A l’occasion de la sortie de son très beau film La Maison à la tourelle, sa réalisatrice nous a accordé un long entretien. Passionnante et pudique, la cinéaste nous parle de sa rencontre avec Friedrich Gorenstein, de la gestation du projet, de sa conception du cinéma et de son traitement des émotions, entre autres…
Voici peut-être l’un des interviews les plus émouvants de Culturopoing.
A mes yeux, la réalité et le réalisme sont deux choses différentes
E.N : Nous habitions à Berlin tous les deux et avions des amis communs. C’est d’ailleurs assez étonnant que personne ne nous ait présenté.
E.N : Le russe est ma langue maternelle. Je suis née en Ukraine à l’époque où c’était encore l’URSS et la moitié de l’Ukraine (l’Est) parlait Russe. J’aime par ailleurs beaucoup la langue ukrainienne.
O.R. : Comment s’est opéré le financement du film ?
E.N : J’ai trouvé des financements auprès d’une chaîne de télévision ukrainienne, 1+1, dont le directeur avait produit mon premier long-métrage. Nous avons eu envie de travailler ensemble sur un second projet.
O.R. : Comment avez-vous abordé la reconstitution d’une époque de guerre ?
O.R. : Comment s’est imposé le choix des acteurs ? C’est très très émouvant de voir Katia Golubeva dans son dernier rôle, et dans un tel rôle, comment l’avez-vous choisi ? E.N : Mon chef-opérateur Rimvydas Leipus m’a parlé de Katerina. Il avait travaillé avec elle sur un film de Sharunas Bartas et nous a mis en contact. Je suis très heureuse d’avoir travaillé avec une telle comédienne, et cela me chagrine de constater aujourd’hui que cette rencontre n’aura été que de courte durée.
O.R. : Le petit acteur porte le film, comment l’avez-vous choisi ? Comment avez-vous travaillé avec lui ?
E.N : On m’a présenté beaucoup d’enfants, mais je n’arrivais pas à trouver quelqu’un qui me plaise, alors je suis allé moi-même dans quelques internats. Et là, je suis tombé sur Dimitry. C’était lui. Et il a accepté d’endosser le rôle.
Ce qui est intéressant c’est de restituer l’essence même du souvenir.
E.N : Le récit original est un chef d’oeuvre. Dès que je l’ai lu, je l’ai compris. Et plus j’ai travaillé sur ce récit, et plus ma connaissance s’en est approfondie. Lorsque j’ai commencé à travailler dessus, j’ai taché de déchiffrer chaque mot pour en déceler les éléments tacites. Pour moi, l’important n’était pas seulement de relater cette histoire émouvante, très touchante, mais également de rendre sa valeur artistique, son message profond. J’avais alors conscience de la responsabilité de faire de ce chef d’oeuvre, une autre œuvre mais conservant cette même beauté.
E.N : Cette remarque me semble très juste et cela me fait plaisir venant du regard d’un spectateur. C’était très important pour moi de rendre cette impression de temporalité suspendue comme dans l’oeil d’un enfant pris dans un cauchemar.
E.N : En ce qui concerne cette différence que vous évoquez, quand j’ai lu le texte, la présence de l’auteur dans son texte était totale, et le passage au cinéma n’a fait qu’ajouter mon propre regard, agrémenté bien entendu de celui de toute personne ayant travaillé sur ce film.
E.N : Lié au rêve.
E.N : C’est effectivement les « dispositifs » que je me suis fixé lorsque j’ai commencé à travailler sur cette œuvre. Mais tout ce que j’ai voulu dire se trouve dans le film et il m’est difficile aujourd’hui d’en parler hors de ce contexte.
E.N : En effet, j’ai toujours eu pour principe de dire que lorsque l’on tourne un film, on ne restitue pas une conversation telle qu’elle s’est passée, mais on la filme après un certain temps de recul, et c’est à ce moment là qu’en apparaît l’essence. C’est ce qui est intéressant dans un film ; restituer l’essence même du souvenir.
E.N : C’est très juste. Mon but n’était pas d’imiter des vieilles photographies mais de créer un souvenir.
E.N : C’est tout à fait juste également.
E.N : Tout ce qui se trouve dans ce film restitue bien mes singularités, c’est comme un miroir, véritablement. Ce n’était sans doute pas un choix conscient, mais évidemment très influencé par ma manière d’être et d’aborder la vie.
Tout ce qui se trouve dans ce film restitue bien mes singularités, c’est comme un miroir.
E.N : Je craignais le pathos. Mais il faut savoir trouver la juste mesure pour rester dans l’ouverture des émotions tout en restant dans une certaine décence. C’est une des grandes questions du monde.
E.N : Le chef-opérateur et moi avons travaillé consciencieusement sur cette question afin de trouver la meilleure approche visuelle. Nous avons étudié beaucoup d’oeuvres picturales et avons taché de dépasser toute idée reçue ou stéréotype en termes de lumière. Mais j’avais surtout un chef-opérateur très talentueux.
E.N : Je dois dire que Dreyer est un de mes cinéastes de chevet, tout comme le cinéma du japonais Masaki Kobayashi. Bien sûr, cela fait partie de mon bagage intellectuel mais à aucun moment je n’ai essayé d’imiter ces auteurs.
O.R. : La manière d’intégrer ses personnages dans un cadre parfois « géométrique » évoque effectivement fortement le cinéma de Kobayashi.
Par ailleurs, et en résonance au rapport de Gorenstein à Tarkovski, vous sentez-vous héritière de son cinéma ?
E.N : Non, pas du tout. Je ne pense pas. Effectivement c’est un des grands auteurs de l’histoire du cinéma, il fait partie de ces cinéastes indétrônables. Lorsque je regarde un de ces films, il semble impossible de détacher une seule seconde les yeux de l’écran. Mais par ailleurs, je pense que nos caractères diffèrent.
E.N : Les films documentaires m’ont appris beaucoup et notamment à voir le lyrisme et la poésie dans la vie, à apprécier ce que j’appelle « un moment de vie ». Et je pense que ces films documentaires n’ont rien à voir avec le réalisme tel qu’on l’entend. J’ai compris ainsi qu’en tant que cinéaste, tout ce que je représenterai ne porterait pas nécessairement la richesse qu’il peut revêtir dans la vie.
Ce n’est que dans le noir que l’on apprécie la lumière.
E.N : Il s’agit effectivement d’une volonté de raconter l’histoire du monde intérieur d’un enfant et de le représenter dans un monde d’adultes. Et cela passe par la manière de cadrer cela, la différence de taille entre l’enfant et ceux qui l’entourent.
E.N : J’espère que la tendresse n’est pas que chez l’enfant, mais également chez la mère. Effectivement, si j’ai choisi cette nouvelle en particulier, il s’agissait également de témoigner de toute la tendresse se trouvant en moi, qui suis moi-même mère. C’est justement dans ces moments, les plus durs d’une vie, que nous avons accès à notre propre tendresse. Ce n’est que dans le noir que l’on apprécie la lumière.
E.N : Bien sûr, dans l’oeil de chacun on trouve un monde différent.
Vous identifiez-vous à ce regard d’enfant, vous retrouvez-vous parfois en lui dans votre propre enfance ?
E.N : Comme tout le monde, j’ai été enfant, et j’en garde un souvenir prégnant. Je ne me suis pour autant jamais retrouvée dans cette situation mais l’art de Gorenstein réside dans la faculté de faire ressentir une énorme empathie pour cet enfant dont il est question et me positionner comme si cette histoire était la mienne, ou celle de mes propres enfants.
E.N : Bien entendu. La plupart des dialogues du film est d’ailleurs fidèlement restituée.
E.N : On observe effectivement une opposition entre les différentes personnes, mais sans rapport évident avec la question de l’âge. Vous comprenez, ces adultes ne sont pas des monstres, mais seulement des gens « normaux », dans toute leur complexité, dépendant d’une situation difficile. Je pense que beaucoup d’adultes se sont d’ailleurs retrouvé dans la situation de cet enfant pour faire preuve à leur tour de tant d’indifférence.
E.N : Vous savez, j’habite à Berlin, donc en Europe et je constate qu’entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest les rapports restent étranges et que les mémoires historiques diffèrent. Et c’est pour moi un questionnement toujours désagréable. Des différences subsistent, je les constate depuis la vingtaine d’années que je vis à Berlin, et ce, sans jamais totalement les comprendre.
E.N : Son histoire est déjà racontée dans le film… Et pour le coup, ce personnage est constitué de toutes pièces par mes soins et n’était pas présente dans la nouvelle originale. J’ai d’ailleurs eu beaucoup de chance de trouver cette petite.
E.N : Oui ! Je m’apprête à tourner un film à partir d’une œuvre d’un grand auteur juif relatant les vies de personnages juifs dans différentes provinces juives en Russie.
Nous tenons à remercier Eva Neymann pour sa disponibilité, ainsi que Marie Demart et Pierre Emo pour avoir rendu possible cet entretien (et pour la retranscription ! ).
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