« Vivre dans un monde qui n’existe pas », cette phrase énoncée vers la fin du film ne laisse-t-elle pas supposer que l’histoire d’amour que nous venons de vivre n’était qu’un beau rêve ?
Non, je pense que l’histoire d’amour a vraiment existé mais elle ne peut plus continuer. C’est le fantôme (le mari de Sidonie) qui lui apprend cela. Ils ne peuvent pas continuer à vivre leur amour alors que Sidonie est vivante et que son mari, lui, est mort. Ce monde dans lequel, ils se sont retrouvés durant ce voyage au Japon n’existe pas. C’est un fantasme. Après, en tant que spectateur on peut toujours avoir sa propre interprétation, vivre différemment l’histoire.
Le hall d’aéroport à Paris, les hôtels et rues du Japon, ces lieux qui sont habituellement noirs de monde sont le plus souvent ici quasiment vides autour de Sidonie et Kenzo Peut-on y voir une métaphore de leur solitude ? Ou, plutôt, leur capacité à se couper de leur environnement ?
C’est davantage une métaphore de leur solitude. Le fait qu’ils ne soient vraiment que tous les deux, c’est une forme de rêve éveillé. La notion de vide fait partie du rêve. Ce Japon vide prend également le contrepied de la vision stéréotypée de ce pays, celle véhiculée par les images qui nous parviennent régulièrement, celle d’un Japon plein.
Au niveau de la mise en scène vous avez du connaître des difficultés pour avoir ce vide autour des personnages ?
Non, car nous avons tourné au moment où le pays était fermé aux touristes. J’ai été aidé par la situation pandémique Ce vide m’a ravie, car c’est une atmosphère que je travaille tout particulièrement dans mes films.
Parmi les nombreuses qualités du film, il y a sa douceur. Douceur qui repose sur une apparente simplicité, un naturel (peu d’artifices de mise en scène, peu d’évènements spectaculaires). Faire vivre intensément des émotions en toute simplicité, n’est-ce pas là un véritable défi ?
Bien sûr, en fait, faire un cinéma de l’épure se révèle extrêmement compliqué. Car, naturellement nous ne dirigeons pas vers l’épure. C’est plus simple de filmer les choses telles qu’elles apparaissent. L’épure demande beaucoup de travail. Il faut enlever énormément d’éléments ; tout cela est de la mise en scène. Vous choisissez les cadres, certains éléments du cadre. Vous enlevez des éléments qui vous ennuient. Cela concerne également les dialogues. L’écriture des dialogues prend énormément de temps. Chez moi, rien n’est improvisé. Tout ce qui est dit et montré – les réactions des personnages – a été minutieusement pensé et écrit, muri pendant des années. Pour comprendre comment les choses vont s’organiser je me mets à la place des personnages, comme si je jouais leurs rôles.
Le décalage entre les mondes (Japon et France) permet d’introduire des situations burlesques. Cela montre que malgré leur long vécu les deux personnages ont gardé une part d’enfance.
Je pense qu’on a tous en nous une part d’enfance. On a encore le genre de surprises que l’on peut vivre enfant. Etre adulte ne signifie pas que l’on a perdu toute notre innocence, notre spontanéité.
On connaît tous l’immense talent d’Isabelle Huppert. Je ne sais pas si on peut parler de direction d’acteur quand on à la chance de pouvoir travailler avec elle. Ce qui est très fort, c’est qu’on a l’impression qu’Isabelle s’est totalement immergée dans votre univers (fait de rêverie et de douceur). Elle a ressenti votre sensibilité et la retranscrite dans son jeu ?
Il y a cependant de la direction d’acteur. La mise en scène est de la direction d’acteur. On indique une direction, un tempo. Isabelle est une immense actrice, elle possède une sensibilité extraordinaire, une profondeur qui lui permet d’éprouver les sentiments les plus complexes et profonds. Elle sait les montrer. C’était extraordinaire pour moi de la filmer car mon cinéma est extrêmement sensible. J’ai écrit ce rôle pour elle et dès sa première lecture du scénario, elle a compris tout ce que le film contenait. Son jeu est d’une subtilité et d’une profondeur rares. Je pense que notre entente se voit à l’écran.
Tout en accompagnant la sortie de Sidonie au Japon, est-ce que vous préparez un nouveau film ?
Oui, je suis actuellement en phase d’écriture. Un nouveau sujet qui s’inscrira dans la continuité de mon cinéma.
Interview réalisé par téléphone le jeudi 26 octobre 2023, suite au Festival international de La Roche-sur-Yon.Un grand merci à Élise Girard pour sa gentillesse. Ainsi qu’à Charlotte Serrand, Artistic director du Festival et à Julie Tardit d’ Art House Films qui ont organisé cette rencontre.
Lire également notre article sur le film.
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