnifique, raison supplémentaire de voir cette fable politique tragi-comique, totalement en phase avec son époque.
(ITA-1963) de Elio Petri avec Alberto Sordi, Claire Bloom, Vito de Taranto
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