Rencontre avec Fathia Youssouf, jeune et formidable actrice de Mignonnes, premier long-métrage de Maimouna Doucouré sorti cet été pour lequel cette collégienne de quatorze ans, qui a postulé au casting presque par hasard, a remporté de façon à la fois surprenante et évidente le César du Meilleur Espoir lors de la dernière cérémonie du cinéma français, devenant ainsi la seconde plus jeune récipendiaire d’une statuette de l’Histoire des récompenses (la plus jeune étant Charlotte Gainsbourg en 1986). Retour sur cette aventure de deux ans, de son casting à son élection par le cinéma français, du haut de sa fraîcheur.
On sait que tu as répondu au casting de Mignonnes par les réseaux sociaux ; pour quelle raison y as-tu répondu ?
Je n’avais jamais fait de cinéma, je n’avais donc pas grand-chose à perdre, je me disais que même si je n’étais pas prise, cela pouvait être une bonne expérience..
Combien de jeunes filles ont répondu au casting ?
Je crois qu’il y avait entre trois cents et quatre cents personnes.
Tes parents ont-ils facilement accepté l’idée ?
Oui, ils ont directement accepté et m’ont supportée dans ce choix. Ma mère m’a d’ailleurs poussée à le faire parce qu’au départ, j’étais moi-même un peu incertaine à cause de la concurrence. Je me disais que comme je n’avais jamais fait de théâtre, de films, il y avait certainement d’autres filles qui avaient déjà fait cela de nombreuses fois auparavant, qui étaient en agence et qui avaient plus d’expérience que moi.
Quand as-tu découvert le scénario de Mignonnes ?
Je l’ai découvert juste après avoir été acceptée, peut-être même un peu avant… J’ai dû découvrir le scénario juste après le dernier casting, en fait. Après, on m’avait déjà beaucoup expliqué le sujet du film, je savais déjà de quoi il parlait.
Quelle a été ta réaction lorsque tu l’as découvert ?
Comme on m’avait déjà plus ou moins dit de quoi le film parlait et que l’argument du film avait déjà été repris par les réseaux, comme on en avait aussi beaucoup parlé avec les autres filles qui passaient le casting, on va dire que je n’ai pas été surprise. Toutes les scènes qu’il y avait dans le scénario, je les connaissais déjà.
Tu n’as donc pas eu d’appréhensions lorsque tu l’as lu ?…
Si, j’ai eu quelques appréhensions car c’est un personnage qui est très différent de moi dans la vraie vie. J’étais petite, j’étais alors en sixième, j’avais douze ans… Je me demandais comment les gens du collège allaient le prendre… J’avais en fait surtout peur du regard des gens.
Comment t’es-tu préparée pour le rôle, étant donné qu’il est, comme tu le dis toi-même, très différent de toi ?
Nous avons fait beaucoup d’essais avec Maimouna Doucouré Nous avons beaucoup parlé, longuement répété les scènes avant le tournage, ce qui m’a beaucoup aidée étant donné mon manque d’expérience. Me retrouver devant une grande caméra, devant toute une équipe de tournage… je sais que cela aurait pu être très compliqué si je n’avais pas répété au préalable.
Combien de temps ont duré ces répétitions ?
Les répétitions se sont espacées sur trois ou quatre mois, mais n’étaient pas quotidiennes. Elles consistaient en des lectures du scénario, du texte, mais le plus important était que nous discutions des scènes elles-mêmes, de la façon que j’avais de les aborder.
Que ressens-tu le premier jour de tournage ?
J’étais impressionnée. Je n’avais jamais vu tout cela en vrai, je ne connaissais les films qu’à la télé, sans avoir conscience de toutes les équipes qu’il peut y avoir derrière. Et quand j’ai vu tous les camions… En plus, le premier jour, c’était une scène en extérieurs, j’étais devant plein de gens. Du coup, j’avais un peu peur, je me suis mis la pression, je me disais « Si je le fais mal, si on recommence vingt mille fois, ce sera à cause de moi ! » C’était vraiment impressionnant.
As-tu retrouvé sur le tournage les sensations de jeu que tu avais expérimentées lors des préparations ?
Oui, lorsque nous avions fait les préparations, c’était comme si nous étions déjà sur le tournage, j’étais déjà au courant de tout ce qui allait se passer. C’était strictement la même chose, à part que la caméra était plus grosse et qu’il y avait plus de personnes derrière.
Y a-t-il eu appel à des chorégraphes pour les scènes dansées de Mignonnes ?
Oui, il y avait trois chorégraphes sur le tournage, mais il y en avait deux principaux : un qui a créé les mouvements et une autre qui nous a aidées à pratiquer. J’avais déjà fait un peu de danse, mais pas dans le style de ce qui nous était demandé. Et les autres filles non plus. Nous avions vraiment besoin de préparation.
Tu es une jeune fille très discrète, et ce que te demande le rôle est à l’opposé de cette discrétion, t’a obligée à te livrer. Comment as-tu réussi à obtenir ce que le rôle te demandait ? Est-ce dû à la direction d’actrice de la part de Maimouna Doucouré ? Est-ce instinctif ?
C’est un peu les deux. Maimouna Doucouré m’a beaucoup aidée, le rôle était en effet un vrai rôle de composition, très opposé de moi. C’était parfois très compliqué de me retrouver dans le rôle, même de comprendre que c’était un rôle et non pas moi dans ma vraie vie. On ne se rend pas toujours compte à quel point l’acteur et son rôle peuvent être différents, et cette coupure n’a pas été simple à définir pour moi. Maimouna nous a donc dirigées, entourées. Comme je n’avais aucune expérience auparavant, cela m’était difficile d’être juste, de retenir les lignes de dialogue, de jouer tout en étant naturelle… Ce n’est pas simple d’être naturelle face à une caméra et à toute une équipe, et dans un temps restreint pour jouer les scènes… L’aide de Maimouna a donc été importante. Après, le plus gros travail que j’ai eu à faire a été le travail sur moi-même. Le rôle, nous l’avons dit, était très différent de moi, j’étais encore petite, et ce travail sur moi, j’ai appris à le faire au fur et à mesure du tournage.
Et quelles étaient, donc, les méthodes de direction d’actrice de Maimouna Doucouré ?
Pour qu’on soit le plus naturel possible, nous avions certes le texte du scénario que nous avions appris, mais si nous nous en éloignions, que ce soit un peu ou de façon plus importante, ce n’était pas vraiment grave tant que nous restions dans la scène et dans les intentions de jeu. L’important était d’avoir compris l’idée, les grandes lignes de la séquence. C’était à nous de savoir combler les vides, ce qui n’est pas écrit, ces moments où l’on ne sait pas vraiment quoi faire. Elle nous parlait durant les scènes, elle nous donnait des instructions avec énergie.
Les scènes qui te semblaient difficiles sur le papier, que tu pouvais appréhender en amont (les scènes chorégraphiées par exemple) t’ont-elles semblé difficiles à jouer une fois sur le tournage ?
Non, j’ai trouvé que c’était finalement plus facile sur le tournage, grâce au fait que nous nous étions longuement préparées. En plus, je n’étais pas seule, il y avait les autres filles, nous étions plusieurs dans le même cas et nous étions vraiment devenues amies. Cela nous a permis de partager tout ce que l’on pensait, toutes nos inquiétudes. Le premier jour où nous avons répété les chorégraphies, je n’étais pas à l’aise, mais la préparation m’a permis de voir que c’était quelque chose que je savais finalement faire. Je n’étais plus gênée face à ces danses car j’en avais compris l’intérêt pour le film.
Faisons jouer notre imagination : si tu n’étais pas dans le film, si tu n’avais pas envisagé de jouer dans Mignonnes, est-ce le genre de film que tu serais allée voir ?
J’y serais allée car c’est un film qui parle de ma génération… Il n’y a pas vraiment de films aujourd’hui qui parlent autant de la jeunesse. Mignonnes est un film vraiment axé sur une fille de mon âge et qui est issue de la même société que moi, et il y en a finalement peu.
Est-ce le type de films que tu pouvais aller voir auparavant ? Cinéma français d’auteur…
Pour être honnête, ce n’est pas le type de films que je vais voir par moi-même, je vais plus au cinéma pour voir des films américains, entre amis… Je ne vais pas souvent voir des films français.
Du coup, le fait d’avoir tourné dans un film comme Mignonnes a-t-il changé ta curiosité, tes envies de spectatrice ?
Je me suis dit, après avoir fait Mignonnes, qu’il y avait en fait beaucoup d’autres films français à voir. Le fait de tourner dans ce film m’a ouverte un peu plus au monde du cinéma, cela m’a donné envie d’approfondir ma culture cinéphile. J’ai donc par la suite regardé beaucoup de films, non pas en salles vu la situation, mais chez moi avec mes parents, avec ma mère entre autres qui regarde beaucoup de cinéma français. J’ai commencé à m’y intéresser, oui.
Quand le film est sorti, la critique a été plutôt favorable à Mignonnes, et a souligné que tu étais une découverte importante. Comment as-tu vécu cela, et le flot d’entretiens qui a suivi ?
C’était un peu compliqué à gérer parallèlement à l’école, je devais partir souvent. Sur les entretiens eux-mêmes, je n’étais pas trop stressée, j’arrive à m’exprimer assez facilement et les questions que l’on me posait étaient souvent un peu les mêmes, j’ai donc réussi cela sans trop de difficultés. Le plus compliqué à gérer, vraiment, c’était avec l’école ; partir tout le temps était tout de même un peu embêtant, mais je me disais que c’était sur une période limitée.
Mignonnes a traversé une violente polémique mondiale due à la bande-annonce très maladroite de Netflix pour l’exploitation du film ; comment as-tu vécu cet épisode ?
Dans un premier temps, je n’en ai rien su. Les histoires ont commencé lors des grandes vacances, je n’étais pas vraiment sur mon téléphone à cette période-là. J’en ai finalement pris connaissance grâce à mes amis par Twitter. Après, sans dire que je m’y étais préparée, je savais que le film abordait un sujet sensible, qu’il allait certainement y avoir des critiques négatives. Cependant, la polémique a plus touché les Etats-Unis que la France. Des gens n’ont pas compris le film…
Je soupçonne pour ma part que ces gens ne l’ont même pas vu…
Oui, c’est vrai, certains n’ont pas vu le film et se sont basés sur l’image que Netflix avait utilisée pour promouvoir le film. Ils ont utilisé les réseaux sociaux pour faire déferler leur haine, c’est souvent comme cela que ça fonctionne. Mais pour ma part, j’ai pris beaucoup de recul par rapport à cela. J’avais grandi depuis le tournage du film. Je ne suis pas vraiment une personne sensible à ce genre de choses, et les critiques qu’il y avait ne m’étaient pas vraiment adressées, elles attaquaient le film de façon plus générale, les personnes qui l’ont dirigé… Donc, je dois dire que ces attaques, je ne les ai même pas lues, j’ai dû en voir passer deux ou trois. Cela ne me servait à rien de me démoraliser gratuitement.
Mais cette situation a-t-elle eu une répercussion sur ton quotidien ?
J’avais en effet un peu peur que les gens me posent beaucoup de questions là-dessus. Mais j’ai été agréablement surprise car cela n’est pas vraiment arrivé, hormis mes parents, Maimouna Doucouré ou les filles avec lesquelles j’avais tourné le film, pour savoir comment je vivais tout cela.
Avais-tu une appréhension pour revenir au collège ?
Oui, c’était une peur que j’avais, en effet. Mais moins par rapport à la polémique que par rapport au film lui-même. Tout le monde au collège savait que j’avais fait un film, j’en avais parlé à beaucoup de gens, et tout le monde connaissait plus ou moins son sujet à cause des réseaux sociaux. J’appréhendais car je me demandais si tous seraient assez matures pour comprendre le sujet, si certains ne diraient pas « Le personnage qui est dans le film, c’est toi ! T’as fait ci, t’as fait ça ! ». J’avais cette peur-là, oui.
Pour en finir à propos de la polémique, la comprends-tu ?
Je ne comprends pas que des personnes fassent déferler leur haine sur un film, sans même l’avoir vraiment vu. Après, l’intention qu’ils avaient était soi-disant de me protéger, de protéger les filles qui sont dans Mignonnes. Je peux comprendre qu’on veuille protéger les enfants. Mais ce n’est pas fait d’une bonne façon, en donnant des avis très loin d’être constructifs sur les réseaux sociaux, en envoyant des messages aux acteurs ou à la réalisatrice… C’est vraiment inacceptable, je ne peux pas vraiment comprendre ces personnes.
Tu n’étais pas pré-sélectionnée pour les Césars. S’ensuivit une petite tempête dans un verre d’eau qui, finalement, aboutit sur ta nomination. Qu’as-tu ressenti lorsque tu as su que tu faisais partie des cinq nommées dans la catégorie du Meilleur Espoir Féminin ?
Je ne savais pas que j’étais éligible ! Je ne l’ai su que très tardivement. J’ai ensuite su que je n’étais pas sur la liste, j’ai donc chassé cela de ma tête, ce n’est pas une chose sur laquelle je comptais. Par contre, quand j’ai su que j’étais nommée, franchement, j’étais… j’étais choquée, quoi ! « Waouh ! Moi ? » Je n’ai jamais fait de cinéma, j’ai vu les personnes avec lesquelles j’étais en concurrence, qui avait bien plus d’expérience, qui avaient fait du théâtre… Moi, je suis là, je ne sais pas quoi faire au milieu de ces gens qui sont des grands noms du cinéma… C’était… impressionnant.
Si je comprends, tu ne te sentais pas vraiment à ta place ?
Par rapport à mon âge, déjà. Elles étaient toutes adultes, j’étais même la seule enfant dans la salle le soir des Césars. Je me disais « ça va être un peu compliqué, je n’ai fait qu’un seul film, elles ont fait beaucoup de films… » Après, « pas à ma place » je ne dirais pas que c’est le bon mot. J’appréhendais juste le ressenti qu’on pouvait avoir par rapport à moi, en me disant qu’il pouvait être un peu biaisé étant donné que je n’étais pas sur la liste au départ, que les autres nommées étaient plus connues que moi. Je me suis dit qu’elles seraient plus facilement choisies grâce à cela, ou parce qu’elles étaient tout simplement plus douées et plus expérimentées que moi. Sans être défaitiste, je me disais que si je perdais, cela n’aurait vraiment pas été grave car j’étais déjà arrivée loin.
Dans quel état es-tu juste avant la cérémonie ?
Je réfléchissais un peu à ce que j’aurais pu dire et faire si j’étais élue, en n’ayant pas envie de me tromper sur ce je pourrais déclarer. C’était impressionnant, je commençais à réaliser de plus en plus… Après, je n’étais pas vraiment stressée, je venais quand même en me disant que j’allais assister à une belle cérémonie, qui resterait dans ma tête toute ma vie. Cela n’arrive pas à beaucoup de gens.
Que se passe-t-il en toi lorsque tu entends ton nom ?
Je ne m’y attendais pas. Déjà parce que les caméras de la salle semblaient braquées sur une autre nommée qui était juste devant moi, je me suis donc dit « c’est forcément elle qui va gagner, ce n’est pas grave… ». Quand j’ai entendu mon nom, j’étais… j’étais choquée ! Je ne me rappelle pas vraiment de ce qui s’est passé par la suite. Je m’en souviens maintenant grâce aux images, mais l’instant de ma réaction, le moment où je suis montée sur scène, c’est flou dans ma tête car tout s’est finalement passé très vite…
Tu disais avant les Césars que tu ne voulais pas nécessairement renouveler cette expérience d’actrice. Maintenant que tu es césarisée, as-tu changé d’avis ?
Je ne sais pas. En ce moment, j’ai beaucoup de propositions suite aux Césars, donc j’y réfléchis. Le cinéma n’est pas une chose à laquelle j’avais pensé auparavant, je ne sais pas si je voudrais en faire mon métier. Après, je me dis que j’ai remporté un César et que je ne l’ai certainement pas eu pour rien, je peux peut-être en faire quelque chose. Continuer dans ce métier, ou dans ce corps de métier même si ce n’est pas forcément devant la caméra. Je vais continuer à y réfléchir. Le plus important, c’est de continuer mes études, je ne veux pas lâcher cela.
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