Après la découverte d’Orpheline (Critique), nous avons eu envie d’en savoir plus sur cette oeuvre dense. Entretien avec son réalisateur, Arnaud des Pallières.
Propos recueillis, le 28 Février 2017, au cinéma Comoedia, à Lyon.
Quelle est la genèse du film ?
Au départ c’est un peu comme si j’avais passé une commande à ma co-scénariste avec qui j’avais co-écrit le film précédent ( ndlr : Michael Kohlhaas ), Christelle Berthevas. Je lui ai demandé si elle était d’accord pour qu’on travaille ensemble sur un film qui raconte ce que je connaissais de son histoire. Elle avait déjà un projet d’écriture autobiographique sous forme de roman, j’ai en quelque sorte court-circuité ce projet là. Le récit, la matière scénaristique lui est venue de manière fragmentaire. Nous avons donc décidé très tôt dans l’écriture qu’il faudrait que le film respecte cette forme avec différentes parties, sans forcément chercher à raconter ce qui ce passe entre. Dans ces moments que nous avions choisi, il y avait principalement quatre âges de la vie de cette femme qui étaient représentés, j’ai alors eu l’intuition très forte de faire représenter ce personnage par quatre actrices.
Qu’est ce qui vous a attiré dans cette histoire ?
Deux endroits m’intéressaient en particulier. L’un en rapport au sexe, en tant qu’homme, qu’est ce que c’est que de raconter une histoire du point de vue d’une petite fille, d’une jeune adolescente, d’une femme… L’autre c’est un endroit de classe, en tant que bourgeois homme élevé dans une ville. Il s’agissait de raconter l’histoire d’une femme issue d’un milieu plus populaire et rural. J’étais attiré par tout ce qui constituait une découverte, qui m’apprenait quelque chose ou en quelque sorte me sortait de moi-même.
Quel est votre apport personnel à l’écriture ?
Mon apport essentiel a été d’être un premier regard pour Christelle, puisque c’était son autobiographie. Je l’aidais à choisir ce qui me semblait le plus partageable par un autre, un lecteur, un spectateur ou sinon lorsque deux scènes se ressemblaient réfléchir à laquelle était la plus forte. Je dirai qu’elle a plutôt fourni la matière et que j’ai plutôt travaillé sur la structure, après il y a évidemment des échanges, tout n’est pas aussi compartimenté. À la toute fin en revanche, j’interviens seul sur la question des dialogues. Nous n’avions pas écrit en pensant à des acteurs en particulier, cela arrive quelques fois mais là ce n’était pas le cas. Il y avait un premier dialogue un peu générique qui était proposé, et lorsque je savais quels allaient être les acteurs, je réécrivais complètement les personnages du point de vue des dialogues. J’ai besoin de me réapproprier de façon maladive les dialogues, c’est une part très importante du travail que j’effectue avec les acteurs.
Comment vous êtes vous approprié ce personnage ?
Mon premier geste a été de dire dans une note d’intention que je voulais que ce soit un film qui épouse le point de vue du personnage principal et qui le tienne de façon extrêmement rigoureuse.
Cela implique de vraies contraintes de mise en scène, d’un point de vue de la logistique – notamment dans le placement des caméras – c’était par moments extrêmement contraignant pour les acteurs. Je voulais que l’on soit toujours dans le regard du personnage principal, qu’on n’en voit ni n’en sache jamais plus que ce personnage. Au fur et à mesure du travail, je crois que je me suis pris pour l’héroïne, j’ai traversé le tournage dans la peau de ce personnage. Je pense que par moments les actrices ont senti que je me nourrissais d’elles et que j’essayais en même temps de les nourrir de moi, on était dans un système d’empathie très fort. En ce sens ce n’est pas vraiment une appropriation c’est même le contraire, j’ai été comme possédé par le personnage. Je me suis laissé envahir par un personnage que j’admire et que j’aime, que j’avais envie de représenter le plus justement possible sans le dominer. Il était essentiel pour moi de ne pas le dominer à la fois en tant qu’homme et à la fois en tant que metteur en scène.
Comment cette forme de possession s’est manifesté au montage ?
C’est un jeu, on se perd puis on se retrouve. Subjectivement il s’était passé quelque chose de très fort durant le tournage. Il fallait ensuite « objectiver » ce que nous avions tourné pour que cela puisse être ressenti par d’autres. Le montage a été une mise à distance, un éloignement nécessaire. Le recul vient facilement, les actrices ne sont plus là, il ne reste plus que les images. Sur ce film j’ai ouvert mon travail de montage (ndlr : Arnaud des Pallières travaille au montage de tous ses films), c’est une étape qui est devenue collaborative, à la fin nous étions trois monteurs à échanger les points de vue. Je crois que c’est d’ailleurs à ce moment là que nous avons trouvé une forme de vitesse qui évite au film d’être glauque ou trop douloureux pour le spectateur. Je dois avouer que je me suis surpris à réaliser un film plus chargé d’énergie, plus électrique que ce que je fais habituellement.
Quelle a été votre réflexion au moment de choisir les actrices qui incarnent le rôle principal ?
J’avais deux solutions : soit je décidais que le plus important était qu’elles se ressemblent, auquel cas la ressemblance devenait un critère plus important que de choisir des actrices que j’aime ; soit je décidais que le plus important était de choisir des actrices que j’aime et à ce moment là autant choisir les actrices que j’aime le plus. Le coeur du projet était de raconter une vie en partant du principe qu’une vie est faite de plusieurs vies, dans ces conditions la question de la ressemblance n’était ni un problème ni le projet. J’ai donc essayé de choisir l’actrice qui me semblait correspondre le mieux à l’âge du personnage, qui à chaque fois est la même et une autre. Je trouvais ça beaucoup plus intéressant d’aller chercher des actrices qui ne se ressemblaient pas. C’était aussi une façon de me confronter à une vraie question assez incroyable : Qu’est-ce qui fait un être ? Qu’est-ce que l’identité ? Aussi bien d’un point de vue psychologique que de celui de la ressemblance justement…
Aviez-vous une consigne identique pour diriger ces quatre actrices ?
Il y a une grande consigne qui traverse tout mon travail sur le film dont j’ai déjà brièvement parlé : c’est le principe du point de vue. Ça a été une vraie contrainte pour les actrices car elles jouaient quasiment avec une caméra, un objectif, en face d’elles et non un acteur. Quelques fois l’acteur était même obligé, pour ne pas détourner leur regard dans une mauvaise direction de leur tourner le dos. Ces quelques règles de mise en scène que j’ai essayé de construire ont contribuées à donner une unité à leur jeu. Parfois certaines actrices m’ont demandé si elles pouvaient voir le travail des autres, si je souhaitais qu’elles s’inspirent les unes des autres ou si je voulais que leur jeu porte quelque chose de commun qu’on retrouverait dans les différentes parties : je leur ai dit que non, elles devaient être dans une ignorance absolue du reste. Je voyais en chacune d’elle quelque chose du personnage et c’est ce que j’ai été chercher.
Ce scénario fragmenté était-il aussi pour vous l’opportunité de vous essayer à plusieurs genres cinématographiques différents en un même film ?
Ce n’est pas comme ça que ça se passe. J’ai envie de raconter une histoire et la question que je me pose c’est comment faire pour la raconter le mieux possible ? L’écriture cinématographique vient directement de l’histoire, je ne cherche pas à jouer avec les genres. Sauf qu’effectivement on a eu conscience que pour raconter cette histoire on allait tendre vers le polar ou le road movie par exemple. Disons que c’est une conséquence plutôt qu’un désir, j’ai choisi de ne rien changer à ma manière de faire, de ne rien appuyer, de rester moi-même. De la même façon, la décision de partager le personnage en quatre actrices est une conséquence de ce qu’il me semble devoir faire et non un pari formel que je me serai lancé. Je ne suis pas un cinéaste formaliste.
Un mot pour conclure sur le titre du film ?
Il n’est pas venu de moi mais de Christelle Berthevas. J’aime les titres qui tiennent en un mot, je trouvais ce mot fort et je trouvais belle l’idée qu’il reprenne quelque chose que l’héroïne dit d’elle-même à un moment du film. Elle dit qu’elle est orpheline, c’est peut-être une fiction, mais c’est sa fiction. J’aimais aussi que ce soit un mot au singulier, il me semblait qu’il fallait affirmer qu’il s’agissait d’une seule personne. Le rapport que je peux avoir à un titre n’est pas très rationnel, celui-ci je n’y aurai sûrement pas pensé mais pourtant je le trouve très bien. J’ajouterai aussi que j’aime l’idée qu’il puisse parler différemment à chaque spectateur en fonction du film qu’il aura vu.
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