À l’occasion de la sortie du film Edouard Louis, ou la transformation, nous avons pu échanger avec le réalisateur François Caillat autour de sa démarche documentaire ainsi que la notion de transformation.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire un film sur Edouard Louis ?
Depuis une vingtaine d’années, parallèlement à mes autres films, je réalise une série de documentaires sur des penseurs et écrivains. Dans l’un d’eux, Foucault contre lui-même (2014), j’avais travaillé avec Edouard Louis. Il était alors jeune étudiant et m’avait utilement conseillé sur le scénario de ce film consacré au philosophe français. Ensuite il est devenu lui-même écrivain, avec le parcours étonnant que l’on connait. Cela m’a donné de le filmer en prenant pour thème l’idée de la transformation.
Il se dégage une grande spontanéité dans votre film : Edouard Louis, malgré le sérieux de ses propos, fait preuve de beaucoup de naturel et d’humour – on le voit rire, faire semblant de se cacher face à la caméra, et même chanter et danser. Quelle a été la place de l’improvisation dans votre film ?
Le film est spontané car très improvisé. J’ai proposé à Edouard Louis de retourner à Amiens, la ville qu’il avait quittée depuis longtemps, le lieu central de sa transformation. Je tenais en mains mon sujet, je savais exactement de quoi nous pourrions parler dans les entretiens, mais le tournage s’est fait au feeling, sans scénario ni plan de travail. Je souhaitais garder la plus grande liberté, afin de pouvoir improviser en fonction de ce qui s’énonçait. On élaborait en direct, c’était une sorte de work in progress. La seule recommandation que je faisais à Edouard Louis, c’était de s’autoriser des hésitations, des silences, de s’amuser, de rester très vivant. La spontanéité est venue de là, elle n’est pas feinte, c’est le résultat d’une manière de tourner.
L’ouverture de votre film est empreinte de légèreté et d’humour, et se rompt brusquement avec un discours assez amer d’Edouard Louis sur son sentiment d’échec qu’il a vécu. Comment avez-vous appréhendé son portrait ? Instiller de l’humour était-il une façon de nuancer la solennité des paroles d’Edouard Louis ?
Edouard Louis ne manque pas d’humour, je n’ai pas eu à le forcer. Il a un vrai recul sur lui-même, sur son histoire. Parfois l’humour rend possible une parole difficile à formuler, il libère les mots autrement, il évite la plainte ou le sanglot. Si Edouard Louis expose sa vie, c’est pour l’analyser, il cherche à comprendre au-delà de son cas. Il veut tirer une réflexion qui puisse être transmise à d’autres, éventuellement leur servir.
Edouard Louis, ou la transformation se déroule à la manière d’une itinérance : la caméra s’arrête sur les lieux emblématiques ayant constitué le parcours d’Edouard Louis, filmant son visage empli des émotions et souvenirs rejaillissants. À l’inverse, les images d’archives apparaissent avec une grande parcimonie, comme dans une sorte de pudeur dans l’image au passé. Dans le cadre de la tangibilité du souvenir, filmer l’espace et les lieux constitue-t-elle pour vous la meilleure approche ?
J’ai toujours aimé filmer les lieux, dans mes documentaires comme dans mes autres films plus narratifs. Les lieux me semblent porteurs de tous les possibles, incarner un personnage, une action, même une idée. J’essaie d’en faire l’une des composantes essentielles du film : pas un décor ni un environnement, mais un personnage à part entière qui guide la narration.
Quelle était votre intention en réalisant Edouard Louis, ou la transformation ? Pensez-vous avoir été dans une démarche de portraitiste ? Ou voyez-vous plutôt dans votre film un manifeste sociologique, porté par le discours d’Edouard Louis ?
Je suis peut-être portraitiste dans ce film, au sens où il n’y a qu’un seul personnage filmé, et surcroit présent dans quasiment dans tous les plans – ce qui se fait rarement. Mais le propos dépasse Edouard Louis, il s’agit de LA transformation (comme l’indique le sous-titre). Cette question de la transformation est généralisable, elle nous concerne tous, mais de manière très libre, chacun en fait ce qu’il veut. Je ne la vois pas comme un manifeste de sociologie, plutôt comme un encouragement à vivre autrement, si cela nous tente ou nous anime.
Quelle distinction faites-vous entre la « transformation » du titre de votre film, et la « réinvention » ou le « changement » dont parle Edouard Louis ?
Je n’en vois pas, ces sont des nuances. Le mot “réinvention” me convient aussi bien, je le trouve même plus créatif, il est très stimulant. Le terme “changement” va aussi. Je pourrais ajouter la formule “se déprendre de soi-même”, souvent utilisée par Michel Foucault. Dans mon film sur le philosophe, on parlait déjà beaucoup de la transformation, cette question m’intéresse depuis longtemps.
Il y a quelque chose de bouleversant dans ses paroles autour de son passé. Notamment autour de la honte sociale, et de son envie perpétuelle d’être quelqu’un d’autre que lui-même. Cependant, votre film se détache de tout artifice larmoyant et se rattache davantage à l’épure et à la pudeur de l’image. Au cours de la réalisation, quel a été votre rapport à l’émotion en filmant Edouard Louis ?
Ce terme d’épure me plaît bien. Si j’y suis parvenu dans le film, j’en serai très content. J’avais le projet de faire un film d’un seul jet, comme un trait. Sans artifices de décors, sans digressions inutiles. Il fallait bien-sûr de l’émotion, mais sans débordements.
Comment avez-vous appréhendé la structure de votre film (extraits de pièces de théâtres, séances de lecture des textes d’Edouard Louis en studio d’enregistrement) ?
J’ai d’abord tourné et pré-monté les séquences d’Amiens, qui forment l’ossature du film. C’est le récit d’Edouard Louis lycéen, lorsqu’il vit les divers aspects de sa transformation. J’ai tourné ensuite à Paris les enregistrements en studio et choisi les extraits de théâtre. Ils nous racontent ce qu’est devenu le lycéen : un auteur littéraire, un auteur de théâtre, à l’occasion un comédien. Cette mise en perspective souligne le chemin parcouru.
Avez-vous d’autres projets cinématographiques ?
Je compte tourner en 2024 un projet sur lequel je travaille depuis déjà quelque temps : un long-métrage mêlant de la fiction, du documentaire, de l’opéra.
Un grand merci à François Caillat pour sa patience, et à Paul Chaveroux pour avoir organisé cet entretien.
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