Fatou N’Diaye : « Un Ange m’a réconciliée avec le cinéma. »

Actrice discrète, Fatou N’Diaye occupe pourtant une place non négligeable à la télévision et dans le cinéma français. Repérée en 1997 par Oliviero Toscani, le photographe des publicités pour la marque Benetton, elle se lance dans le mannequinat avant de devenir Fatou la Malienne dans le téléfilm signée Daniel Vigne, quatre ans plus tard. Depuis, elle apparaît dans diverses productions télévisuelles telles que Tropiques amers de Jean-Claude Barny, ou encore Maison close et Engrenages pour Canal +. Elle incarne son premier grand rôle dans Nha Fala, long-métrage signé Flora Gomes, réalisateur de Guinée-Bissau. Elle enchaîne ensuite avec Un Pas en avant – les dessous de la corruption du cinéaste béninois Sylvestre Amoussou, Aide-toi, le ciel t’aidera de François Dupreyron et, dernièrement, dans Un Ange du Belge Koen Mortier. À l’occasion de la sortie de cette co-production entre les Pays-Bas, la Belgique et le Sénégal, elle évoque sa manière d’aborder son métier d’actrice, son rapport aux personnages et à la caméra.

Connaissiez-vous les films de Koen Mortier ?
Non. C’est volontaire. J’ai parlé avec mon agent qui le connaît bien. Elle m’a dit que c’est un cinéma que j’aimerais bien, un peu violent, un peu particulier. C’est elle quelque part qui me l’a présenté avant que je le rencontre en me parlant de son cinéma. Et quand je l’ai rencontré, je n’ai pas eu envie de voir ses films. J’ai eu envie de lire l’histoire originale qui avait été écrite sur le personnage féminin qui était écrit à la première personne. Cela me paraissait intéressant, mais pas tellement pour un travail d’archive, pas tellement comme un travail pour me nourrir, je n’ai pas besoin de ça pour me nourrir, j’ai besoin de choses vraies pour me nourrir. Tout et n’importe quoi fait l’affaire. Parfois, on en donne trop. Pour Un Dimanche à Kigali (1), j’avais fait l’erreur de tellement me documenter, quand je suis arrivée, j’étais tétanisée, au Rwanda, j’avais très très peur et, finalement, tout ce que j’ai appris, tout ce que j’avais lu avant, je l’ai mis de côté. Ce qui était important, c’est là où j’étais au moment où j’y étais et les gens que j’ai rencontrés et cela n’avait rien à voir avec ce que j’avais lu. Heureusement. Je n’ai pas lu le roman original (2) et je voulais m’éloigner de cette histoire d’un journaliste avec une très jeune femme. Un Dimanche à Kigali et Un Ange, qui est presque lyrique, sont deux films diamétralement opposés. C’était compliqué de gérer les dialogues. Je n’avais pas trop envie de les dire, il fallait les dire gentiment, sans non plus alourdir. Dans Un Ange, nous sommes dans une économie de dialogues qui me va très bien. Contrairement aux apparences, je ne parle pas beaucoup. (Rires.)
Mais Koen Mortier n’avait rien vu non plus de ce que j’avais fait. C’est bien de se rencontrer sans avoir vu quoi que ce soit, éventuellement une photo ou se croiser. Après, on n’est pas tous les jours pareil. La deuxième fois que nous nous sommes vus, il trouvait que j’avais changé, que je n’étais pas la même, j’étais encore dans un autre film.
Si on trouve que l’actrice ou le réalisateur n’est pas bon et qu’on y va quand même, au mieux, on a une bonne surprise. Je suis une femme très très instinctive, ce qui veut dire que je me suis déjà trompée.

Hasard du calendrier, alors que des associations dont Médecins du monde et le Strass se mobilisent contre la loi de pénalisation des clients, le film résonne aussi par rapport à cela, dans la façon dont les prostituées sont considérées, où leur statut social prend le pas sur le fait qu’elles soient des femmes comme le met une scène en évidence et certains dialogues. Comment avez-vous appréhender le rôle ?
Cela fera toujours écho à l’actualité, ça l’a toujours été et ça le sera encore demain. Il y a peu de chances que cela devienne un sujet banal qu’on aborde de temps en temps.
Je n’ai pas abordé le rôle d’une manière politique du tout parce que ce n’est pas ce que je fais. Si je le fais, je le fais avant, dans ma réflexion, je suis une artiste, je suis là pour interpréter un rôle. Ce qui m’intéressait était d’imaginer un quotidien pour cette jeune femme qui n’est pas encartée, déjà, mais qui n’est pas prostituée dans la vie. Il s’agit juste d’une jeune femme comme on la voit au début, qui se lève le matin, prend sa douche, va voir sa copine, va au marché… Le soir, elle a cette vie-là. En plus, elle est un petit peu à part parce qu’elle choisit vraiment avec qui elle va. Plus qu’un métier alimentaire, il faut savoir ce qu’elle cherche ; elle cherche autre chose que ça. Cela vient de mon imaginaire, je préfère réfléchir comme ça parce qu’on n’est pas dans un film social. Il n’y a même pas de volonté sociale, il y a seulement la volonté de raconter une histoire d’une manière très personnelle, la manière de raconter du réalisateur. Je n’ai pas abordé le personnage comme une jeune femme prostituée. Je l’ai abordé comme à un instant T, ce qui se passe avant, on ne le sait pas, ce qui se passe après, on ne le sait pas, mais ce qui est important, c’est ce moment-là qui est hors du temps. On ne sait pas combien de temps dure cette nuit, mais c’est juste une nuit et ce qui m’intéressait était de travailler uniquement sur cet instant et sur cette rencontre et les possibilités qui en découlent. L’amour, c’est toujours une possibilité. Même si cela peut paraître impossible, même si cela peut paraître biaisé étant donné la manière dont ils se rencontrent, cela reste une possibilité.
Le film n’a pas de velléités sociales ou politiques, après ce qu’on y lit, bien sûr, cela existe. Le réceptionniste la voit comme une prostituée parce que c’est ce qu’elle est au moment où elle amène ses clients. Après, il y a cet a priori, cette hypocrisie aussi parce que cet homme fréquente peut-être des prostituées, mais les rejettera toujours officiellement.
En ce qui concerne l’histoire de carte, il s’agit d’une coquille de la part du réalisateur. Il s’est renseigné et, effectivement, les femmes ne peuvent pas travailler quand elles ne sont pas officiellement estampillées prostituées. Pour le personnage, il était intéressant qu’elle ne soit pas encartée parce que son identité aurait été mêlée à son job. Elle est avant tout une femme. Sa profession… Ce n’est pas ce qu’on fait qui dit qui on est. Je dis ça même pour moi dans la vie de tous les jours. Ce n’est pas ce que je fais ni de quoi j’ai l’air qui vont dicter ce que je suis. C’est le regard des autres, c’est leur problème, leur vision. C’est difficile, surtout aujourd’hui avec les médias, comme il faut être omniprésent – ce qui n’est pas du tout mon cas – d’un seul coup, ce qu’on fait, ce qu’on dit, ce qu’on dit qu’on fait représente ou est censé représenter qui on est. Pour moi, c’est faux, mais aujourd’hui, il y a quelque chose qui fait que c’est mêlé…

L’année dernière, plusieurs actrices se sont manifestées pour évoquer les problèmes de représentations des femmes noires au cinéma. Étant donné que vous incarnez une prostituée dans Un Ange, certaines personnes pourraient être tentées de dire que ce rôle pérennise une image clichée des Africaines. Qu’en pensez-vous et quelle est votre position par rapport à cela ?
Je n’ai pas lu Noire n’est pas mon métier (3), mais je vois très bien la démarche à propos du systématisme, d’être systématiquement appelée parce qu’on a besoin d’une femme noire, on va dire qu’on est interchangeable. C’est aussi le métier de comédien qui veut ça, quand ils recherchent une blonde, ils vont préférer avoir une vraie blonde, tout de suite. Les très beaux rôles que j’ai eus, en ce qui concerne mon expérience et je pense pour les consœurs aussi, je ne les aurais pas eus si j’avais été blonde aux yeux bleus. Après, à l’intérieur de ça, comment on se positionne par rapport à ses personnages. Je ne travaille pas parce qu’il faut travailler, mais parce que de temps en temps, j’ai des coups de cœur et quand j’ai la chance d’avoir un coup de cœur et un beau rôle, j’y vais et j’essaie, justement, de ne pas porter quelque chose qui n’est pas à moi parce que ce qu’on représente pour les autres, ce n’est pas ce qu’on est. Si moi-même je me mets dans la position de « oui, mais en tant que femme noire, j’ai ça, j’ai ça, j’ai ça… », c’est une réalité, mais si je rentre trop là-dedans, je risque moi-même de m’empêcher de faire des choses. Donc, il faut un petit peu de distance, que j’ai beaucoup de mal à avoir : il y a des choses que je lis à peine d’un œil et cela me révolte. Maintenant, j’ai vieilli un petit peu, j’ai grandi. Il y a 10 ans, je pense que ce rôle, j’aurais eu beaucoup de mal à le lire et je n’y serais pas allée. Il a fallu que je le lise deux fois, d’ailleurs, parce que ce que j’ai compris, c’est que ce n’était pas tellement l’histoire qui est sur le papier qui est importante, mais plutôt le travail avec Koen Mortier qui est un réalisateur à part et, surtout, ce qui était intéressant, c’était de parler avec lui pour voir ce qu’il voulait raconter. Ce qu’il voulait raconter, ce n’était pas du tout politique, il ne voulait pas donner une image de l’Afrique ou du Sénégal, il voulait parler de cette histoire-là et elle a même évolué au fur et à mesure du tournage. Si cela n’avait pas été moi, cela aurait été une autre. Je préfère que ce soit moi avec ma conscience professionnelle et, en tant que femme, je ne me définis pas comme une femme noire. D’un seul coup, cela réduit les champs des possibles, je suis beaucoup plus que cela. J’espère. Ce que les gens voient en premier, évidemment, c’est une femme noire, éventuellement, peut-être, ou une femme avec des cheveux, une femme avec des talons… Mais c’est juste une image, ce n’est pas moi, j’essaie de tenir ça à distance le plus loin possible parce qu’une fois que ça pénètre, cela peut-être très pernicieux et cela peut m’empêcher – cela m’a déjà empêché – de vivre de belles histoires dans la vie ou dans le travail. Ce qui est la même chose car il y a quelque chose de fusionnel et après, cela s’arrête. On n’a pas d’autres choix que d’être dans l’instant.
Je suis contente que cela m’ait été proposé aujourd’hui. Il y a 10 ou 15, j’aurais peut-être eu un peu plus de mal. Certainement même, je pense que je n’y serai pas allée. Pas parce que j’ai besoin de travailler, mais parce que maintenant, j’essaie – la plupart du temps j’y arrive, pas tout le temps – d’avoir un petit peu de distance sur les choses et de prioriser. Ma priorité, c’est « de quoi j’ai l’air » ou « ce que j’ai envie de faire » ?

Vous dites que vous dû lire une seconde fois le scénario, qu’est-ce qui vous a interpellé, qu’est-ce qui vous a plu dedans ?
En effet, la première fois, j’ai vu juste l’histoire d’une prostituée et je me suis dit « Pfff, houlala… Gonflant ! » J’ai essayé d’éviter de jouer les prostituées. Pourtant, cela ne veut rien dire, un des plus beaux films que j’ai vus est Mon Homme de Bertrand Blier qui est l’histoire d’une prostituée et c’est un film magnifique, ou Irma la douce de Billy Wilder qui est un de mes films préférés aussi… D’un seul coup, je me suis dit : « Grandis un petit peu, ça, on met de côté et qu’est-ce qu’il y a à l’intérieur à part ce qui te gêne, qu’est-ce que ça raconte ? » J’ai trouvé que c’était… Cette magie, c’était presque un défi à relever. En le lisant, je me suis dit que ce n’était pas évident, ce n’est pas une histoire évidente tout de suite, on ne se dit pas : « Super, ce n’est pas une comédie ou un film dans lequel on a un très beau rôle, où on se dit « super, je le veux ! On y va ! » Il a fallu dialoguer avec moi et dialoguer avec le réalisateur, voir à quels endroits nous nous rejoignions, à quels endroits on se sépare et, surtout, voir si nous allions dans la même direction. J’ai été rassurée quand j’ai vu que nous avions la même vision avec le réalisateur : il voulait vraiment parler de ce truc qui arrive qu’on appelle le coup de foudre, qui peut arriver dans n’importe quel contexte, comment il peut être vécu et comment on peut passer aussi à côté d’une belle histoire tout en la vivant. Comment quelque chose de presque inimaginable sur le papier, comment faire en sorte que ce soit crédible ? Qu’est-ce qui fait que c’est le moment où on est prêt, ce n’est pas la bonne personne, mais ce n’est pas grave. C’est ce moment-là où d’un seul coup tout est fait, dans son corps, à l’intérieur, à l’extérieur, tout est fait pour aller vers l’amour et même si c’est la mauvaise personne et qu’on le sait et qu’on le voit bien, hé bien, c’est trop tard, il faut y aller jusqu’au bout tout en sachant que la fin sera certainement pas heureuse. C’était ça qui me donnait envie. C’est un peu cucul… Boh, aller, c’est pas grave ! (Rires)

Dans la majeure partie des productions dans lesquelles vous jouez, vous incarnez souvent une femme prise dans les tourments de l’histoire ou de la société, une femme qui se bat. Ainsi, on peut voir des similitudes entre le personnage de Tropiques amers et celui de Un Dimanche à Kigali… Est-ce un choix de rôle, un engagement ? Où trouvez-vous votre inspiration en tant qu’actrice ?
C’est un engagement, forcément. Encore une fois, ce n’est pas politique, mais c’est un engagement dans son corps, dans son être parce que je joue avec ma tête et mon corps, des pieds à la tête. J’aime même faire beaucoup un travail physique avant pour changer ma manière d’être, ou d’être. J’amène ce que je suis, mais j’essaie d’aller vers la rencontre du personnage. C’est un engagement parce que je suis engagé entièrement, physiquement, en tout cas quand il s’agit d’une histoire dans laquelle j’ai envie d’être et que la rencontre se passe bien. Après un tournage, c’est aussi une surprise. Le facteur humain fait aussi la différence, comment ça se passe, ça se passe bien, ça se passe mal, on apprend des choses sur soi. Surtout, avec le temps, je me suis rendue compte à quel point, c’est vraiment un instant T. Par exemple, quand je fais une scène, j’ai tendance à travailler avant, au moment où on la faisait, la tournait et, après, j’étais encore dedans. Un réalisateur m’a donné un très bon conseil un jour en me disant que c’était trop tard, que c’était fini. Pas pour dire que c’était nul, mais qu’une fois que c’est terminé, il faut enterrer. De cette manière-là, cela permet d’être encore plus dans l’instant et de prendre beaucoup de plaisir, beaucoup plus de liberté parce qu’il y a cette notion de « c’est maintenant, ce n’est pas après, ce n’est pas avant, c’est maintenant ou jamais ». Cela devient alors très exaltant de jouer. Cela a déverrouillé quelque chose qui fait que je prend plus de plaisir à jouer aujourd’hui qu’avant. J’étais beaucoup plus dans ma tête et il fallait que tout ait un sens très fort. Je ne vais pas changer de personnalité, je suis comme ça, j’ai besoin de sens, mais j’arrive plus à me laisser porter par l’histoire et c’est très agréable parce que ça retentit aussi dans la vie de tous les jours où on apprend. Par exemple, ce moment entre deux rendez-vous, on est pressé et finalement on n’est pas là, ni avant ni après. Ce qui est important, c’est d’être vraiment dans l’instant présent. Alors, oui, c’est un engagement. J’ai aussi besoin que l’histoire me raconte quelque chose. Au début de ma carrière, j’étais encore plus comme ça, il fallait absolument que ça raconte quelque chose, c’était très important, il ne fallait surtout pas que ça aille de travers, que cela me fasse dire des choses que je n’ai pas envie de dire. Sur cela, j’ai toujours été très catégorique. Il faut argumenter parce que quand je trouve que ça n’a pas de sens, je ne peux pas le dire. Ou alors, je le dis mal et j’espère que ce sera coupé au montage. Je ne le fais pas exprès, c’est-à-dire que si ce n’est pas logique, si ça ne marche pas, ça ne marche pas. Donc, oui, c’est un engagement et je ne cherche pas à avoir que des rôles difficiles ou de personnages pris dans les tourments de l’histoire. Je veux bien faire une bonne comédie, je veux bien faire d’autres choses. Finalement, ce qui compte, c’est d’aller vers des histoires qui donnent envie. On travaille bien quand on fait ce qu’on aime. Je fais partie des gens qui peuvent travailler correctement quand en plus le projet est bien… Je ne suis pas une machine. Il y a des comédiens, on leur donne un texte, on leur dit de faire ça et ils le font. Je ne peux pas. J’ai essayé, je m’en suis mordu les doigts. Je n’ai pas regretté parce que si c’était à faire, je le referais, mais je ne peux pas y aller allégée. Je ne suis pas particulièrement lourde, la pesanteur n’est pas quelque chose qui me définit non plus. J’ai besoin, quand même, avant d’être légère, d’être délestée de toutes sortes d’inquiétude.

Vous vous sentiez en osmose avec le sujet ?
Avec le réalisateur, surtout, et avec l’équipe, nous avions une vraie entente. Nous avons parlé, beaucoup, nous avons travaillé en amont. Nous n’avons pas fait d’essais, nous n’avons pas essayé de scènes. Il avait une équipe technique qu’il connaissait bien et je voyais qu’ils savaient où ils allaient. Le chef opérateur, avec son équipe, était très présent et pas du tout gênant. Ça se passait vraiment comme une chorégraphie. Ce qui m’a réconcilié avec le fait de tourner. Je n’étais pas enfermée dans une cage où il faut bouger à gauche, à droite. C’était vraiment selon comment ça se passait. C’est un travail en processus, en osmose, oui, il y a eu des moments d’osmose avec toute l’équipe. Parce que nous ne sommes pas deux à faire un film. On l’oublie, mais derrière la caméra, c’est là que ça se passe aussi, où tout le monde met tout en place pour que ça se passe bien. Dans ces cas-là, ça donne envie d’exceller, mais en tout cas, ça donne envie de tirer les fils, d’aller d’un endroit à un autre et y aller comme un arc tendu.

Il y a beaucoup de plans-séquences dans Un Ange, vous vous sentiez à l’aise avec ?
Très. C’est plus difficile, mais c’est plus intéressant aussi parce que ce n’est pas faux, ce n’est pas coupé, on n’est pas dans un truc champ/contre-champ. Plutôt à l’aise, mais il y a d’autres scènes où je l’étais moins parce que j’ai une certaine pudeur et je ne suis pas prête à tout… Prête à tout dans le sens où je ne suis pas dans la confiance aveugle. Je suis dans la confiance, je veux bien faire confiance, j’ai aussi besoin de savoir où on va et d’être sûre – même si ce n’est jamais une certitude totale – qu’à la fin, j’assumerai aussi. C’est facile de faire des choses sur le moment, de ne pas réfléchir, mais, après, c’est trop tard. Il a fallu que je trouve ce juste mélange – cela s’est fait simplement, comme je le dis, cela a l’air compliqué, mais ça s’est fait simplement – entre la confiance et le laisser-aller un petit peu et laisser la caméra attraper ce qu’elle avait à attraper. Cela n’a pas été difficile parce que j’ai senti énormément de bienveillance et beaucoup de respect aussi par rapport à mes craintes que j’ai exposées tout de suite et que je n’ai eu de cesse d’exposer et qui ont été balayé tout de suite.

Vous avez travaillé avec Flora Gomes, Sylvestre Amoussou, mais aussi dans des films sur l’Afrique… Quel regard portez-vous sur les productions africaines ? Aimeriez-vous travailler sur plus de films africains ?
Deux films très différents. Le film de Flora Gomes était magnifique. J’avais adoré ce film, c’était mon premier long-métrage. Je me suis retrouvée sur le Sylvestre Amoussou parce qu’il y avait des copains, c’est un peu bricolé.
Je veux bien travailler sur des productions nippones, africaines, je veux bien travailler sur toutes sortes de production du moment qu’elles sont pour raconter des histoires, pas juste prétextes à dépenser de l’argent… A partir du moment où il y a une belle histoire à raconter, j’adore en faire partie et c’est quelque chose qui ne changera jamais. J’aurais bien aimé travailler sur plus de productions africaines, d’autant qu’il y en a de très bonnes. Un Ange est une co-production sénégalaise, le producteur Oumar Sall avait déjà co-produit Félicité. Cela arrivera, cela arrivera fatalement.

Un Ange relate une histoire d’amour, mais au-delà de ça, n’évoque-t-il pas aussi les relations entre l’Afrique et l’Occident ?
Non, ça me saoule ça, cette histoire entre l’Afrique et l’Occident, faut arrêter. Depuis que j’ai commencé à tourner, c’est la chose que j’entends le plus : la relation entre le nord et le sud… Ca existe, mais dans ce cas, tout pour tout, partout pour toutes les histoires, les chansons, les peintures, toutes les rencontres, tous les festivals… Ca parle toujours, de toute façon, de l’humain et ça parle forcément de gens qui sont d’un côté et de l’autre. C’est toujours subjectif, par rapport à la subjectivité de chacun. Forcément, ça parle de deux mondes complètement différents qui se rencontrent, de deux sexes qui se rencontrent, voilà, les deux continents qui se rencontrent. Si je dis quelque chose de plus, je vais avoir l’impression d’être en mode répétition sans vraiment y croire. Je sais que ça existe, on pourrait voir ça, mais alors on y verrait quoi, on dirait que l’Afrique, c’est la prostitution et que la richesse, c’est l’Occident ? C’est un petit peu compliqué, je trouve comme parallèle…

Tout oppose les deux personnages, mais finalement, ils sont amoureux l’un de l’autre…
Mais en même temps, ils se ressemblent beaucoup plus qu’il n’y paraît parce que tous deux travaillent avec leur corps et les deux cherchent quelque chose… Je ne les mettrais pas en opposition, en tout cas. Ils sont très proches. Elle est une femme qui a pris certaines décisions dans sa vie, on ne lui a rien imposé, elle n’a pas été victime de quoi que ce soit, on ne va pas dire qu’elle se prostitue avec joie et bonheur, mais pas plus que si elle allait travailler au Prisunic à la caisse. Allez savoir jusqu’à quel point on choisit. En tout cas, jusqu’à un certain point, elle a choisit sa direction. Lui, il l’a un petit peu moins choisi car, en tant que sportif, il prend des drogues depuis qu’il est jeune, il est complètement en l’air, il est ancré nulle part, c’est un mort-vivant. Quand j’ai lu le scénario, je le voyais comme ça, comme un mort-vivant et elle qui essaie de le ramener vers la vie et en même temps qui, si elle s’avance trop, va plonger avec lui. Ce sont deux manières de voir la vie, c’est l’ombre et la lumière.

Après une carrière de mannequin, vous débutez votre carrière à la télévision, format pour lequel vous avez beaucoup travaillé. Comment abordez-vous ces deux supports que sont la télévision et le cinéma ?
Je les aborde de la même façon, sauf qu’en télévision, nous avons moins de temps, c’est beaucoup plus rapide. Encore que les films de cinéma dans lesquels j’ai tourné où j’avais un rôle important n’étaient pas non plus des grosses productions. Ce n’était pas des films à gros budget avec 90 jours de tournage et trois jours pour une scène. Ça me ferait bizarre, je n’ai jamais travaillé en prenant mon temps, j’ai toujours eu la pression même quand j’ai fait du théâtre, c’était un projet pour Avignon qui se faisait en deux semaines au lieu d’un mois et demi de répétitions. C’était assez intense et je crois que j’aime bien ça. Ça me laisse moins de temps pour être dans ma tête parce que c’est important. Il y a 10 ou 15 ans, dans le cinéma, ils se montraient un peu snob, ils ne voulaient pas des acteurs qui venaient de la télévision. Maintenant, la télévision permet d’étirer une histoire plus qu’au cinéma où on va avoir 1H30/2H pour la raconter. Les séries ont fait un bond en avant étonnant. L’écriture est différente, mais c’est le même métier.

Fatou la Malienne est encore regardé par les Africains et reste, 18 ans après, une référence. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Oui, pas seulement en Afrique, ici aussi. Je suis très étonnée parce que là, ça commence à compter, un petit peu. J’ai vieilli. Je vois des jeunes filles, même très jeunes, 10 ans, 12 ans, 15 ans, qui me reconnaissent et me demandent si je suis Fatou la Malienne. Au début, j’ai presque fait un rejet parce qu’on ne me parlait que de ça et ça me dérangeait parce que les gens y voyaient des choses qui n’existaient pas dans le film et j’ai passé beaucoup de temps à argumenter, à parler, à prendre mon temps… Mais ce n’est pas mon métier d’argumenter dans la vie de tous les jours. J’ai aussi une vie. Alors, j’ai fait un petit rejet, qui n’a pas duré longtemps. Disons que quand le film a été terminé, dans la vie de tous les jours, il fallait que je gère des gens que je ne connais pas et qui avaient très très envie de donner leur avis et de dire qu’ils étaient d’accord, pas d’accord… Mais oui, c’est assez étonnant qu’encore aujourd’hui, en Afrique et dans les diasporas noires, il y a des gens qui le voient et le revoient encore.

Quel regard portez-vous sur Un Ange ?
Je suis un peu… pas nostalgique… mais c’est un tournage qui m’a réconcilié – je n’étais pas fâchée – avec le cinéma et ce pour quoi je le faisais et à quel point c’était bon de s’investir tellement. Ce n’était pas à perte, il n’y a rien qui était à perte. Après, le résultat, c’est le résultat, ce n’est pas mon film, c’est un montage, les gens vont le voir – s’il y a des gens qui se déplacent pour le voir -, et c’est fini, c’est derrière, mais il a une place assez spéciale. C’est-à-dire que c’est la première fois depuis que je tourne que j’ai très très envie que des gens voient le film. C’est un film qui est beaucoup plus proche du cinéma que j’aime aussi. J’aime tous les cinémas, une comédie musicale est un de mes films préférés, j’aime les films de genre – tous les films sont des films de genre, d’ailleurs -, j’aime les films de zombies, j’aime les biopics… J’aime les bons films, globalement. Et les bonnes séries. C’est la première fois que je suis curieuse de savoir ce que les gens en pensent et, finalement, j’ai de la distance. C’est peut-être ça de grandir. Je trouve que j’ai beaucoup de distance sinon je suis en train de me ronger les ongles : « ce plan-là, aïe, aïe, mon Dieu, qu’es-ce qu’on va penser ? Qu’est-ce qu’on va dire ? » Avant, j’avais tendance à me préparer comme on met une armure. Maintenant, je sais qu’on va me poser des questions et il va falloir que je sois en pleine possession de mes moyens pour pouvoir répondre et possiblement répondre très sérieusement. C’est passé, c’est du cinéma, on travaille, on fait ce qu’on peut, on aime, on n’aime pas, pour moi, c’était une expérience. J’espère que j’en aurai encore 1000 comme ça après. C’était le début de quelque chose, le début d’une autre période. J’ai deux ou trois périodes, des périodes de transition dans ma vie, là, c’était le début d’une nouvelle, que je sens aussi beaucoup plus sereine.

Propos recueillis le 7 février 2019 à Paris.

(1) Réalisé par Robert Favreau, Canada, 2006.
(2) Un Dimanche à la piscine à Kigali, Gil Courtmenanche, Gallimard, collection Folio, 2000.
(3) Editions Le Seuil, 2018.

 

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