Tourné pour France 3, Les bandits tragiques, la bande à Bonnot retrace le parcours du célèbre gangster français. Alternant fiction et documentaire, le film fait la part belle aux images d’archives saisissantes pour recréer tout un pan de la société française à une époque où la misère faisait rage. Mais loin d’idéaliser le célèbre braqueur, le cinéaste pointe plutôt les raisons qui l’ont poussé à emprunter cette voie périlleuse. Rencontre avec Cédric Condon et Sylviane Manuel, cinéaste et scénariste engagés.
Qu’est ce qui vous a intéressé dans le destin tragique de la bande à Bonnot ?
Sylviane Manuel : C’est un destin tragique puisque ça part d’une pensée d’émancipation très forte et ça se termine avec beaucoup de prison, le bagne et beaucoup de morts aussi. On est sensé suivre un mouvement politique, individualiste, certes illégaliste, mais qui est sensé s’affranchir, mieux vivre et grandir, mais qui aboutit à une série de crimes et donc au sort tragique de ces homme et de ces femmes qui y ont participé.
Cédric Condon : Moi en fait, j’étais sur le film de mon grand-père. La première fois qu’il a mis les pieds en France, c’était le six juin 44, il faisait partie des commandos Kieffer, les 77 français qui ont fait le débarquement. J’étais en plein montage et je me suis dit que là aussi, c’était encore le destin d’une bande de jeunes d’une vingtaine d’années, menés par quelqu’un de plus âgé qu’eux, Kieffer, qui avait la quarantaine et qui va les mener à la tragédie. Le destin de ces hommes dans la tourmente me tenait à cœur. Et puis, les américains… Eux, ils ont Bonnie and Clyde, Billy the kid, Jesse James, qui sont rentrés dans la légende, mais en France on a qui ? Il y a Mesrine dans les années 70. Donc comme ça, j’ai rembobiné un petit peu et je suis tombé sur la bande à Bonnot, qu’on connaît sans connaître. C’est ce qui m’a engagé à persévérer. Pourquoi naît une légende ? Il y a tant de bandits qui ont existé dans la société française en cent ans, pourquoi eux ? Et quand je suis tombé sur la richesse iconographique, il y avait là de quoi raconter cette histoire dans un documentaire. Du coup, j’ai utilisé la fiction pour personnaliser la bande. L’archive donne une réalité de ce qui s’est passé et la fiction nous a servi à raconter de l’intérieur son histoire.
Combien de temps a nécessité la fabrication du film depuis la recherche de ces archives ?
Cédric Condon : Il y a eu plusieurs phases. D’abord l’écriture…
Sylviane Manuel : Environ six mois de lecture pour trois mois d’écriture. Bien sûr, on ne fait pas que ça… C’est ensuite réécrit en fonction de ce qui est choisi à la réalisation, donc l’écriture se fait vraiment sur toute la durée du film, sur une bonne année !
Cédric Condon : Après, le tournage, c’est environ une dizaine de jours, puis quatre à cinq mois de montage. Mais de l’idée à Aujourd’hui, deux ans se sont écoulés parmi lesquels tournage et montage représentent six mois de travail à plein temps.
Est-ce que le choix du docu-fiction est une manière de vous affranchir de tous les films français consacrés au grand banditisme ces dernières années, ceux de Jean-François Richet, Olivier Marchal et autres ?
Cédric Condon : Effectivement ! Le genre du docu-fiction est un genre qui moi me plaît beaucoup et à approfondir… C’est un art périlleux qui mélange à la fois le cinéma de fiction et le documentaire et ce que j’aime justement, c’est que la fiction devienne réelle. La plus grosse difficulté, c’est de rester proche de cette réalité et de ne pas sortir du champ documentaire. Il faut mélanger l’archive, les interviews, la fiction et que ça fasse un seul et même film. Donc ça m’intéresse et me permet de me détacher du cinéma classique.
On voit que ce genre vous tient particulièrement à cœur. Quelles étaient vos références pour ce film ?
Cédric Condon : Peter Watkins, Ken Loach, même si c’est plutôt du cinéma documenté et très très proche de la réalité.
Sylviane Manuel : Watkins, mais plutôt pour sa capacité à réinventer le genre, à y mettre de sa personne, de sa perception. C’est ce qu’on a aussi essayé de faire ici dans ce documentaire-fiction qui va très loin et qui aurait presque pu être, avec d’autres moyens, une fiction documentaire. Il me semble que pour certains sujets d’Histoire, c’est le bon endroit pour rendre plus sensible une histoire qui finit par s’éloigner extrêmement de l’imaginaire qu’on a aujourd’hui, puisque cet imaginaire est conditionné par les médias et par des modes de production qui sont plutôt de l’ordre de la fiction. Renouer avec une histoire en la rendant vivante, c’est aussi s’attacher à certains personnages. Ce mélange de fiction avec des références historiques, documentées par des archives et des témoignages d’historiens est un énorme chantier. La France campe loin derrière pour ce qui est de produire des créateurs qui s’y attaquent. En Angleterre, c’est plus vivant. Ailleurs, il y a des tentatives. En France, le documentaire-fiction est la plupart du temps télévisuel et il est plus dans la reconstitution que dans la fiction. On a donc essayé de pousser un peu plus loin, avec des moyens télévisuels mais aussi des contraintes, encore trop fortes en France pour faire de la création.
Cédric Condon : J’ai aussi toute une équipe de cinéma avec moi : cadreur, décorateur, maquilleuse… J’y attache une très grande importance. Il est vrai que les chaînes ne suivent pas toujours. Or pour que ce soit bien fait, ça coûte cher. Ici, ça coûte cher et on n’a pas été très suivis par la chaîne. Bon, on s’en est quand même sortis… Là je fais un documentaire, un docu-fiction sur les premières missions jésuites en Chine. Les chinois, eux, ont mis les moyens et ça se voit à l’image !
Il y a une chose qui m’a vraiment frappé dans votre film, c’est la précision des images d’archive. On voit par exemple l’assaut qui a entraîné la mort de Jules Bonnot…
Cédric Condon : Effectivement ! Toutes les images d’archive sont bien réelles. Le siège de la bande à Bonnot, le 21 avril 1912 a été filmé par les BFM de l’époque. Je n’ai pas montré l’intégralité de ces images, mais c’est vraiment du direct ! Dans mon travail en général, je me sers de l’archive comme plan large et je resserre en fiction. Exemple : ici l’archive montre l’extérieur et moi j’ai filmé Bonnot de l’intérieur, en imaginant comment il a pu vivre les choses. C’est aussi une question de mise en scène : il faut bien connaître l’archive pour pouvoir raccorder à la fiction et mélanger les deux. Là, ça fonctionne assez bien car tout est travaillé, storyboardé.
Quel regard portez-vous sur la politique actuelle en France ?
Sylviane Manuel : Le film fait part d’un mouvement très sérieux, historique, important, alors que l’Anarchie est justement vue aujourd’hui comme un mouvement de jeunesse de jeunes fous… Mais pas du tout ! C’est un mouvement important en France, en Espagne, en Europe et dans le monde entier. Ça redonne à des jeunes qui verraient ce film, des outils pour penser ce mouvement là. Aujourd’hui, je remarque que dans tout mouvement politique, il y a beaucoup de débats. Comme dans le mouvement anarchiste et c’est ce qui a peut-être fait sa faiblesse, car ils n’ont jamais réussi à trouver une unité à l’intérieur de ces dissensions. Ça les a beaucoup divisés sans créer une force suffisante pour être au service de ce peuple qu’ils considéraient devoir aider et émanciper. Donc, si on devait transposer ces réflexions dans le monde d’aujourd’hui, il apparaît que le peuple est encore trop divisé pour réussir le partage des richesses.
Entretien avec Aïssa Deghilage pour Culturopoing et Radio Escapades. Moyens techniques : Radio Escapades. Remerciements Festival Itinérances, en particulier Julie Plantier, Julie Uski-Billieux et Eric Antolin. Photos: Patrice Terraz.
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