À l’occasion de l’avant-première lyonnaise de son troisième long-métrage, L’Origine du mal, Sébastien Marnier est venu accompagné de l’actrice Dominique Blanc. Ils nous ont accordé un long entretien aussi chaleureux qu’éclairant sur cette tentative réussie de thriller chabrolien.
Comment vous est venue l’idée de L’Origine du mal ?
Sébastien Marnier : Le point de départ était vraiment les retrouvailles de ma mère avec son père biologique, qu’elle a rencontré un peu comme dans le film. Elle avait 60 ou 65 ans et ça avait été un moment très fort dans notre famille parce que ça avait chamboulé pas mal de choses, notamment dans l’éducation que j’avais reçue. Je viens d’un milieu prolétaire, mes parents sont très engagés en politique. Ma mère était une militante communiste très fervente. Elle avait toujours interdit à mon frère et moi, de fréquenter des amis de droite. Quand elle a rencontré cet homme qu’elle a aimé immédiatement, elle a pourtant découvert un banquier très à droite et très riche. Voilà le point de départ de cette connexion de classes opposées. Je trouvais qu’il y avait matière à créer une fiction. J’avais depuis longtemps envie de faire un film sur la famille. Je trouvais que c’était la bonne porte d’entrée pour ça.
L’Origine du mal était le titre dès le début du projet ?
S.M. : Non mais j’ai été trop précurseur (rires). Le film s’appelait Succession au départ, mais il y a eu une série qui est arrivée et je me suis dit que je ne pourrais pas rivaliser, donc j’ai changé le titre en cours d’écriture.
Vous la situez où, justement, cette origine du mal ?
S.M. : Elle est à plusieurs endroits en réalité. Il n’y a pas une unique raison. De la famille, du moins de la vision que j’en ai, mais aussi de l’argent évidemment, qui est omniprésent dans le film. Le patriarcat également. Le titre est-il L’Origine du mal ou du mâle ? Je crois qu’au fond la source de tout ce qui se passe c’est également le mensonge. C’est une somme de tout ça.
Le film parle de déterminisme, qu’il soit familial ou social. Est-ce que c’est quelque chose d’inévitable pour vous ?
S.M. : En tout cas, c’est difficile de s’extraire de sa condition. J’en suis moi-même l’exemple. Comment quitter le 93 et sa famille de prolo, pour rentrer dans le monde du cinéma qui est un milieu extrêmement bourgeois, pas toujours accueillant ? C’est dur de se faire une place là-dedans, donc oui le déterminisme est très fort. C’est sûrement l’un des sens de la vie que d’essayer de dépasser, du moins que ce ne soit pas un problème.
L’identité des personnages se perçoit à travers leurs vêtements, entre autres, en particulier concernant Louise, qui vous interprétez, Dominique, qui est dans l’exubérance permanente. Comment est-ce que l’on prépare tout ça ?
Dominique Blanc : Il faut aller très loin, sinon ça n’a pas d’intérêt. Nous nous sommes rencontrés avec Sébastien et nous avons parlé de ça assez vite. Toi tu avais l’habitude de travailler avec Marité (Coutard, la costumière, Ndlr) ?
S.M. : Oui j’ai fait mes trois films avec elle.
D.B. : Les essayages c’est une phase très intéressante. J’y attache beaucoup d’importance car c’est là que le metteur en scène se dévoile et c’est là que l’on va véritablement pouvoir dessiner les contours du personnage. Louise, telle que Sébastien m’en a parlé, devait être dans cette exubérance. Plus c’était fou, plus c’était beau à l’image, plus ça fonctionnait. C’est vrai qu’on s’est beaucoup amusés.
S.M. : C’est vraiment là, pour tous les acteurs, et en particulier pour Dominique, que s’est acté le fait que le film serait très loin du naturalisme, que nous serions dans quelque chose de très théâtral, de très puissant visuellement, mais aussi de très jubilatoire. Que nous ne nous interdirions rien.
D.B. : Il y a quelque chose de très baroque aussi. Je voyais des toilettes qui étaient pendues sur des portants et je me disais c’est à partir du moment où j’aurais tout essayé que l’on va trouver un fil qui va nous mener jusqu’à Louise. Au premier essayage nous n’avons pas trouvé grand-chose, seulement le caftan en panthère. Là j’ai commencé à sentir le personnage (rires). Puis il y a eu plein d’autres séances où nous nous sommes interrogés sur la coiffure, le maquillage, etc… Mais il était évident que pour Louise, qui est un personnage très extraverti mais aussi très mystérieux, les vêtements devaient être élégants, de grande qualité, car plus elle dépense de l’argent mieux c’est pour son mari.
S.M. : Le vêtement raconte aussi la fantaisie, sans que nous ayons besoin d’en passer par des dialogues. Pour Louise, comme pour le personnage de Marina Foïs dans Irréprochable ou les enfants dans L’Heure de la sortie, le regard des autres n’est pas un problème. Elle fait exactement ce qu’elle a envie de faire, c’est presque punk.
D.B. : Elle s’en affranchit totalement. Nous butions sur les coiffures. Puis au dernier moment j’ai pensé à une perruque blonde que j’avais chez moi et je me suis dit pourquoi pas. Je l’ai apportée et tout à coup nous avons réalisé que c’était vraiment elle ! C’était vraiment Louise. Dans sa folie, sa fantaisie, dans le fait qu’elle se foute du regard des autres, des gens de la maison, des gens de l’île en général.
S.M. : C’est là aussi que tu as décidé de te faire des griffes.
D.B. : Oui !! Je n’avais jamais fait ça, c’est un enfer (rires). Ce n’est pas du vernis, c’est vraiment des griffes que j’ai gardées tout le temps du tournage. C’était comme un prolongement et ça donnait un côté félin au personnage qui n’était pas pour me déplaire.
Justement ce côté félin qui se ressent à travers toutes les femmes de la famille, puisque chacune revêt à un moment du film une peau d’animal, se perçoit aussi via les décors qui situent la maison quelque part entre la ménagerie et le musée. Comment avez-vous eu l’idée d’inscrire ces personnages dans cet environnement ?
S.M. : Je crois que c’est venu bêtement quand j’ai dit à mon chef décorateur que je voulais que la maison soit un mausolée. Il y avait quelque chose de très mortifère là-dedans. Puis à partir du moment où nous avons eu la possibilité d’avoir des animaux empaillés aussi. C’était encore une fois très important de faire travailler en commun à la fois le chef opérateur, le chef déco, le chef électro et la cheffe costumière. Tout le monde travaille dans un élan commun pour raconter la même histoire. Dès que Marité a vu que nous avions tous les animaux, nous nous sommes dit qu’il nous fallait beaucoup de fourrure et de la vraie fourrure, quelque chose qui est tabou aujourd’hui, que l’on a plus le droit d’avoir ou de filmer ou de représenter. Ça racontait énormément de choses dans la construction des personnages, dans ces rapports de sororités, de mère à fille, de sœur à belle-sœur, de grand-mère à petite-fille. Même si Céleste (Brunnquell, interprète de Jeanne, Ndlr) a un très petit rôle, j’ai pensé qu’elle pouvait porter les habits de sa grand-mère, comme s’il y avait un héritage. On voit que Louise offre un manteau, des boucles d’oreilles…
D.B. : Louise est très généreuse. Vous avez remarqué j’espère (rires) ?
Vous aviez le casting en tête dès l’écriture ?
S.M. : Ça s’est fait progressivement. Quand j’écris, je pense soit à des acteurs soit à des personnalités. Pour Serge (interprété par Jacques Weber, Ndlr), j’ai pensé à Paul Lou Sulitzer par exemple. Il avait également eu un AVC, puis il y a ce même rapport au fric et à l’arnaque. C’est important de penser à des figures pour trouver une forme de vocabulaire, de musicalité aussi. Ce n’est pas un secret, j’avais d’abord écrit le rôle pour André Wilms qui était très malade et qui n’a donc pas pu faire le film. Mais ce sont des choses qui se peaufinent au fur et à mesure, comme lorsque nous avons eu l’aval de Laure Calamy. J’avais très envie de travailler avec des gens que j’admirais et qui venaient d’univers différents, de créer une famille de cinéma. C’est comme ça que je vois une famille, un conglomérat de personnes qui n’ont rien à voir sauf un nom et un sang commun. Nous nous étions rencontrés il y a quelques années et je souhaitais déjà travailler avec Dominique sur un autre projet qui ne s’est pas fait. Ce qui m’intéressait le plus, ce n’était pas le contre-emploi en tant que tel, mais comment fabriquer un rôle et le travailler tous ensemble. Il fallait légèrement décaler les personnages par rapport à ce que l’on a l’habitude de voir de chaque comédien. C’est évident sur Dominique, sur Laure et même sur Doria Tillier.
D.M. : Moi ce qui m’a intéressé, c’est la syllogomanie du personnage, dont Sébastien m’a parlé assez vite. Tout d’un coup, Louise n’était plus simplement une figure de la mode, c’était quelqu’un qui a une véritable folie. Elle a cette dérive qui consiste à accumuler un certain nombre de choses. Il y a énormément de gens qui sont comme ça, beaucoup plus qu’on ne le croit, et ça a été accentué par le COVID. C’est très impressionnant. Quand je suis arrivée à Toulon sur le décor, c’était magnifique mais Sébastien m’a dit « attend tu n’as rien vu, je vais t’amener dans ta chambre ». Et là je me suis dit qu’elle était vraiment cinglée (rires). C’est extraordinaire quand le décor raconte tant, mais toujours avec sobriété et élégance. Toutes ces cassettes vidéo et ce que ça raconte de sa solitude, de sa dinguerie, c’est incroyable. C’est une espèce de jeu de massacre dans cette famille, et chacun possède cette dimension totalement givrée mais chacun dans son style. Ce qui m’a plu dans le scénario c’est que j’ai trouvé qu’il était remarquablement bien construit. C’est assez rare de voir une figure architecturale aussi complexe avec autant de zones d’ombre. On ne sait effectivement pas qui ment et qui dit la vérité. Tout le monde joue parce que tout le monde aime bien jouer. C’est un jeu tragique. Le personnage n’a strictement rien à voir avec ce que j’ai fait à la Comédie Française, c’est ça qui est excitant. Faire des choses où l’on ne vous attend pas.
Le personnage de Serge passe de prédateur à proie tout au long du film, notre regard change complètement, bien que le personnage reste détestable par bien des aspects. C’était important de garder cette ambiguïté et de prendre à revers les attentes du spectateur?
S.M. : Je crois que l’ambiguïté est présente dans chaque personnage. Étant donné que c’est Stéphane (Laure Calamy, Ndlr) qui est notre passeur, en effet nous découvrons tout ça à travers ses yeux. Parfois on pose la question aux acteurs : « qu’est-ce que ça fait de jouer un salaud ? ». Mais en tant que comédiens ou scénaristes, nous ne les jugeons pas. Ils ont leurs zones d’ombre, nous ne pouvons pas les soutenir mordicus dans tout ce qu’ils font, mais nous les comprenons. Même Jacques, qui est un beau salaud à plein d’endroits, nous ne le jugeons pas non plus. J’avais envie qu’on comprenne que Laure Calamy allait prendre parti pour les femmes même si ce qu’elles font n’est pas très chouette. Je voulais qu’on les comprenne. Tout le scénario était construit autour d’un dialogue qui était celui de Jeanne qui désigne la famille comme un poison, puis de cette image, qui était presque à la base du projet, de ce gynécée final. Pour Serge, notre vision passe par sa relation à l’argent. La première fois qu’il emmène Stéphane dans sa cave, il lui dit qu’elle pue le poisson et lui propose un vin qui coûte plus qu’elle ne doit gagner par mois. C’est tout ce que permet le cinéma de genre et la farce très cruelle, rien n’est réaliste.
Lors de la séquence d’introduction dans le vestiaire féminin, il y a une vérité nue symbolique qui s’oppose aux scènes dans la maison où tout n’est que mensonge…
S.M. : C’est super que vous disiez ça parce qu’au-delà du fait que j’avais envie de rendre hommage à Carrie, je souhaitais commencer par quelque chose d’assez ample, beau, brumeux. Le plan-séquence, qui a été assez complexe à mettre en place, instaure aussi l’idée qu’il n’y aura que des femmes dans le film. Je voulais montrer plein de corps différents que le cinéma français ne filme pas si souvent. Toi Dominique, sans qu’il y ait de nudité, la première fois que l’on te voit, tu t’offres en spectacle, tu es en nuisette, en shorty en dessous. J’aime cette idée de transparence. Filmer ce rapport entre les femmes, ces relations d’amantes aussi, cet érotisme sous-jacent. Même s’il s’agit d’une même famille, il y a l’idée que tout le monde puisse potentiellement coucher ensemble.
D.M. : Ce qui m’a frappé c’est la sensualité dans les scènes de bagarres aussi. C’est très beau comme les corps de Suzanne (Clément, Ndlr) et Laure sont filmés.
Pour ce qui est des références, vous avez parlé de Carrie, mais on pense à De Palma de manière générale avec l’utilisation des split screens, le personnage de Louise peut renvoyer à des rôles qu’ont pu interpréter Bette Davis ou Joan Crawford… Est-ce que Sébastien vous avait conseillé de voir certains films pour travailler votre rôle ou est-ce qu’il vous a laissé totalement libre ?
D.B. : Non, nous n’en avons pas tant parlé.
S.M. : À part le premier plan qui était très clairement une référence à Carrie, tout le reste est beaucoup plus abstrait. J’avais effectivement très envie de faire des split screens parce que c’est un effet que j’adore, mais De Palma n’a pas été le seul à les utiliser. Quant aux films d’Aldrich (Chut, chut, chère Charlotte et Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, Ndlr), on est effectivement sur le même type de personnage. Pour toute cette équipe, ces acteurs et moi-même, c’est vrai que le cinéma prend toute la place dans nos vies. On le dévore, on le digère, on le rêve, on le fabrique. La vie m’intéresse peut-être moins que le cinéma.
D.B. : Je crois que la seule personne que nous avons explicitement évoquée, c’était Meryl Streep. Nous avons surtout travaillé lors de séances où nous avons décortiqué le scénario. Je pose toutes les questions possibles, j’écoute les réponses, et après je réfléchis. Tout est ouvert et tout est possible, c’est aussi ça qui est intéressant. J’avais vu les films de Sébastien mais nous ne nous connaissions pratiquement pas. Il faut aussi découvrir comment l’autre agit, crée, invente.
S.M. : Ces séances, qui sont souvent difficiles à organiser compte tenu des emplois du temps de chacun, servent à faire émerger des anecdotes de vie. On se raconte, on se livre. Les personnages étaient écrits dans le scénario mais leur nature, leurs failles, tout ce qu’ils sont, sont nourris par ces séances. Si le film avait été interprété par d’autres acteurs, réalisé avec une autre équipe technique, il aurait été complètement différent.
Le décor préexistait-il ou a-t-il été créé pour le film ?
S.M. : La maison préexistait et elle accueille souvent des tournages. Au départ c’était très abstrait, j’avais juste l’idée d’une villa sur la côte, puis j’ai eu la chance de visiter celle-ci pendant l’écriture. Elle possède quelque chose de très étrange, à la fois extrêmement laid et très impressionnant, un mélange de mystère et de mauvais goût, très kitsch, très ostentatoire. Nous avons complètement changé l’intérieur, amené trois mille objets, des meubles, et il a fallu créer toutes ces cassettes vidéo. Le personnage de Louise est inspiré de quelqu’un que je connais très bien et qui a la même addiction, certaines séquences ont été inspirées par elle. Nous avons beaucoup ri avec cette histoire de commandes au téléachat par exemple.
D.B. : Nous avons énormément improvisé là-dessus avec Jacques. J’avais beaucoup d’estime pour lui mais je ne le connaissais pas vraiment. Nous avons matché très vite. Il est très généreux. Il vient du théâtre donc nous avons cette identité en commun, c’était très rassurant.
La maison est un personnage à part entière, mais il est indispensable d’en sortir ponctuellement afin de créer des respirations. Comment êtes-vous parvenu à doser cet équilibre ?
S.M. : C’était très dur. J’ai énormément coupé au montage. Je le dis honnêtement, la première demi-heure n’est pas ce dont je suis le plus content. Il y avait beaucoup plus d’allers-retours et de personnages annexes. Finalement il n’y a que deux retours dans la vraie vie avant que l’on passe au point de vue de Suzanne Clément. Tout ce qui est en prison j’aime bien ce que j’aime moins c’est la présentation chez la logeuse que je trouve expéditive. J’avais beaucoup de matière et dans les versions intermédiaires, le film était trop long. Il y avait une baisse de rythme et il fallait rapidement retourner dans cette maison car c’est là que tout se joue. Mais c’était intéressant de trouver comment filmer le réel, l’usine, comme le premier plan justement. Le seul moment où je m’autorise quelque chose de très quotidien, c’est le procès. C’est pour cela que je voulais partir sur un format différent, presque 4/3, comme s’il y avait une irruption de la réalité au milieu de tout ce romanesque.
Malgré cette volonté de déréaliser le film, il subsiste beaucoup de repères du réel, comme des figures comme Charles Pasqua, qui est cité, ou le nom d’une ville. Vous avez laissé ces marqueurs pour permettre de pénétrer sans mal cet univers ?
S.M. : Oui je ne voulais pas de quelque chose d’abscons. C’est notre réalité, ça se passe aujourd’hui, simplement ces gens vivent dans cette espèce de théâtre qu’ils se sont inventés, dans ce château hors du monde. Donc oui c’est essentiel de garder des portes d’entrée, d’avoir des marqueurs concrets, comme par exemple de dire que le personnage interprété par Suzanne fait un travail pour 1,20€ de l’heure en étant en fin de peine. Puis le personnage qui a inspiré Louise, je l’ai vue en vrai, je suis rentré dans sa maison, elle en avait huit en fait, car dès que l’une était remplie d’objets, elle en achetait une autre. Même les cassettes vidéo, je les ai vues. C’est une cohabitation entre le réel et quelque chose de fou, de fantasque et de déréglé. Mais nous avons tous notre rapport à la folie, au monde intérieur, qui cohabite avec la réalité.
D’ailleurs, dans la manière dont vous faites cohabiter ces microcosmes malsains, la maison de la famille, l’appartement de la logeuse qui entretient une relation particulière avec sa fille, la prison devient presque l’environnement le plus « normal ».
S.M. : Oui parce que les trois lieux où évolue Laure Calamy sont pleins de mensonges. Elle a créé ce type de relation avec Leïla (interprétée par Naidra Ayadi, Ndlr) et sa logeuse. Ce sont à chaque fois des histoires d’amour. Elle a peut-être même développé une romance avec sa logeuse, pour rester dans cette maison. Elle cherche tellement une place au sein d’un foyer qu’il est clair qu’elle ne fait jamais ça pour l’argent. C’est sa névrose.
Comment se sont construites les musiques du film ?
S.M. : Ça s’est fait très en amont car tout a été décalé à cause du COVID. Tout le monde était confiné, Pierre Lapointe et Philippe Gros (les compositeurs, Ndlr) aussi, donc j’avais 70% des maquettes avant le tournage. Hormis la chanson de fin, à laquelle je tenais parce que j’avais envie de renouer avec ce plaisir désuet de la chanson originale de générique, je leur avais juste demandé de penser la musique en trois actes très distincts. Un premier acte pour créer une ambiance, comme si l’on assistait à des répétitions d’orchestre, quand ils s’accordent. La deuxième partie intervient au moment de la révélation. Elle est très inspirée de mes obsessions carpenteriennes avec ces sonorités au synthétiseur, voire d’Argento avec l’utilisation de clochettes pour la mélodie. Je voulais tendre vers ces films de garces hollywoodiennes que je voyais étant ado, à la Sharon Stone, JF partagerait appartement, La Main sur le berceau… Et dans une troisième partie, qui épouse tout le mouvement du personnage de Suzanne, c’était essentiel d’être dans le mélo avec un déluge de cordes, et d’y aller à fond.
Les références que vous évoquez sont surtout américaines, la dimension satirique et critique du film renvoie forcément à Claude Chabrol.
S.M.: Il y a aussi beaucoup de cinéma coréen par rapport à la lutte des classes, à la comédie, au grotesque. Mais évidemment j’adore Chabrol ! Toute ma cinéphilie a été fondée sur du cinéma d’horreur, du thriller, j’ai mis longtemps à comprendre qu’il y en avait aussi eu en France, si l’on excepte la vague de la French Frayeur. Il y a eu des figures très libres comme Georges Franju, Jacques Tourneur et puis évidemment Claude Chabrol. Je l’ai découvert quand j’avais dix-huit ou vingt ans, pour moi c’était ringard. Mais quand je me suis intéressé à ses films, je me suis dit que c’était vraiment lui le cinéaste de genre en France. C’est lui la référence. Il ne suffit pas de critiquer la bourgeoisie pour se prétendre chabrolien. Il a inventé le thriller français. Un film de genre n’a d’intérêt que s’il raconte quelque chose du monde et de la société. Chabrol a ausculté la société française, surtout durant toute la décennie de Pompidou. Ce qu’il a raconté de la France était très juste, mais toujours un peu déréalisé. Moins baroque que nous certes. Puis les personnages féminins sont fondamentaux chez lui. Elles sont fortes, dangereuses, victimes, touchantes, indépendantes… Dans le genre c’est important de s’identifier aux outsiders, chez lui, cette idée passe par les femmes. Comme lui, j’aime écrire pour des actrices. Le prénom de Stephane vient d’ailleurs évidemment de Stéphane Audran.
Le format de votre film est osé. Pouvez-vous nous parler de ce choix ?
S.M. : Le 2.55:1 permet d’utiliser absolument tout ce qu’il y a à l’image. De plus, l’anamorphique crée des distorsions très fortes, des aberrations visuelles, puis d’un seul coup ça fait cinéma. Cela vient sûrement de toutes mes références mais ça va aussi dans le sens de cette volonté de déréalisation. Le spectateur ne se sent pas immédiatement compte qu’il y a quelque chose de bizarre mais il perçoit l’ambiance vénéneuse juste par ce choix d’objectif qui crée des flairs horizontaux, que j’adore. C’est particulièrement vrai avec les espaces architecturaux si symétriques de la maison. Ce doit être lié à l’enfance, à mon attachement au cinéma de Spielberg. J’aurais adoré tourner en pellicule mais ça aurait coûté 100 000 euros de plus. Donc c’est de l’artifice mais le défi était de trouver des choses qui puissent évoquer, même en numérique, cette image liée à l’enfance.
Propos recueillis à Lyon le 20 septembre 2022, un grand merci au cinéma Comœdia ainsi qu’à Sébastien Marnier et Dominique Blanc.
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).