Cinéaste ami et habitué des Hallucinations Collectives (il était notamment venu au festival en 2012 et 2017), Xavier Gens s’est vu offrir une carte blanche pour cette 13ème édition afin de présenter trois films : L’Invasion des Profanateurs de Philip Kaufman, L’Échine du Diable de Guillermo Del Toro et Tale of Tales de Matteo Garrone. En raison des bouleversements de calendrier et des reports de la manifestation, le réalisateur n’a pu être présent à Lyon. En compensation, des vidéos de présentation, précédaient chacune des séances de sa carte blanche. Néanmoins, nous avons tout de même pu nous entretenir longuement avec lui (par téléphone) afin d’interroger ses choix de films pour le festival, parler de son amour du cinéma, de son parcours, de l’évolution de sa carrière…
Qu’est-ce qui singularise selon toi le festival Hallucinations Collectives ?
Son indépendance. C’est un festival qui est porté à bout de bras par Cyril Despontin et l’énergie qu’il met dedans. Il fait un énorme travail de recherches de films, c’est quelqu’un qui veut partager la culture. Il cherche à faire bouger les lignes afin que les spectateurs en région puissent découvrir un maximum de pépites. Cela me paraît essentiel qu’une ville comme Lyon dispose d’un festival qui propose des films qu’on a pas forcément l’habitude de voir, auxquels on a pas facilement accès. Il me semble important d’être là et de soutenir ce genre d’initiatives.
Comment as-tu réagis lorsque t’as été proposée cette carte blanche et comment tu l’as conçue ?
J’étais super content. C’était une opportunité unique de pouvoir partager mes goûts de cinéma, mes envies et aussi de rendre hommage au travail de Cyril, surtout dans cette année un peu compliquée. Je me disais qu’il fallait donner envie aux gens de retourner au cinéma et j’ai essayé de trouver des films qui m’ont fait vibrer, qui m’ont marqué, parlé et que j’ai envie de faire découvrir. L’idée, c’était vraiment proposer des expériences.
Commençons par L’Invasion des Profanateurs, j’ai lu qu’il s’agissait du premier film d’horreur que tu as vu, un choix très personnel donc ?
Quand j’ai découvert ce film, cela a été un vrai traumatisme, quelque chose qui m’a fait très peur. Je ne l’ai vu qu’une fois, il y a maintenant quarante ans et je n’ai jamais réussi à le revoir. Plus tard, j’ai eu la chance de côtoyer Donald Sutherland [ndlr: rôle principal du film] et le sentiment d’angoisse que j’avais eu pendant le visionnage m’est revenu en travaillant avec lui [ndrl : sur la saison 2 de la série Crossing Lines]. C’est un mec génial et ce fut une super expérience : je lui parlais tout le temps de ce film. Il me disait qu’il en était extrêmement fier, sa collaboration avec Philip Kaufman représente quelque chose de très important pour lui. Donald est quelqu’un qui adore le cinéma de genre et qui eu la chance de traverser la décennie 70, où ce type de films étaient portés par des auteurs. Il pensait que faire un long-métrage comme L’Invasion des Profanateurs n’était plus possible aujourd’hui et m’encourageait à continuer à me battre pour ce cinéma là. Ses propos résonnaient complètement avec les films que j’essaie de faire hors système. Pour toutes ces raisons, je suis très heureux que les gens du festival puisse le découvrir au cinéma. Je pense qu’il y a dedans un ton qui n’existe plus, pas de jump scare à la Conjuring par exemple, la peur est insidieuse. J’espère qu’il va foudroyer les spectateurs sur place tant ce film m’habite encore aujourd’hui, ce qu’il provoque chez moi, je n’arrive pas à m’en débarrasser. J’aurais bien sûr adoré le revoir sur grand-écran mais, malheureusement, je suis en tournage en ce moment.
Guillermo Del Toro est une influence que l’on ressent plusieurs de tes films, notamment, Cold Skin. Parmi toutes ses grandes œuvres, pourquoi ton choix s’est-il porté sur L’Échine du Diable ?
Disons que Guillermo Del Toro est un grand auteur de cinéma fantastique que tous les cinéphiles connaissent depuis Le Labyrinthe de Pan, mais je pense que c’est avec L’Échine du Diable qu’il est devenu ce qu’il est aujourd’hui. Je crois que c’est important pour les spectateurs qui viennent aux Hallucinations Collectives, de pouvoir le découvrir. Certes, il y a eu Cronos, que je conseille à tout le monde d’aller chercher, c’est toujours intéressant de voir le premier film d’un auteur. Cependant, je pense qu’il a trouvé sur L’Échine du Diable, sa patte esthétique, sa manière de s’exprimer, les thématiques qu’il aime explorer : il a été en pleine possession de ses moyens. C’est pour moi, son premier grand chef-d’œuvre, même s’il est encore très influencé par le cinéma de Serrador, notamment sur une séquence de fin que je trouve dantesque. Sans faire de spoiler, il y a des moments sublimes, comme ces instants aquatiques par exemple. Lorsque le petit garçon est sous cette espèce d’eau ambrée, cela rappelle évidemment La Forme de l’eau. L’Échine du Diable, annonce également déjà Le Labyrinthe de Pan, Crimson Peak, en quelque sorte, c’est un film somme de ce qu’il va faire plus tard. Je ferai un rapprochement avec Alfonso Cuarón, lorsqu’il a fait Y Tu mamá también, il est devenu l’immense cinéaste que l’on connaît aujourd’hui, c’était son vrai « premier film ». Ce sont des mecs qui se sont réinventés sur un film et ont trouvé leur voie, c’est fascinant à voir. Cuarón avait déjà fait plusieurs films comme La Petite Princesse, Great Expectations, mais c’est vraiment Y Tu mamá también qui l’a acquis comme auteur. Je pense que L’Échine du Diable est l’équivalent pour Guillermo Del Toro. C’est un peu son deuxième premier film et il faut absolument le découvrir.
Tale of Tales de Matteo Garrone est le choix le plus récent, mais aussi peut-être le plus surprenant de ta carte blanche. Peux-tu revenir sur ton affection pour ce film ?
Je trouvais que c’était hyper intéressant et pertinent de proposer un film comme ça. Je souhaitais inscrire ma carte blanche dans des choix plutôt européens et même si L’Invasion des Profanateurs est américain, je lui trouve un ton européen. Dans cette carte blanche, il y mes influences, qui correspondent au passé, en l’occurrence Invasion of the Body Snatchers, le premier film d’horreur que j’ai vu et que j’affectionne profondément. L’Échine du Diable s’apparente au présent, comme une sorte d’hommage à Guillermo Del Toro, un coup de cœur qui illustre le genre de cinéma vers lequel j’ai envie d’aller. Je pense que l’avenir du cinéma indépendant de genre se trouve en Europe et Tale of Tales contient déjà ce cinéma du futur. C’est un film qui a pas forcément été vu par tout le monde, qui s’inscrit dans un fantastique européen avec des influences italiennes, un casting composé d’acteurs anglais, mexicains, comme une espèce de melting pot. Il marque la rencontre de plusieurs éléments. Je considère Matteo Garrone comme un grand auteur contemporain et je trouve que c’est important qu’il prouve que le fantastique n’est pas réservé aux américains, que l’on peut explorer d’autres narrations. J’ai hésité un temps entre Tale of Tales et un film italien des années 80, La Peau, mais ce dernier n’était pas assez « genré ». Tale of Tales est un film européen qui représente un possible futur, mais aussi une alternative à ce qui nous est proposé aujourd’hui, entre disons schématiquement, Marvel et Netflix. C’est un choix atypique, mais je pense que ce film, si tu ne le mets pas dans une carte blanche ou dans un festival, beaucoup de gens ne vont pas forcément faire la démarche d’aller le voir. En revanche, si tu les enferme deux heures dans une salle, ça peut ouvrir leur curiosité et les motiver à chercher d’autres choses.
Comment la place qu’occupe la cinéphilie dans ta vie a évolué en devenant toi-même réalisateur ?
C’est toujours là, c’est même plus présent qu’avant parce qu’aujourd’hui, je suis capable de comprendre les films, de les analyser. Je me considère encore un amateur, car dans ce mot, il y a amour. J’ai envie de rester un amateur de cinéma jusqu’au bout, garder cet amour pour ce métier et une passion pour lui. J’essaie de faire du cinéma tout en continuant à apprendre en permanence. Je fais un petit ciné club avec Gareth Evans [ndlr : réalisateur notamment de The Raid 1 et 2], nous nous donnons des films à voir dans la semaine puis nous débriefons le lundi soir. Durant le confinement, nous nous étions imposé de redécouvrir un grand pan du cinéma japonais, mais aussi des grands auteurs comme Ken Russell. J’ai ainsi redécouvert tout Shōhei Inamura, que je connaissais finalement très mal, des films comme La Ballade de Narayama ou Pluie Noire qui sont absolument incroyables. Pluie Noire, qui a été réalisé en 1989, est profondément inspiré d’Ozu soit un cinéma des années 40, la période à laquelle se déroule le film donc. Je trouve qu’il s’agit d’un choix très fort, il va au fond d’une exploration thématique et stylistique. C’est hyper intéressant de pouvoir analyser un film de cette manière, le disséquer, le comprendre par rapport à ce qu’est l’histoire du cinéma en général et pas uniquement le cinéma fantastique. Quelque part, certains fans de genre en le voyant pourraient se demander si par exemple pour la mythique séquence de la mort d’Emil dans Robocop, Paul Verhoeven ne s’est pas inspiré de Pluie Noire, mais le film a été fait avant ! Être cinéphile permet de voir ces choses-là, les digérer et découvrir un autre cinéma. Aujourd’hui, on est parfois très formaté par ce que l’on nous propose, on paye dix euros par mois pour Netflix, on regarde leur catalogue intégral en oubliant ce qui a été fait avant.
À tes débuts, tu as travaillé auprès de metteurs en scènes tels Ringo Lam (Risque Maximum), Tsui Hark (Double Team) et John Frankenheimer (Ronin). Qu’est-ce que tu retiens de ces expériences ?
J’étais fasciné par le travail de Ringo Lam, Tsui Hark était une sorte de dieu pour moi et John Frankenheimer, j’étais très fan de ce qu’il avait fait. J’étais stagiaire sur leurs plateaux et j’étais curieux de voir comment ils travaillaient. La manière dont les hongkongais tournaient, approchaient leur cinéma se faisait avec beaucoup de mouvements, de dynamique et de grand angle : la caméra était toujours très proche de l’action. J’analysais ça en permanence, je trouvais cela incroyable à quel point ils cherchaient à faire corps, le cadreur était en permanence dans le cœur de l’action avec sa caméra. Frankenheimer, à l’inverse, travaillait en longue focale tout le temps, il était extérieur à l’action. C’était dément de voir le changement de style avec un cinéaste américain « classique » qui faisait tout au zoom, n’utilisait pratiquement pas les courtes focale, sauf quand il faisait des caméras embarquées dans des voitures. Chez Frankenheimer, on était dans un style d’action très impressionniste, tandis que chez Ringo Lam et Tsui Hark l’action était très narrative. Je n’ai pas forcément travaillé sur leurs meilleurs films, mais ils testaient quand même, ils avaient des moyens pour pousser leurs expériences. Je voyais deux écoles se confronter, raconter du cinéma avec une manière complètement différente. Frankenheimer était plus industriel, il n’avait pas forcément de point de vue, son film est très narratif, là où les metteurs en scène hongkongais recherchaient l’immersion dans l’action. Chez Frankenheimer, tu es spectateur tandis que chez Tsui Hark & Ringo Lam, tu es acteur de l’action. Je trouve ça extraordinaire. Je me souviens sur Double Team, Tsui Hark, essayait des choses en permanence, si tu revois le film, tu as quelques séquences où visuellement, c’est assez délirant. Il va dans tous les sens, casse les axes, casse la ligne narrative et à coté il cherche toujours du mouvement dans l’action. Je me souviens d’un plan que l’on avait mis en place, où le cadreur était collé à moins d’un mètre de la doublure de Jean-Claude Van Damme qui courait dans une fête foraine en début du film. Cette immersion telle que j’ai pu l’observer avec lui, c’est un peu ce que j’ai essayé de faire sur Cold Skin, notamment le plan de fin quand elle saute dans l’eau, on est collé, l’idée c’était vraiment de partir avec elle. Il y a chez moi une vraie influence asiatique dans la manière de découper par rapport à ce que j’ai pu apprendre auprès de ces maîtres. Ringo Lam n’a pas la folie d’un Tsui Hark, mais il a un sens du rythme incroyable. Sur Risque Maximum, je me souviens de la scène d’introduction, avec la poursuite en triporteur dans la rue. Il voulait toujours que ça aille plus vite, que ce soit plus étroit : il voulait que l’on ai toujours plus de sensations de danger. Il fallait du bordel, des détails dans l’image, un sentiment de feu d’artifice.
Frontière(s), ton premier long-métrage a 12 ans. Quel regard portes-tu dessus aujourd’hui ?
À l’époque, j’avais envie de dire avec ce film « regardez ce qu’on peut faire en France, regardez on peut faire aussi bien que les américains avec peu de moyens », je voulais jeter un pavé dans la marre. C’est un premier film donc il comporte plein de défauts, du too much, trop de musique, trop de gore,… Mais je pense qu’il est attachant par sa générosité, il est sincère dans son côté provoc et bordélique. C’est une espèce de bis punk, ce n’est pas un grand film mais j’ai une affection particulière pour lui. J’ai essayé de tout mettre dedans, je voulais faire un objet provocateur, sans savoir forcément où j’allais, je n’avais pas la notion de ce qu’est le cinéma d’auteur, je ne savais pas comment cela fonctionnait. Il s’est fait à l’instinct, comme je pouvais faire mes films avec mes amis, le week-end après l’école. C’est un film de potes avant tout, mais qui avait envie de dire qu’il y avait une rage dans un jeune cinéma français qui désirait exploser, changer de ton, proposer autre chose. Ce n’est pas du tout la même approche que celle qu’a pu avoir Pascal Laugier sur Martyrs, qui est un film d’auteur et dont la démarche était beaucoup plus intelligible que la mienne. Je n’essayais pas de raconter ma vie à travers ce film, juste de dire, j’aime ce cinéma, c’était un hommage à tout ce que j’avais adoré étant ado et qui a fait ce que je suis. Je l’assume complètement parce qu’il représente complètement le mec que j’ai été quand je l’ai fait. Le film est très teenage dans son approche, un peu inconscient, irrévérencieux mais quand tu le regardes, tu te dis le mec a bouffé du cinéma eighties toute sa vie, il aime le gore, le trash mais il est sincère, en ça je suis très content. Aujourd’hui je me suis assagi, Frontière(s) était un long-métrage énervé, une espèce de cri de vivre. En comparaison, je pense que The Divide est un film beaucoup plus punk, plus dépressif, plus auteurisant aussi.
Après Frontière(s), tu es parti tourner à l’étranger…
Ce n’était même pas un exil forcé, derrière Frontière(s) j’ai fait Hitman qui m’étais proposé par Luc Besson.
Hitman qui paradoxalement était sorti en France, quelques semaines avant Frontière(s)…
Un mois avant. Quand j’ai tourné Frontière(s), nous avions monté un promoreel afin de faire les ventes internationale à l’AFM [ndlr : American Film Market]. Nous étions en fin octobre, début novembre 2006, ce type de projet se vendait très bien, là, c’est carrément un délire, les ventes du film explosent. Sur la base de ce promoreel monté par EuropaCorp, je reçois beaucoup d’offres, le film n’est pas sorti, mais il y a une promesse, entre guillemets, tout le monde est à fond. À ce moment-là, Luc Besson travaille sur la préparation de Taken et d’une suite du Transporteur, le 2 il me semble, réalisé par Louis Letterier. La Fox contacte Luc, ils s’apprêtent à perdre les droits d’Hitman et lui demande s’il peut développer le film en Europe rapidement. Pierre Morel est déjà pris sur Taken, Louis sur Le Transporteur. Luc voit mon promoreel, m’invite à manger et me dit : j’ai ton prochain film. À ce moment-là j’ai 29 ans, j’ai rêvé de cinéma toute ma vie, on me propose une expérience comme celle là, je fonce, je ne peux pas refuser. Pour le coup, Luc m’a vraiment mis le pied à l’étrier, il m’a laissé une liberté totale sur Frontière(s) et carte blanche sur la préparation d’Hitman. Après, je manquais d’expérience, je pensais que je faisais un film indépendant comme Frontière(s) alors que c’était un film de studio, aujourd’hui mon approche serait très différente. Derrière, j’avais mon projet Vanikoro sur La Pérouse, un film très personnel que je n’ai pas réussi à monter en temps et en heure en France. Dans le même temps, je reçois une proposition qui s’appelle Shelter puis après Fallout et qui est finalement devenue The Divide. Je rencontre les mecs en Hongrie, on devient potes puis on travail ensemble. Au final, on a monté The Divide hyper vite, à peine deux ans après Hitman.
Quelle a été ta marge de manœuvre sur The Divide ?
J’ai eu carte blanche, liberté totale. J’ai une affection profonde pour ce film, j’ai pu transformer une commande en quelque chose de très personnel et en faire ce que je voulais. Je pense que c’est vraiment un objet atypique dans ma filmo. Derrière, les producteurs de Cold Skin voient The Divide à Cannes et me proposent tout de suite le projet. En revanche, la production a ce coup-ci, mis du temps à se concrétiser. J’étais à fond, je voulais absolument réaliser ce film, essayer d’en faire un objet très poétique, très politique. J’ai adoré le faire, c’est une de mes plus belles expériences de cinéaste. Je disposais d’un budget ouvert et d’une grande liberté artistique. Il y a un respect du roman d’origine, une espèce d’élégance, tu ne sens pas de restrictions de budget hormis sur certains CGI éventuellement un peu plus toc. Je suis très content de ce que l’on a pu faire.
Après Cold Skin, qu’est-ce qui t’a attiré sur Budapest, qui marque une rupture avec le reste de ta filmographie ?
J’avais fini Cold Skin depuis à peine une semaine, on m’a proposé le script et il m’a fait marrer. Je n’avais jamais fait de comédie, j’avais envie de tourner en France, je me suis donc dis pourquoi pas. J’avais envie de m’amuser un peu, changer de registre, m’essayer à quelque chose que je ne connaissais pas. Le truc, c’est qu’il s’agissait d’un film de commande sur lequel j’ai essayé de mettre ma patte un peu trash et ce n’était pas ce qui était attendu ou voulu par la production. C’est dommage, mais eux et moi n’avons pas parlé le même langage. Clairement la meilleure expérience que j’ai eu sur le film, c’était avec les comédiens. Autrement, on nous a imposé beaucoup de choses et je ne suis pas vraiment d’accord avec le résultat final : il ne correspond pas à ma vision, contrairement à ma version de montage.
Tu évoquais Netflix un peu plus tôt, est-ce que les plateformes SVOD représentent une alternative qui peut t’intéresser ou tu restes un fervent défenseur de la salle obscure ?
Je suis un défenseur du cinéma qui reste indépendant et qui va en salles. Cela étant, il faut savoir évoluer avec son temps donc si un jour, j’ai un projet qui doit se faire chez Netflix et qu’en bonne intelligence, on en discute, que je peux garder une liberté artistique et faire le film dont j’ai envie, pourquoi pas. Idéalement, j’amènerai mes propres projets, je tiens à rester dans ma zone de confort, faire le cinéma que j’aime et dans des conditions qui sont celles que j’ai pu connaître sur The Divide ou Cold Skin. Récemment, j’ai adoré Balle Perdue de Guillaume Pierret, justement, tu sens qu’il a pu s’exprimer complètement avec ce film. Ce genre d’expérience vaut le coup je pense.
Papicha, que tu as produit, a été un triomphe public, critique, commercial. Est-ce que les regards sur ton travail ont changé avec ce film, de nouvelles portes s’ouvrent-elles pour toi ?
Franchement oui. L’idée, c’était surtout d’accompagner la réalisatrice, Mounia Meddour, sur un film qui est très personnel mais effectivement les gens voient aussi que je ne suis pas juste un mec qui fait du genre bourrin. La production est quelque chose qui m’intéresse, mais pas à plein temps, j’ai mes films à réaliser. En revanche, faire ça sur quelques films comme celui-ci où il y a un challenge, où le jeu en vaut la chandelle, carrément. Papicha devait se tourner en Algérie, nécessitait un certain budget et disons que je disposais du bagage technique pour pouvoir trouver des solutions afin qu’il puisse exister. C’était mon premier film en tant que producteur et je suis hyper content de son parcours. Cela me permet aussi de montrer que je m’intéresse à un cinéma indépendant plus classique. Sur mes projets, je vais certainement être amené à explorer ce cinéma, j’en ai en tout cas très envie. Jusqu’à présent, le genre m’a accaparé, mais je rentre dans une phase de ma carrière où je désire m’exprimer pleinement à travers mes films et mes histoires. D’une certaine manière, Papicha m’a aussi permis d’amorcer ce virage. J’ai actuellement plusieurs projets qui sont en développement et je souhaite être producteur de mes propres films, pouvoir proposer les choses qui me font envie.
Récemment, tu as réalisé quelques épisodes sur la série anglaise Gangs of London, comment as-tu appréhendé ce projet ?
Je suis très copain avec Gareth Evans qui est le showrunner de la série. Il m’avait fait lire les outlines de la série, j’avais adoré et je voulais absolument en être. Lui, est un grand fan de Frontière(s), donc il m’a laissé une liberté artistique totale et surtout, il m’a dit « essaie d’y mettre la même folie » ! J’ai pu y aller à fond, on s’est vraiment amusé et je pense qu’en termes de séries télé, c’est un ovni. C’était une vraie expérience dans le cinéma d’action, que je me suis éclaté à faire. C’était génial et cette satisfaction correspond vraiment ce que je cherche !
Tu vas reprendre du service pour la saison 2 ?
Elle est actuellement en développement, mais j’ai déjà plusieurs projets en cours. Je travaille sur le deuxième long-métrage de Mounia Meddour, j’ai également quatre films en développement qui me tiennent à cœur, donc la priorité est là-dessus. Par contre, si mes projets devaient prendre plus de temps à se concrétiser, je me permettrai sûrement de faire quelques épisodes de la saison 2. Concrètement, Gangs of London m’a pris presque un an et j’ai avant tout envie de faire mes films. Aussi, M6 et des producteurs américains se sont rattaché à la série, si cela devait impacter la liberté créative que nous avions pour la première saison, réduire le ton, je n’ai pas envie non plus d’être associé à une deuxième saison en-dessous ou plus faible.
Depuis le début de notre échange, le mot liberté revient très souvent !
Je parle assez régulièrement avec Fabrice Du Welz et c’est vrai que notre mot préféré c’est liberté ! Nous avons tous les deux travaillé sur des commandes et à un moment donné, nous avons envie, besoin d’être libres et indépendants. Lui et moi sommes des aventuriers, nous avons envie de tenter certaines expériences. Fabrice a pu travailler avec Chadwick Boseman, Teresa Palmer, c’est génial. Nous n’avons qu’une vie, ces expériences font partie de notre construction, même si à la fin, le film n’est pas forcément ce que nous espérions, nous avons rencontré du monde, testé des émotions et à l’arrivée lorsque nous travaillons sur nos films plus personnels, nous nous améliorons. Les embûches que nous pouvons rencontrer sur une expérience cinématographique nous construisent pour plus tard. Par exemple, Budapest m’a renforcé, donné la force de faire tout ce que je pouvais sur Papicha.
Un énorme merci à Xavier Gens pour son temps et sa générosité ainsi qu’à l’équipe des Hallucinations Collectives qui a rendu possible cet entretien. Réalisé par téléphone le 4 vendredi Septembre 2020.
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