Entretien avec Léonor Serraille, réalisatrice de « Jeune Femme »

Son premier long-métrage Jeune Femme a reçu la Caméra d’Or à Cannes en mai dernier. 
À l’occasion de sa venue au Comœdia, à Lyon, pour la présentation du film en avant-première, nous avons pu poser quelques questions à Léonor Serraille.

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Copyright Shellac 2017

En quoi le personnage de Paula vous ressemble-t-il ?
Paula est presque l’inverse de moi, j’ai imaginé quelqu’un qui est vraiment un contrepoint de ma personnalité. Je n’ose pas parler aux gens comme elle le fait, je suis plutôt polie, disciplinée mais par contre comme elle, j’ai de l’énergie, j’aime bien faire les choses… Disons que j’avais besoin d’inventer quelqu’un qui m’inspire, une héroïne qui soit singulière, je voulais créer un personnage qui me fasse rêver, ma femme idéale à moi en quelque sorte. En revanche, la matière du film, ce qu’elle fait – travailler, garder des enfants à Paris, se sentir hyper seule dans une grande ville… – ce sont des choses que j’ai pu vivre, il n’y a que la séparation que j’ai inventée. À travers elle je voulais revivre des choses mais avec quelqu’un qui pousserait des portes que je n’avais pas poussées.

Le film a une tonalité presque légère en décalage avec les sujet abordés comme la précarité, la solitude, la place dans une grande ville…
C’était l’un de mes principaux défis à l’écriture. L’histoire en elle-même, ce qui se passe c’est quelque chose de très simple, qui pourrait facilement être très fade entre guillemets. Je voulais trouver dans cette simplicité comment faire pour que le récit rebondisse, qu’il soit sans cesse sur le fil. Il y avait un vrai plaisir d’écriture à rechercher un équilibre entre les tonalités. Le personnage passe par plein de registres, plusieurs façons de s’exprimer : c’était un terrain de jeu. Après c’était un dosage permanent à toutes les étapes de travail, bien sûr avec les comédiens sur le tournage mais peut-être plus encore au montage. C’était la même problématique à chaque étape même si au montage j’ai tendance à trouver ça encore plus difficile : Comment être tout le temps sur le fil, sur le qui vive, sur l’énergie du personnage ? On peut tomber avec elle et en même temps, elle a l’énergie pour avancer parce qu’elle ne lâche jamais. Il fallait parvenir à créer quelqu’un entre deux pôles, schématiquement les deux yeux symbolisent ça, d’un coté le positif, de l’autre le spleen et à partir de là comment faire avec ces deux choses ?

Pourquoi avoir choisi de démarrer le film de manière aussi abrupte ?
Très simplement, je me disais que j’allais écrire un portrait et que j’avais besoin de passer du temps avec Paula. J’avais besoin que le cheminement ne soit pas linéaire, qu’il soit complexe. J’avais l’impression que dans la vie lorsque l’on rencontre des gens, les choses ne se font pas forcément de manière simple ou lisse. J’avais envie qu’au début on puisse se projeter dans ce qu’est une rupture, que l’on puisse se retrouver dans sa situation mais qu’aussi elle nous échappe un peu. Le personnage se dévoile petit à petit, comme un oignon, les peaux s’enlèvent et on arrive à quelqu’un. J’ai conscience qu’au départ elle peut heurter, mais j’avais envie que cette entrée en matière soit violente et surtout qu’elle soit vraie. Je souhaitais que Paula ose nous montrer ce qu’elle ressent. Dans l’écriture l’envie était de partir d’un personnage compliqué, insaisissable, dans un état de douleur pour arriver à quelqu’un qui va mieux, qui a les pieds sur terre, qui sait un peu mieux comment mener sa vie. J’aime que le point de vue puisse varier sur la personne quand je regarde un film, ne pas me retrouver où je m’attends à aller.

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Comment avez vous abordé la mise en scène ?
J’avais envie de comprendre mon personnage en le filmant. La différence entre le tournage et l’écriture résidait dans l’approche. Pour moi l’étape du scénario est un travail de maîtrise, de contrôle là où je conçois le tournage comme un moment de lâcher prise. Je voulais tester différentes choses quitte à parfois me tromper. Avec ma chef-opératrice, Émilie Noblet, nous n’avions pas de programme à appliquer, nous avions plusieurs envies, une liste d’idées, certaines ont fonctionné, d’autres moins mais ce n’était pas grave, ça rendait le tournage plus riche. Par exemple, certaines séquences étaient prévues pour être très découpées et au final on est proche du plan-séquence alors que c’est un truc qui me faisait un peu peur sur le papier. L’idée était de se faire confiance, de se sentir finalement aussi libre que le personnage, d’être comme lui tout le temps sur le qui vive. Après c’est peut-être comme ça sur tous les premiers films, on a envie de tester plein de choses, ça fait quatre ans qu’on attend de pouvoir le tourner donc le moment venu on essaie.

Vous aviez ce titre en tête dès le départ ?
Presque. Lorsque j’en étais à la première mouture du scénario, le film s’appelait Jeune Femme au Chapeau Jaune, en référence à une photo de son compagnon artiste qui l’avait représentée avec un chapeau jaune. Assez vite, j’ai pensé que ce chapeau allait gêner et je l’ai remplacé par le manteau orange. Le titre est alors devenu Jeune Femme et n’a plus bougé. Je trouvais que c’était un titre libre, ouvert, qui peut même s’interpréter comme une question : « Qu’est ce qu’une jeune femme ? Comment se définit-on en tant que jeune femme ? ». Je n’ai pas cherché à faire passer un message particulier mais s’il y en a un en filigrane, la seule proposition que je fais c’est de se définir soi-même. À la fin du film Paula est affranchie de plein de choses, elle s’invente elle-même. Il y a aussi une petite ironie dans le jeune du titre qui me plaisait car dans le film, Paula ne dit jamais vraiment son âge. Quand j’ai rencontré Laetitia je n’arrivais pas à comprendre l’âge qu’elle avait et elle ne voulait pas me le dire, elle se contentait de me répondre vaguement qu’elle avait la trentaine. Je cherchais sur internet mais je ne trouvais que des choses contradictoires, il s’avère que j’ai su il n’y pas si longtemps quel âge elle avait réellement. Elle a plus que je ne le pensais et j’ai probablement écrit pour une comédienne plus jeune mais finalement l’ironie se prolonge : « jusqu’où peut-on être une jeune femme ? ».

Justement pouvez-vous revenir sur votre rencontre avec Laetitia Dosch ?
C’est un projet que j’ai écrit en ne pensant à aucune comédienne. Je n’arrivais pas à trouver une actrice française qui me semblait correspondre au rôle donc je cherchais, je regardais des films. En l’occurrence, Laetitia Dosch je l’avais trouvée intéressante dans La Bataille de Solférino de Justine Triet et je l’avais gardée dans un coin de ma tête sans plus trop y penser. Un jour comme une intuition que j’aurai du mal à expliquer, j’ai commencé à la chercher sur internet, j’ai passé du temps à regarder des interviews d’elle, des vidéos, tout ce que je pouvais trouver en fait. Je l’ai rencontrée et au bout d’une heure j’étais sûre que ce serait elle, nous n’avons pas fait d’essais et elle m’a dit oui tout de suite. J’avais la sensation que c’était le choix qu’il fallait faire. J’aimais bien ne pas l’avoir encore trop vue au cinéma, j’avais besoin d’une tête un peu nouvelle.

Comment avez vous travaillé avec elle sur le film ?
On savait qu’on ne disposerait que de cinq semaines et demie de tournage, que l’on devrait parfois faire quatre à cinq décors différents dans la même journée et qu’il y a plein de choses que l’on n’aurait pas le temps d’explorer comme on le souhaitait sur le tournage. On a donc beaucoup répété, préparé avec Laetitia. On s’est vus pendant un mois à raison d’une grosse journée de travail environ un jour sur deux, elle travaillait aussi seule de son côté et me montrait ses avancées. Nous discutions énormément, nous avons lu, retravaillé, fait des répétitions. J’ai aussi fait les castings pour les autres petits rôles avec elle. Ce n’est pas un film très improvisé même si certaines scènes peuvent donner cette impression, je n’ai que très peu modifié les dialogues par exemple. Je pense que pour le coup c’est l’un des grands atouts de Laetitia, elle donne la sensation d’être toujours dans l’intensité de l’instant présent comme si c’était improvisé. Paradoxalement, elle est dans une préparation très cérébrale, elle travaille énormément. Elle fait des schémas, elle tient un carnet rempli de notes, elle fait des recherches sur tous les trucs possibles et imaginables qu’elle va devoir jouer…

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Comment avez-vous vécu l’exposition progressive du film ponctuée par la Caméra d’Or ?
J’ai d’abord été vraiment soufflée quand j’ai eu l’annonce de la sélection à Un Certain Regard, avec l’équipe on ne s’y attendait pas du tout, à partir de là tout ce qui pouvait arriver pour le film était de l’ordre du bonus. Du coup, la Caméra d’Or c’est forcément positif et très heureux mais c’est aussi très perturbant. Subitement on est très exposé, les gens ne vont plus voir Jeune Femme mais « la Caméra d’Or », ça met une petite pression, personnellement j’ai peur qu’ils soient déçus. Maintenant ça permet de mettre de la lumière sur un film que l’on a fait avec peu de moyens  – 800 000 euros – nous ignorions s’il allait sortir dans beaucoup de salles,  de ce coté-là ce prix nous aide beaucoup, c’est l’aspect positif. Peut-être aussi que mon prochain film sera plus facile à financer… Paradoxalement, j’ai aimé le fait d’avoir peu de temps et peu d’argent sur Jeune Femme, ça m’a aidé dans la mise en scène d’être contrainte, il y avait quelque chose d’un peu brulant que je ne retrouverai peut-être jamais.

À Cannes, on a beaucoup mis l’accent sur la présence de femmes aux postes clés de votre équipe technique, qu’est-ce que cela vous inspire ?
Ça ne me rassure pas du tout ! Je trouve ça flippant dans le sens où si c’est « remarquable » ça veut dire que ce n’est pas normal, c’est le symptôme d’un problème. Je trouve ça tout à fait normal que les femmes fassent du cinéma, qu’elles soient chef-opératrice, chef de poste ou autre,parce qu’elle sont tout à fait qualifiées. Après, je pense que malgré tout ça évolue dans le bon sens même si c’est long. Je tiens quand même à préciser que mon premier assistant est un homme et qu’il y a plein d’hommes sur le film ! La constitution de l’équipe s’est faites très naturellement, c’était essentiellement des gens avec qui j’avais passé du temps à l’école (ndlr : La Fémis) et c’était naturel de bosser avec elles.

Propos recueillis le 24 Octobre 2017.
Un grand merci aux équipes du Comœdia.

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