Entretien avec Yves-Marie Mahé à propos de « Jeune cinéma »

Rencontre avec Yves-Marie Mahé, réalisateur de « Jeune cinéma ».

 

Vous avez écrit un film sur le Festival international du jeune cinéma dont la première édition s’est tenue à Hyères, en 1965 et qui avait pour particularité, par rapport au festival de Cannes, de mettre aussi à l’honneur le cinéma dit « de demain ».

Le festival « Jeune cinéma » était un festival défricheur qui montrait des premiers et seconds films de réalisateurs internationaux. Après la création à Cannes en 1969 de la Quinzaine des réalisateurs sur la même ligne, le festival d’Hyères, pour se démarquer, a créé une seconde section de cinéma dit différent, c’est-à-dire expérimental. Le festival, de 1965 à 1983, été contemporain de plusieurs bouleversements historiques et sociaux. Les films diffusés témoignaient d’une utopie : la quête d’un cinéma nouveau pour un monde nouveau.

 

Vous aviez déjà réalisé de nombreux films. Qualifieriez-vous votre œuvre d’underground, d’avant-garde, d’expérimentale ?

J’ai réalisé des films expérimentaux et des documentaires. Ils ont comme point commun l’utilisation des archives.

Lorsque je réalise des films expérimentaux, je tente de travailler des formes et de les justifier, dans un second temps, par un fond. Le fond arrive souvent après, ce qui n’est pas très courant comme pratique.

Pour les documentaires, je pars d’un sujet et je tente de trouver la forme qui lui convient le mieux.

Mais souvent je pars du matériau même qui était par exemple, pour Jeune cinéma, les archives INA TV et radio.

J’écris peu, je construis le film en montant directement. Je viens de la pellicule, j’essaie de garder l’impression de contact physique.

 

À l’occasion d’une exposition sur le cinéaste Norman McLaren, vous découvrez la peinture sur pellicule. En ce qui vous concerne, on songe aussi à Malcolm McLaren, l’ancien manager des New York Dolls ou des Sex Pistols. Pouvez-vous nous parler de l’influence du punk sur votre œuvre ?

Adolescent, la découverte du punk m’a énormément marqué. Elle coïncide avec des lectures sur l’anarchisme et de la révélation du surréalisme sous toutes ses formes (littéraire, picturale ou cinématographique).

Dans la seconde moitié des années 1980, le punk français nommé médiatiquement « rock alternatif » était très influent dans la société : des groupes autoproduits passaient à la télévision. La contre-culture alors semblait pouvoir peser sur un changement de société.

Dans certains de mes films, c’est plus précisément la forme du hardcore qui m’a influencé. Tenter de trouver un équivalent cinématographique à la musique d’Hüsker Dü. Des films rapides, qui compense un discours critique (pouvant paraitre négatif) par l’énergie positive du montage et un jeu ludique avec le spectateur.

 

On peut sommairement estimer que le punk s’inscrit dans une tradition contre-culturelle qui passerait par les situationnistes, les lettristes, les surréalistes, dadaïstes, dandys du XIXe… De nos jours, à vos yeux, qui seraient les tenants de cette contre-culture ?

Bien que je n’écoute pas cette musique, les teufs technos énervent les pouvoirs publics et sont lourdement condamnées depuis le confinement. Dans l’Italie fasciste, les lieux de socialisation de la jeunesse sont particulièrement visés. De manière générale, je suis pour tout ce qui nuit au gouvernement actuel.

 

Dans un portrait réalisé pour l’émission Court-Circuit sur Arte, en 2008, vous affirmez : « Je veux faire des choses minimales et, si je pars d’une idée, il y a trop de possibilités. Alors que, si je pars d’une image, je suis forcément limité. » Est-ce que cela a changé ?

Cela reste d’actualité. J’essaie d’utiliser le moins d’effets différents possibles, de me limiter à quelques-uns. En musique par exemple, je trouve que moins il y a de musiciens sur scène, plus le ressenti est intense. Au cinéma, je préfère les films les moins découpés. L’impression de temps continu me permet de mieux m’immerger.

Jeune cinéma est constitué d’images d’archives et c’est avant tout un film de montage, dépourvu de voix off. Pourquoi ces choix ?

Si j’avais utilisé une voix off dont j’aurais écrit le commentaire, cela m’aurait obligé à asséner une vérité. Je ne crois pas qu’il y ait une seule vérité, il me semble qu’il y autant de vérités que de spectateurs. Je préfère suggérer, laisser de la place à la réflexion et interprétation de chacun.

 

Une fois ce film terminé, comment s’est passé la recherche d’un distributeur ?

Plutôt qu’écrire un projet, je monte directement le matériau. J’ai donc réalisé une maquette du film avant de contacter le producteur, Nicolas Brevière de Local Films. Avant de trouver les financements, Nicolas a montré la maquette au distributeur Carlotta que cela a convaincu. Puis une version modifiée a gagné un prix au FIFIB de Bordeaux, une aide importante à la post production et j’ai ensuite travaillé avec une monteuse. Il a néanmoins fallu passer par une version écrite (la description du montage) pour les subventionneurs.

 

Pouvez-vous nous parler du Collectif Jeune Cinéma, de nos jours, dont, je crois vous faites partie ?

Le Collectif Jeune Cinéma est un distributeur qui s’est créé en 1971 et programmait la section « cinéma différent » au festival « Jeune cinéma » d’Hyères et Toulon. À la fin du festival en 1983, la coopérative s’est mise progressivement en sommeil. Elle s’est réveillée dans la seconde moitié des années 1990 avant de démarrer un nouveau festival en 1999, « le festival des cinémas différents ». Celui-ci va connaitre sa 26e édition en octobre et j’en serai le coorganisateur (je suis présent au festival depuis sa première édition en tant que cinéaste sélectionné ou programmateur).

 

Quel est votre premier émoi littéraire ?

Septentrion de Louis Calaferte. J’ai relu il y a peu Le Requiem des innocents, cela me fait toujours une forte impression. Les bandes et la violence (certes, plus atténuée que dans le livre) faisaient aussi partie de mon enfance.

L’Anthologie de la subversion carabinée de Noël Godin m’a servi de « bible » (mais, dans ce contexte, c’est un gros mot) pour découvrir de nombreux auteurs (Octave Mirbeau, Arthur Cravan, Benjamin Perret, Jean-Patrick Manchette). Ce livre m’accompagne dans tous les déménagements (il est en ce moment même à quelques mètres).

 

Et cinématographique ?

Flesh de Morrissey et Warhol, découvert ado. Mais je l’ai revu il y a peu et trouvé sans aucun intérêt (même s’il semble anticiper l’apparition de la pornographie).

Puis ça a été L’Âge d’or de Buñuel, Freaks de Tod Browning.

La lecture de Le cinéma, art subversif d’Amos Vogel a été très importante.

Les cinéastes « traditionnels » dont je revoie régulièrement les films sont Claude Chabrol, Alain Tanner, Marco Ferreri, Jean-Pierre Melville, Maurice Pialat, Jean Eustache, Richard Fleischer, William Friedkin, Paul Schrader, Alan Clarke…

Dans le domaine du cinéma expérimental, ce sont Lionel Soukaz, Jean-Pierre Bouyxou, Kurt Kren, Daniel Burkardt et les autres cinéastes du « Collectif Négatif » dont je fais partie…

 

Pouvez-vous nous présenter ce collectif en deux mots ?

C’est un collectif de cinéastes issus du milieu expérimental qui font des films avec une forme ludique mais également souvent un fond politique (pas dans l’idée militante de convaincre mais plutôt d’exprimer son opinion). Les projections du Collectif ont lieu dans des endroits militants (anciennement au squat disparu de la rue de Valenciennes vers gare de l’Est et actuellement à la BAM !, Bibliothèque Autogérée de Malakoff).

La Fée Sanguinaire – Roland Lethem (1968) D.R.

Pour rester dans ce registre, apparaît dans Jeune Cinéma un extrait de La Fée sanguinaire, de Roland Lethem (1969). Pouvez-vous nous en dire plus ?

Dans l’extrait choisi, on voit Jean-Pierre Bouyxou qui est intervenu dans plusieurs documentaires radio que j’ai faits pour France Culture (« De la pisse dans le bénitier » en 2004 et « Quel « salope » ? en 2013). Roland Lethem et Jean-Pierre appartiennent à un courant underground qui anticipe Mai 68. Leurs films sont agressifs et joyeux. J’aimerais trouver des fonds pour documenter cette histoire parallèle du cinéma.

 

Le passage le plus drôle de Jeune Cinéma, c’est peut-être l’apparition de Leos Carax…

Paradoxalement, plus Carax est mutique, plus le spectateur est attentif.

Le public du documentaire rit aussi vivement lors de l’extrait du film de Roland Lethem.

 

Autre sujet : je crois que vous êtes impliqué dans le cinéma La Clef, à Paris, pour lequel deux collectifs s’affrontent : La Clé Survival et La Clé Revival. L’un deux promet de faire des lieux une sorte de laboratoire cinématographique. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Il y a eu une scission violente (et non médiatisée) de l’équipe qui squattait le cinéma en 2021, cinq mois avant son expulsion. J’ai arrêté d’y organiser des projections à ce moment-là par solidarité avec les membres qui ont quitté l’orga. Depuis je suis passé à autre chose, notamment en me réinvestissant dans d’autres projets collectifs comme le CJC, l’émission de Radio Libertaire « Les oreilles libres » ou en faisant la sélection de groupes 90’s noise français pour une compilation à venir sur le label Jelodanti.

 

Collectif Neozoon – D.R.

Votre dernier choc, point de vue cinéma expérimental ?

Il s’agit du Collectif féminin Neozoon qui recycle des vidéos issues de chaînes spécialisées YouTube. Des accumulations qui condamnent les rapports d’exploitation de l’homme sur l’animal.

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A propos de Pierre-Julien Marest

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